Problèmes de l’Art Sacré


En 1951 paraissait en France un livre intitulé Problèmes de l’Art Sacré, rassemblant les contributions d’un certain nombre de spécialistes. L’église d’Assy qui venait d’être construite, avec la participation d’artistes comme Germaine Richier et Lurçat, était alors au centre d’un débat, non seulement esthétique, mais bien plus encore religieux. Dans la présentation de ce recueil, Victor Henri Debidour note que – volontairement ou non – il paraît à un moment où la « querelle de l’art sacré » a, « en petit, tous les aspects d’une psychose de guerre civile ».


Lues cinquante après le passage des iconoclastes post-conciliaires, la plupart de ces études montrent à quel point il s’agissait d’un faux débat, monté par une coterie intellectuelle désireuse de prendre dans ce domaine un pouvoir qu’elle sentait à portée de main. Le ton est donné par le Père Pie-Raymond Régamey, Dominicain, dont « l’exégèse de quelques lieux communs en matière d’art sacré » est un long plaidoyer pro domo, d’une grande médiocrité dialectique et d’une incroyable suffisance.

Comment a-t-on osé lui dire qu’il existait « une grammaire et une syntaxe des arts » et qu’il fallait « prier sur de la beauté » ? Qui s’est permis de « stigmatiser du nom d’une hérésie » cette course à la nouveauté à laquelle se livraient en ce temps-là – Pie XII regnante – nos chers progressistes Dominicains ? Le Père Régamey blâme une telle agressivité, accusant ses contradicteurs de démagogie, par consentement à cette loi cruelle remarquée par Nietzsche : « Toute communion rend commun ». Pour lui, il est donc urgent de « mettre en cause à la fois le goût et la piété des fidèles… Le cas de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, ajoute-t-il, illustre cela d’une façon trop évidente ».

Mais, pour être bon prophète, aurait-il dû conclure sur cette révélation surprenante : « En vérité, il ne faudra pas beaucoup de temps pour se rendre compte que notre époque est une des plus grandes dans l’histoire des arts sacrés » ?


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Loin de cette assurance et de ce nombrilisme, l’ouvrage contient une vingtaine de pages du sculpteur Henri Charlier. Elles sauvent ici l’honneur de l’intelligence française.

« Tout faire pour la gloire de Dieu », selon le conseil de Saint Paul, engage l’âme sur la voie de la perfection, de ce qu’Henri Pourrat nommait « les grandes mœurs » ; c’est aussi la condition de tout travail bien fait et, par surcroît, la source du Beau, qui doit être présent dans tout ouvrage, même servile, pour le rendre capable de rapprocher la créature de son Créateur. « Notre Seigneur dans sa Transfiguration, écrit-il, a donné une idée de ce qu’est l’art et la pensée. » Pour les hommes, souvent distraits, elle est le modèle inégalable de ce que doivent être ensemble la Pensée et les Beaux-Arts.

Il en découle que l’église est le lieu idéal où peut se faire cette rencontre. Le grand art religieux, celui fait par des artistes chrétiens, aussi humbles soient-ils, pour une société chrétienne, et qui traduisait naturellement la Foi et la Beauté, a été l’apanage du Moyen-Age. La gageure fut de vouloir employer des moyens naturels pour rendre sensible le surnaturel. Elle a été tenue dès la Renaissance et le succès en a été de plus en plus illusoire.

N’est-il pas dès lors inutile d’aller chercher l’avant-garde artistique et ne voit-on pas que convoquer des Le Corbusier, des Matisse ou des Lurçat n’aboutira jamais qu’à l’édification ou à la décoration d’un lieu qui n’est pas une église ? Prenons du recul, puisque nous le pouvons. Soixante ans plus tard, le grand art chrétien est bafoué. Il n’y a plus d’autels, plus de liturgie, plus de chant grégorien. Les petites églises romanes comme les grandes nefs gothiques ont, peu ou prou, été fermées ou transformées en salles de concerts. Saint Pie X est enterré.

Pourquoi une telle dégénérescence ? Henri Charlier y voyait déjà plusieurs causes. « Une multitude de cuistres, écrivait-il, vivent en parasites aux dépens de l’art et prétendent y faire la loi ; ils ont le rôle des politiciens dans le noble art du gouvernement des cités ». Il constatait ensuite une violente et dramatique rupture dans la transmission des connaissances. Il n’y a plus de maîtres. Et il n’y a plus de maîtres parce que, depuis la Révolution, il n’y a plus de métiers. En supprimant les corporations, la loi, depuis deux cent ans, a enlevé aux artistes et aux artisans la direction et l’encadrement de leurs métiers pour l’abandonner aux hommes d’argent. « Elle a ainsi arrêté la création des styles et supprimé l’enseignement… la question est sociale et politique, non artistique. » La « cité artistique » du Moyen Age – selon l’expression de Georges Sorel –, cercle restreint des meilleurs regroupés en corporations, qui transmettait aux mieux doués un enseignement de haute valeur, n’existe plus.

Vinrent cependant, à la fin du XIXe siècle, quelques artistes qui retrouvèrent l’essentiel des vrais principes de l’art – un Gauguin, un Van Gogh, un Rodin : ils furent d’ailleurs traités d’anarchistes et de révolutionnaires. Comble de malheur, « la génération qui eut pu continuer leur œuvre a disparu presque entière pendant la guerre de 14 ». Ceux qui l’ont remplacée, venus des quatre coins du monde, ajoutant à la corruption de l’esprit, ont réussi jeunes et facilement, portés aux nues par une critique au niveau de laquelle ils avaient d’avance consenti à descendre.

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