Présentation de Jean de Pange


Cette présentation est empruntée au beau livre d’Anne Brassié La Varende, pour Dieu et le Roi.

Jean de Pange avait épousé Pauline de Broglie, sœur des physiciens les ducs Maurice et Louis de Broglie. « Grand historien, grand marcheur, il devint un ami fidèle pour Jean de La Varende qui allait le voir chez les Broglie, chaque été. Ils parlaient en marchant de Broglie au Chamblac.

...Issu d’une très ancienne famille lorraine, élevé en Autriche, à Vienne, du temps de ses splendeurs, Jean de Pange était de double culture allemande et française et savait le bouleversement terrible qu’entraînerait la destruction de l’Empire austro-hongrois... » Très critiqué avant la guerre par l’Action Française, La Varende s’entremit pour lui auprès de Maurras. « Quand un parti de droite, raconte-t-il, que j’ai soutenu à plein cœur, et que, s’il devait renaître, je soutiendrais encore, jusqu'à la perte de mon sang et jusqu’au bris de mes os ; quand ce parti attaqua Jean de Pange, en le jugeant d’un germanisme outré, j’allai trouver le chef principal dont la surdité n’atteignait aucunement l’intelligence et je dis : « Ne faites pas cela. N’abîmez pas mon Jean de Pange, c’est un homme qui, évidemment, n’est pas dans vos idées parce que, plus que la nation, il redoute le nationalisme. Pour lui, disciple de la vieille chrétienté, il ne peut voir dans le nationalisme qu’un tout petit principe terrien que nous défendrons de toutes nos forces, d’accord, mais qui, en soi, reste une diminution. Jean de Pange est un homme du XIIIe siècle et ceci l’explique complètement. Je ne puis admettre d’ailleurs que vous ayez pu croire un instant à son infatuation. Il n’y a pas de plus pur, de plus intègre, de plus simple. Laissez-le-moi. » Il m’a dit : « bon ! emportez-le ».


C’est cette double culture qu’il nous laisse entrevoir dans l’introduction de son Histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française qu’il publia en 1947 *. « J’ai passé mon enfance à Vienne, où n’était pas encore éteinte la douceur de vivre... Ce qui s’était conservé à l’abri de ces traditions, c’était une des sociétés les plus policées de l’Europe... Ces lieux, pleins de charmants souvenirs, ne sont plus aujourd’hui que des ruines. Je ne parle pas seulement des ruines matérielles, qui s’étendent sur toutes l’Europe, mais surtout des ruines morales. Ce peuple qui, au début du XIXe siècle, marchait en tête de la civilisation, qui renouvelait les lettres, les arts, les sciences, et dont l’humanité attendait une longue suite de bienfaits, est aujourd’hui dégradé, assauvagi. L’Etat y est revenu aux conceptions primitives de la tribu. Les plus hautes valeurs spirituelles y sont méconnues ou bafouées. Que s’est-il donc passé ? »


Apologie de l’Autriche-Hongrie


« Vienne a été le lieu de rendez-vous où les principales races de l’Europe ont appris à vivre ensemble. N’a-t-on pas dit que Vienne, en présentant l’image d’une unité où chaque nation se sent complémentaire des autres, a créé « le sens transnational » ?

C’est la vieille idée chrétienne exprimée dans la devise que les princes lorrains ont fait graver sur la Hofburg : Justitia fondamentum regnorum... L’affection [qu’inspirait leur héritier] était le lien qui relie entre elles les parties de ce magnifique édifice. »


et éloge de sa politique


« On pouvait - c’est le rêve de son héritier, l’archiduc François-Ferdinand - préparer la transformation de cet empire en une confédération où les diverses nationalités collaboreraient dans la pleine égalité de leurs droits... Aussi, dès 1879, le comte Taaffe avait-il inauguré un régime fondé sur la collaboration des Tchèques, des Polonais et du centre catholique... En 1897, le premier ministre, le comte Badeni, d’origine polonaise, avait achevé la destruction du germanisme centralisateur en instituant l’égalité absolue des langues tchèque et allemande en Bohême et en Moravie. Nous ne craignons pas de nous répéter pour rappeler cette politique , qui frayait les voies au fédéralisme. »



retour en arrière


Nous sommes en 1848. « 1848 a gardé dans l’histoire d’Allemagne le nom d’ « année folle »...L’Europe tout entière s’agite, depuis la Seine jusqu’au Danube ». Metternich doit démissionner et quitter Vienne ; il trouvera asile en Angleterre. Comment va évoluer la double monarchie ? Invité à venir siéger comme représentant de l’Autriche à la Commission des Cinquante qui prépare le Parlement de Francfort, le grand historien tchèque Palatsky répond le 11 avril 1848 par une lettre qui est encore aujourd’hui d’une saisissante actualité. « Le but avoué de votre assemblée, dit-il, est de remplacer la fédération des princes, qui existe aujourd’hui, par une fédération populaire allemande, de réaliser l’unité de la nation allemande, de fortifier le sentiment national allemand et par là d’exalter la puissance de l’Allemagne... Or, je ne suis pas un Allemand... Je suis un Bohémien de race slave et je me suis entièrement consacré au service de mon peuple. Il n’y a jamais eu d’union entre le peuple tchèque et le peuple allemand, mais seulement entre leurs chefs. Cette union a été réalisée au sein de l’Etat autrichien, à l’indépendance duquel vous voulez porter une atteinte irrémédiable, de cet Etat dont le maintien, l’intégrité et le renforcement sont une très haute et très importante affaire, non seulement pour mon peuple , mais pour toute l’Europe, et, pour l’humanité et la civilisation elle-même. »

« ... Vous savez que le Sud-Est de l’Europe, le long des frontières de la Russie, est habité par plusieurs nations entre lesquelles la race, la langue, l’histoire et les moeurs établissent des différences marquées - les Slaves, lesValaques, les Magyars et les Allemands - dont aucun par lui-même n’est assez fort pour résister avec succès, dans l’avenir, au voisin tout-puissant. Ils ne peuvent y arriver que si un lien fort les unit tous ensemble. La véritable artère de cette véritable Société des Nations est le Danube ; aussi son pouvoir central ne doit-il pas s’éloigner beaucoup de ce fleuve, s’il veut être et rester efficace. En vérité si l’Etat autrichien n’existait pas depuis longtemps, on devrait se hâter de le créer dans l’intérêt de l’Europe, dans l’intérêt de l’humanité.

La nature et l’histoire me poussent à chercher non à Francfort, mais à Vienne, le centre destiné à assurer et à accorder à mon peuple la paix, la liberté et le droit... Pour le salut de l’Europe, il ne faut pas que Vienne tombe au rang d’une ville de province. Ma conviction est qu’en poussant l’Autriche et la Bohême à s’unir à l’Allemagne en vertu du principe des nationalités, on les invite au suicide, et qu’au contraire il est infiniment plus justifié d’exiger de l’Allemagne qu’elle s’unisse à l’Autriche et qu’elle se rallie à la monarchie autrichienne. »

Toute l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française est contenue entre ces deux pôles : Berlin et la centralisation, le Reich, celui de Guillaume II, puis d’Hitler ou Vienne et le fédéralisme : François-Joseph, François-Ferdinand, l’archiduc assassiné, Charles Ier, l’empereur qui n’a pas régné.


* Jean de Pange ~ L’Allemagne depuis la Révolution française 1789-1945 - A. Fayard (collection Les Grandes Etudes historiques), 1947.

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