Mes Débuts par Paul Morand ~ Editions des Cahiers libres, 1933



La conférence donnée en 1933 à l’Université des Annales par Paul Morand est, à la lecture, un régal et je dirai même, une révélation pour qui ne connaît plus que la France morose des dernières décennies. Se peut-il qu’ait existé, au cours des brèves années qui ont suivi la Grande Guerre, une France heureuse de vivre, et le sachant ? Telle est en quelque sorte la leçon de ce petit livre.

« Je veux faire de mon fils un homme heureux », disait Eugène Morand. On suit ainsi celui-là de l’Ecole des Sciences Politiques, où il eut quelques maîtres célèbres, à Londres où il fait la connaissance de Giraudoux et à Oxford - où, écrit-il, « je dévorais la littérature anglaise. Meredith était notre dieu... » - ; évoquant enfin le souvenir de Paul Cambon et celui d’Alexis Léger, « entré au Quai d’Orsay avec une lettre de Francis Jammes pour Paul Claudel et de Claudel pour Philippe Berthelot ».

En 1922, Marcel Proust préface son premier recueil de nouvelles, Tendres Stocks. Alors, « la poésie était partout, le besoin d’écrire, de s’exprimer, de sortir enfin du morne cauchemar... A partir de 1920, après la grande révolution mondiale, la littérature fut pleine de généraux de vingt ans... » C’est dans le rappel précis de cette période éphémère qui n’était déjà plus qu’un souvenir à l’époque de cette conférence que se trouvent les pages les plus intéressantes de ce petit livre. « Ce fut, raconte Morand, une époque merveilleuse pour le roman et pour la poésie que l’après-guerre. Et aussi pour les littérateurs en général. Cette résonance immédiate du moindre mot, ces conséquences du moindre geste, cette attention d’un ardent public devenu soudain immense, cela ne se voit pas une fois par siècle... » Et plus loin : « Nous n’avions pas le choix ; une heure, une des plus étonnantes de l’histoire du monde, passait devant nous : il fallait la saisir, la photographier... et « il fallait faire vite au risque de voir le spectacle disparaître ; spectacle sans précédent : des frontières nouvelles, des pays hier inconnus, la tour de Babel, les races confondues ; des femmes libérées, des hommes perdus, l’inflation produisant dans les moeurs des effets foudroyants et inconnus, les ennemis se réconciliant après quatre années de silence, la révolution à nos portes, le déclin de l’Occident, et bien d’autres merveilleuses apocalypses ! »

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