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n° 146

Firmin Jacquillat (Saumur)

à Victorine Mauguin (Passy)

31 janvier 1880

 

 

                                                                              Saumur  31 janvier 1880

 

Ma chère Tante (Mauguin) *

 

C'est bien aimable à vous d'avoir pensé au pauvre Esquimau du pôle nord et je vous en remercie sincèrement : je vous demande seulement pardon du retard que j'ai apporté à vous répondre. Si vous saviez combien nous sommes accablés par la besogne, et quelle besogne ! Je n'ai malheureusement pas le temps d'entrer dans de longs détails : la banquise accapare toutes les minutes de mes journées ; lorsque le soir arrive, nous tombons tous de sommeil et de fatigue.

Cette banquise est réellement un spectacle unique, formidable et grandiose, ma plume ne saurait vous en donner une idée ; j'essaierai d'y suppléer de vive voix à Passy. Figurez-vous des blocs de glace gros comme des maisons, et de toutes les formes, carrés, arrondis, etc... enchevêtrés et amoncelés les uns sur les autres, sur une longueur de plusieurs kilomètres. : telle est, en quelques mots, la banquise. Pour l'attaquer et conjurer, autant qu'il est humainement possible, les catastrophes que la débâcle entraînerait sans doute pour la ville de Saumur, nous avons trois agents principaux ; la dynamite qui disloque et ébranle les masses, débite en un mot la banquise ; le bateau qui agit ensuite pour séparer et disjoindre les morceaux et les pousser dans le courant du chenal ouvert ; enfin le courant qui entraîne le tout. C'est ce dernier qui est l'agent le plus important en somme et qui nous fait le plus défaut par suite d'une baisse croissante des eaux de la Loire. Des îlots, des bancs de sable émergent chaque jour et de toutes parts, arrêtant malheureusement tous les glaçons venus d'amont et reformant, à mesure que notre chenal avance, de nouveaux éléments de banquise.

La ville de Saumur s'étend sur les deux rives du fleuve, embrassant en outre une île, l'île Offard, à laquelle elle est reliée par deux ponts. Cette île, soit dit en passant, est sérieusement menacée : c'est aux travaux de sa défense (empierrement des rives, revêtement des talus, etc, etc...) que je suis chaque jour employé avec 10 bateaux et 60 hommes. La présence de cette île et d'une autre située à 1 ou 2 kilomètres en amont, l'île de Souzay, sépare la Loire en deux bras.

Les ingénieurs ont voulu attaquer la banquise par le bras gauche : le ministre, qui n'a point partagé leur avis, a prescrit aussi l'attaque par le bras droit dans sa visite d'il y a quinze jours ; mais ce différend m'entraînerait trop loin. Passons.

Donc depuis 3 semaines, sapeurs (génie) venus de Versailles et pontonniers venus d'Angers (dépôt de mon régiment) ont commencé l'ouverture d'un chenal dans le bras gauche, les uns par l'amont, les autres par l'aval. Après 3 semaines d'efforts et de détonations épouvantables, ils se sont rejoints hier soir : malheureusement les glaces venues d'amont, de Tours, Orléans, etc...ont formé un obstacle qu'il reste à percer, en remontant à partir du point-de-départ initial d'amont. Il nous est arrivé cette nuit une nouvelle Compagnie du génie de Versailles qui s'occupera de ce travail, pendant que le reste du détachement de Rueil (200 hommes arrivés ce matin et demain matin - avec 36 bateaux comme nous) s'occupera d'entretenir et d'élargir le chenal ouvert. Je ne sais comment ces nouveaux venus de Rueil, puisque ce sont tous des conscrits, charpentiers, ajusteurs, mécaniciens, etc... qui n'ont jamais vu de bateau puisque leurs classes de navigation ne devaient commencer à Rueil qu'au printemps. Enfin !

Je voudrais pouvoir vous donner quelques détails pratiques sur ce travail des pontonniers : en deux mots : lorsqu'un de nos bateaux a déposé, avec le concours du génie, chargé du forage des fourneaux, les charges de dynamite ou de poudre et qu'il a mis le feu aux mèches, il se sauve à la rame, puis, l'explosion produite, tous reviennent, s'élancent, de toute la force de leurs bateaux sur les parties ébranlées qu'ils essaient de disjoindre par un mouvement de balance conduit avec ensemble ; puis tous les hommes de l'équipage avec des gaffes, des pioches, des leviers en bois ou en fer, s'attaquent à chaque glaçon, s'efforçant de les débiter en morceaux plus petits et conséquemment plus faciles à entraîner par le courant. On voit souvent ceci : lorsqu'un glaçon détaché est trop gros, trop adhérent au fond pour être mis en mouvement par les hommes du bateau dont le point d'appui n'est pas suffisamment fixe, un ou plusieurs de ces hommes montent sur le glaçon et, armés de gaffes à pointes qu'ils plantent dans le lit du fleuve, ils se mettent en mouvement avec ce véhicule d'un nouveau genre. J'en ai vu jusqu'à onze avec un lieutenant sur un seul bloc. Quand le glaçon est suffisamment lancé, le bateau le rejoint et reprend les hommes à bord pour opérer de la même façon sur un autre. C'est très-pittoresque et très-amusant : il faut dire que mes hommes tombent souvent à l'eau, mais des braseros disposés sur la rive leur permettent de se réchauffer aussitôt.

D'ailleurs ils touchent des rations supplémentaires assez sérieuses, offertes par les Ponts et Chaussées qui ont la direction supérieure des travaux et qui vont avoir une de ces notes à payer !! Chaque homme, au lieu de 300 g., ration normale de viande, en touche 600 par jour ; ils touchent 1 l. 1/2 de vin par jour, 1/25 de litre d'eau-de-vie ; une livre de pain blanc à midi, tous ces suppléments payés, encore une fois, par les P. et Ch. Sans compter les bois, les pierres qu'ils achètent de tous côté ; notre matériel tout neuf, qui reviendra à peu prés hors de service et sera réparé à leurs frais, les effets de nos hommes, etc, etc...

Ce qu'on brûle d'artifices est effrayant ; un de mes camarades, dans la seule journée d'hier, à un des 5 chantiers de défense, a consommé 314 kg de dynamite et 167 de poudre. Le kilog de dynamite revient à l'Etat à 4 frs. : on a fait des fourneaux de 18 kg de dynamite et de 100 de poudre à la fois. Demain on doit dépasser encore ces chiffres. Ceux d'hier ont cependant déjà produit ce résultat qu'un très grand nombre de carreaux ont été cassés dans la ville et qu'un nombre également respectable de caves dites à Champagne (oui, des coteaux de Saumur, mousseux) se sont écroulées dans les pays voisins, par suite de l'ébranlement du sol.

Il y aura ici demain , en tout : 200 fantassins de Tours ; 350 sapeurs de Versailles ; 400 pontonniers de Rueil et 200 d'Angers. Total : 1200 hommes employés à la Défense de la ville de Saumur contre les glaces : c'est l'en-tête des avis et convocations officiels que l'on nous transmet pour le service.

Les hôtels regorgent naturellement d'étrangers.

Un effet très-bizarre de la dynamite est celui produit sur les poissons : les malheureux sont tellement étourdis par la secousse qu'après chaque explosion nos pontonniers les prennent à la main, morts ou mourants. Un détachement en a rapporté hier plus de cinquante livres ; je crois qu'ils les vendent en ville.

 

Vous me demandez aussi comment ma santé supporte ces fatigues : très bien jusqu'ici. Je dors et je mange d'aussi bon coeur que je travaille. Quant aux dangers que je cours, ce sont ceux que nous courons tous, c'est-à-dire que nous pouvons être victimes de certains accidents ; pour mon compte personnel, j'ai enregistré jusqu'ici : 1° le jour de mon départ, entre Rueil et la gare d'Orléans, un accident de cheval ; 2° une explosion de dynamite (4 cartouches, une pour chacun de mes trois bateliers et une pour moi) à bout portant, un coup des fantassins ; 3° un choc sérieux contre les piles du pont avec 2 bateaux et 10 hommes, plus 4 arbres que nous remorquions, du moins que nous devions remorquer, mais qui nous remorquaient très-prestement ; 4° une disparition sous la banquise par un trou que je n'apercevais pas : ce dernier accident eut été le plus sérieux, un pontonnier m'a sauvé la vie en me criant gare à la seconde qu'il fallait. Mais tout cela n'est rien à côté de ce que nous aurons à affronter si la débâcle tourne mal : c'est alors que notre tâche commencera réellement. L'on craint de terribles inondations ; peut-être n'y aura-t-il rien du tout. Quoi qu'il en soit, nous attendons. Ce soir on signale une crue de 15 cm, assez propice pour nos travaux. Il est certain que nul ne peut prévoir ce qui va survenir à Saumur, on n'est pas rassuré : en deux heures, la ville peut avoir le sort du quartier St-Cyprien à Toulouse. Nous aurons sans doute des sauvetages à opérer et pour faire honneur au dévouement traditionnel (passage de la Bérésina, etc...), 10 pontonniers se noieront pour décrocher une vieille femme perchée sur un toit, vermoulu comme elle.

 

Je suis, en effet, logé chez l'habitant : mais ayant su qu'une chambre était disponible dans le restaurant où nous mangeons tous (14 officiers d'Artillerie ou du Génie envoyés sur la banquise, commandant, capitaines et lieutenants), je l'ai demandée et obtenue à la Mairie. C'est bien plus commode pour moi qui n'ai ainsi que 2 chantiers pour travailler, dormir et manger : l'île Offard et le restaurant des Trois Ancres. Je connais ici un monsieur extrêmement riche, le meilleur ami de mon oncle Charles, Mr Mauriceau, un gros fabricant de chapelets, médailles, etc... dont vous avez certainement entendu parler à l'époque de nos 1ères Communions. Je dînerais tous les soirs chez lui si je l'écoutais ; mais je suis si fatigué que les 2 ou 3 fois que j'ai déjà accepté, je me sentais dormir au dessert. Demain je dois encore aller dîner à la campagne, avec eux, chez le père de Monsieur ; ils ont cheval et voiture qu'ils me prêtent très aimablement : malheureusement, je n'ai encore eu le temps d'en profiter qu'une seule fois, aujourd'hui de 2 à 4 h. Ils ont le premier trotteur de Saumur où la fameuse Ecole de Cavalerie en compte cependant de bons. C'est un plaisir que de se trouver sur une route avec une telle bête. J'ai aussi à cette Ecole une trentaine de mes camarades de l'Ecole Polytechnique, mes anciens, détachés de leurs régiments et que j'ai retrouvés avec plaisir.

 

Je m'arrête, ma chère Tante, car cette lettre atteint des proportions que je ne pensais pas lui donner en commençant. Il est minuit. Nous mangeons ici à des heures insensées ; trois jours de suite, je suis resté à jeun jusqu'à 1 h. 1/4..! Depuis, j'ai pris mes dispositions.

Je n'ai pas eu encore le temps d'écrire à papa ; je les ai simplement prévenus que je partais à Saumur. Voudriez-vous être assez bonne pour mettre cette lettre sous enveloppe à l'adresse de Pau ou Bordeaux. Elle les intéressera. Je ne sais ce qu'ils deviennent.

Mes amitiés, s'il vous plaît, à tous les vôtres. Je vous embrasse de bon coeur.

Votre neveu dévoué et respectueux.

                                                     

                                                                                         F. Jacquillat

 

Le côté faible, ici, est notre solde pour laquelle aucune décision, paraît-il, n'a été prise. Nous avons un travail excessivement pénible - il a fait un froid, il y a 4 ou 5 jours !! Nous usons des effets à vue d'oeil, nous payons une pension plus chère ; un logement qui court à Rueil, deux ordonnances à payer puisque nos chevaux sont restés à Rueil. Et si nous n'avons pas, ou l'indemnité de route (3 f. par jour), ou celle de mission (10 f. par jour), nous perdrons net : 2,40 frs par jour par suite de la différence des soldes entre Paris et la province.

 

 

* rajouté au crayon postérieurement.

 

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n° 147

Firmin Jacquillat (Besançon)

à sa tante Charles Jacquillat (Paris)

28 décembre 1881

 

                                                                                         28 Xbre 1881

 

Ma chère Tante

 

Voici, hélas ! la première fois depuis six ans qu'il ne m'est plus permis de vous apporter moi-même et de vive voix mes voeux et mes souhaits de bonne année. Plus heureux que moi, Henri, qui va probablement inaugurer ces jours-ci son congé de premier de l'an, viendra dimanche prochain vous embrasser pour de bon et vous souhaiter, pour l'année qui va commencer, tout le bonheur, toute la santé, toutes les affaires que vous pouvez ambitionner. A distance, mais de tout coeur aussi, je joins mes voeux aux siens et je vous les adresse sous ce pli pour mon oncle et pour vous, très-peu fier, je vous assure, d'en être réduit à les confier au papier.

Je mets la santé de mon oncle ainsi que la vôtre au premier rang de mes souhaits et j'espère bien que cette année ne s'écoulera pas sans qu'il me soit donné d'aller constater là-bas de quelle façon mes voeux auront été exaucés. Cela me semblera drôle, tout de même,  de retrouver cet escalier tant de fois monté, cette porte tant de fois ouverte et cette bonne tante à son comptoir tant de fois surprise dans son travail de raccommodage afin de laisser les armoires intactes. Au fait, et vos armoires, ma Tante ? faut-il vous les souhaiter plus pleines encore, mais elles doivent être archi-pleines depuis le temps que l'on voit tant de choses s'y engouffrer. Je pourrai vous offrir de la place quand vous n'en aurez plus, car j'ai une véritable collection de placards, coffres, armoires, tiroirs, etc... dont la plupart ne me servent pas : j'ai notamment un joli petit meuble où j'ai recueilli et déposé provisoirement les différents souvenirs de ma chère petite Nelle, un grelot fêlé, un clou de son collier, un os inachevé, une petite balle qui avait facilité sa dentition, etc...

Mais à quoi bon remuer ces pénibles souvenirs, puisque nous voici à une époque de fête et de joie pour tous ? Pour moi, j'ai beau chercher, je ne trouve de sujets de réjouissance que dans le passé ; le présent continue à me laisser assez froid.

Pour combattre l'ennui, je lis et j'écris beaucoup. A propos, j'ai écrit à votre cousine, Melle Céline * et je vous renverrai sa lettre - sa lettre à vous - un de ces jours, car je ne l'ai pas en ce moment sous la main.

Vous trouverez sous ce pli une carte de moi que vous voudrez bien donner à Henri : c'est un modèle : il saura ce qu'il doit en faire.

Vous voudrez bien, n'est-ce pas, ma chère Tante,  vous charger de tous mes compliments pour Monsieur Sené, Melle Hyacinthe et tous ces Messieurs du magasin.

Je vous renouvelle en terminant, pour mon oncle et pour vous, mes meilleurs et plus affectueux compliments de bonne année.

Je vous embrasse tous deux de tout coeur.

Votre neveu dévoué et affectueux

 

                                                                                         F. Jacquillat

 

 

* Céline Ducret, nièce de Maria Gavart, la femme de Charles Jacquillat, était gouvernante de la princesse Marie-Josèphe et des princes Jean-Georges et Max de Saxe. Plus tard, elle entra dans l’ordre des Religieuses de l’Immaculée Conception de Notre-Dame de Lourdes (soeur Marie de la Providence de Jésus).

 

 

 

 

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n° 148

Firmin Jacquillat (Besançon)

à Alphonse Jacquillat (Bordeaux)

22 mars 1882

 

                                                                              Mercredi soir 22 mars 82

 

Mon cher Père

 

Je ne sais vraiment ce que tu dois penser de mon silence prolongé : quoi que tu en puisses penser, j'en pense au moins autant que toi : après tes longues et nombreuses lettres, il est tout-à-fait exagéré, j'en conviens ; mais dans les lettres en question tu touchais à tant de sujets divers, tu faisais des demandes si variées sur des événements si multiples que, ne pouvant te satisfaire avec les courtes lettres que j'aurais pu t'écrire de Paris, j'ai voulu attendre d'être rentré à Besançon pour t'envoyer le récit le plus complet que tu aies pu rêver. Je te prierai seulement de vouloir bien le transmettre à Nantes après en avoir pris connaissance. Henri, je pense, ne sera pas fâché non plus d'en être instruit, car j'ai à peine eu le temps de le voir dimanche dernier. Tu pourras commencer par lui puisqu'il est appelé à voir au premier jour les principaux  personnages dont il sera question dans ce récit : c'est lui qui transmettrait alors à Nantes.

Je suis rentré à Besançon ce matin, mercredi, à 4 h. moins quelques minutes, à temps, mais de peu, pour mettre mes grandes bottes et monter à cheval en l'honneur du tir à la cible de ma batterie. J'ai eu depuis un cours de télégraphie après lequel un mot du capitaine adjt major m'a fait savoir que je relevais de semaine un de mes camarades, ce qui ne m'a laissé libre ce soir qu'assez tard et me forcera à être sur le turf demain matin à 4 h. 1/2. Il est maintenant 8 h. 1/2 et, prenant un papier de grand format, j'ai l'intention de t'en écrire long pour me faire pardonner de t'avoir écrit si peu.

Laisse-moi te rappeler d'abord que je me disposais à demander une permission de 8 jours pour Paris et Nantes, en profitant du répit qui existerait pour moi entre la fin de mon emploi à l'Artillerie et le commencement des manoeuvres à cheval - lorsque survint la nouvelle de la mort de ma Tante *. Je demandai aussitôt une permission de 48 heures, certain de l'obtenir facilement et j'attendis une dépêche de mon oncle Charles. L'enterrement n'ayant lieu que le samedi, à Irancy, deux jours ne me suffisaient plus, et comme il me fallait de toute manière une prolongation, j'eus alors l'idée de demander avant mon départ une permission de 8 jours qu'on devait m'envoyer à Paris en me télégraphiant à Auxerre si, par hasard, elle n'était pas accordée - renonçant à celle que je comptais demander un peu plus tard, vers la fin de ce mois. Etant de nouveau en deuil, je n'aurais pu assister ni à la noce de Melle Gaultry Mathilde (delle de Charles Gaultry, avec un Gallois, receveur à Flogny), ni à celle de Bellocq, fixées au 23 et 30 de ce présent mois.

Je suis parti le vendredi soir 10 de Besançon pour arriver le samedi matin vers 3 h. à Auxerre où je savais, par une dépêche, mon oncle Charles déjà arrivé. En effet, ainsi que je te l'ai écrit, le vendredi à 2 h. 50, mon oncle Charles accompagnant l'oncle Pacifique ainsi que Mr et Mme de Meyrignac et Georges Dherminot ** avait pris place dans le train qui emmenait le corps ***. Mon oncle Charles s'était arrêté, lui, à Auxerre, pendant que les autres continuaient sur Irancy. Après m'être étendu 3 ou 4 heures sur un canapé des salles d'attente d'Auxerre, je me dirigeai à pied, vers 7 h. du matin, du côté des hôtels de La Fontaine et de - ? -, même rue, où je supposais mon oncle descendu. Mais je ne pus trouver sa trace bien palpable dans aucun d'eux. Je me rendis alors - le train d'Irancy partait d'Auxerre à 8 h. 12 - chez le grand-père où Suzanne m'apprit que mon oncle Charles venait de partir avec la tante Héloïse qu'il était venu prendre rue de Coulanges (où elle était descendue de la veille). Je rejoignis mon oncle au buffet de la gare où il déjeunait d'un biscuit et d'un verre de vin blanc. Au moment où notre train se mettait en marche, des employés, rouvrant notre portière, y poussaient cette pauvre dame Monnet, belle-soeur de ma tante Pacifique, grand-mère de Mme de Meyrignac, qui tenait à assister à la cérémonie malgré son grand âge (mon oncle Pacifique lui avait fait dire la veille par mon oncle Charles, ainsi qu'au grand-père, qu'ils pouvaient se dispenser de venir à Irancy).

A la gare d'Irancy, une voiture nous attendait ; nous y primes place tous les 4.

La cérémonie n'eut lieu qu'à 11 h. pour donner le temps à tout le monde d'arriver d'Auxerre ou des environs. Je t'ai déjà parlé, dans une lettre de Paris, des principales personnes y assistant : Mr et Mme de la Celle de Lain (les parents de Mme de Meyrignac), Mr Henry de Meyrignac (de Dijon), père de Mr de Meyrignac ; Mr de Pieyre, grand-oncle de Mme de Mey., ancien officier qui touche sa pension de retraite depuis 1830 ! Jules Jacquillat de Chemilly avec sa femme et Marie ; Mr et Mme Eugène Rétif, d'Auxerre, Mr Folliot, de Chablis, qui m'a dit avoir correspondu avec toi pour des vins, Mr et Mme Raoul, d'Auxerre, Mme Crampon, d'Argenteuil (la femme d'un ancien juge de paix, mère de Mme Désortiaux, la femme du juge de paix de Rueil : tu te rappelles que l'oncle Jacquillat est venu déjeuner l'année dernière à Rueil chez ces Désortiaux qui m'avaient également invité), un parent des de la Celle de Chatelausois, etc, etc... Eugène Rétif m'a également demandé de tes nouvelles. La messe a duré très longtemps ; l'église était à peu près pleine ; population très sympathique à la famille. Au cimetière, même affluence et même longueur, vraiment pénible, de la cérémonie ; difficultés pour descendre le cercueil dans le caveau, etc... Mr de Meyrignac, en permission de 4 jours, forcé de repartir aussitôt le cimetière terminé, même avant, pour rejoindre Lunéville, sa nouvelle garnison depuis le 1er mars, en attendant la place de Troyes qu'il espère occuper dans un mois ou 6 semaines et où Mme de Meyrignac ira le rejoindre.

Après le cimetière, grand déjeuner, organisé par Mme de Mey., très-complet et très-réussi, peu gai forcément ; Mr Henry de Mey. et moi à une petite table. Après le déjeuner, les invités commencent à s'écouler ; il y en a qui ont fait et vont refaire leurs 30 kilomètres. Mon oncle Charles et moi, nous repartons, vers 4 h. , à pied ; par bonheur, à 200 mètres d'Irancy, nous sommes rejoints par le Mr de Chatelausois, qui passe justement, avec sa voiture à 4 places, par Vincelles, la station qui dessert Irancy.

Mon oncle, fatigué, dîne avec moi à la table d'hôte de La Fontaine ; sans appétit ni l'un ni l'autre. Après le dîner, il se couche à l'hôtel, moi, je gagne la rue de Coulanges où grand-père, couché, me questionne naturellement, en détails, sur la cérémonie. Le matin (dimanche), pendant que j'allais prendre les ordres au La Fontaine, grand-père se dirigeait chez le boulanger X, son copain, où je devais le rejoindre et où je lui amenais même avec moi, pour quelques instants, à sa grande satisfaction, mon oncle Charles. De chez le boulanger, je dus encore l'accompagner chez la famille Visse. Cela me rappelait absolument les tournées de Bordeaux pendant nos vacances.

Après avoir déjeuné avec grand-père, dimanche, départ pour Paris vers 1 h. ; nous retrouvons à Laroche Mme de M. (qui monte avec nous dans des places de coupé, les seules qui restent) et son frère qui repart en sens inverse pour Dijon. A Paris-gare, surprise de ma tante Charles qui est venu attendre son mari (celui-ci lui avait écrit la veille d'Auxerre : “ Je t'amènerai sans doute pour dîner demain soir Georges Dherminot ”). Voiture pour le passage du Caire. Malheureusement la mèche avait été un peu éventée par une ou deux lettres déjà renvoyées de Besançon à mon adresse passage du Caire.

J'ai oublié de te dire qu'à Paris, à St-Thomas d'Aquin, il y avait en même temps qu'à Irancy, même jour et même heure, une messe dite également pour ma tante à laquelle étaient invitées les personnes, amies ou parentes de Paris qui ne pouvaient venir à Irancy. Ma tante Charles naturellement s'y était rendue.

Les lundi, mardi et mercredi sont employés par moi à faire différentes courses et visites assez urgentes, me bornant strictement aux Mauguin et Landry que je n'ai pas tous vus d'ailleurs, avec Gabrielle Messager et Mme Bordat, avec encore Mme Bouvery (delle Degroux) rue du Mont Thabor, à côté de la place Vendôme où les bureaux de la place me faisaient signer, pendant ma visite, une permission de 48 h. pour Nantes, à valoir sur mes 8 jours.

Jeudi matin, visite à l'oncle : par lui j'apprends que la tante Héloïse qui devait rester la dernière avec lui, comme je te l'avais écrit, est repartie au contraire un jour avant lui, ayant écrit, paraît-il, qu'on vint la chercher aux Laumes à heure fixe, le mardi. L'oncle est donc reparti seul le mercredi d'Irancy à Paris.

Comme, dans cette visite à l'oncle, celui-ci me parlait du travail auquel le condamnaient ses affaire de décès, notaire, lettres de faire-part, etc, etc... je ne pus m'empêcher de lui offrir mon concours pour les adresses de ces dernières. Il l'accepta avec un tel empressement, en me priant de venir commencer dès le lendemain matin vendredi, que, du coup, je dus, à mon très grand regret, renoncer à mon voyage de Nantes.

Il tenait, naturellement, à dicter tous ses noms de parents ou d'amis à quelqu'un qui eut l'esprit un peu moins agité que lui afin qu'on lui fit observer, par exemple, soit les omissions, soit surtout les doubles emplois. Dès le lendemain matin, vendredi, en effet, je me mis avec lui à cette triste besogne, déjeunant avec lui, recommençant immédiatement après le déjeuner, dînant encore avec lui et ne le quittant qu'à 10 h. du soir. Samedi, même chose. 500 environ dans ces deux jours.

J'arrive au dimanche. Sans ces lettres de faire-part, je devais partir jeudi soir pour Nantes, y rester le vendredi et repartir le soir même pour Paris où je serais arrivé, assez fatigué, le samedi matin, mais une nuit de repos m'aurait suffi pour circuler avec facilité tout le dimanche avec Henri. Nous avions combiné un plan avec celui-ci : il devait, quoique consigné avec sa Cie, tenter une démarche auprès de son général en faisant valoir ma présence à Paris pour certaines affaires que le notaire voulait bien traiter avec nous dans l'après-midi du dimanche, 18, rue St Marc (Galin). Malgré l'avis favorable de son capitaine et de son commandant, le Colonel n'a pas accordé ! Force m'a donc été de prendre à 11 h, St-Lazare, le train de Versailles. Là, pas d'omnibus, les St-Cyriens, tous restés pour une promenade militaire, ayant, ce jour-là, des masses de visiteurs, le beau temps aidant. Dans l'espoir de rencontrer un véhicule en chemin, je me mis en route pedibus cum jambis, par une chaleur accablante, à midi, avec un autre frère de St-Cyrien : après 5 bons kilomètres de marche, ou pas loin, nous arrivons enfin, suants et poudreux, à l'Ecole susdite. Je suis resté environ 3/4 d'heure avec Henri ; mais malheureusement je suis à peine resté seul avec lui 10 minutes. Reconnu par un de mes camarades de promotion (dont le frère est également St-Cyrien), nommé justement en 1er à Rueil au moment où la même promotion m'en éloignait ; reconnu par Mr Liès-Rodard dont le petit-fils est camarade d'Henri, Mr Liès-Rodard, toujours affable et bavard, me demandant de tes nouvelles, de celles de Marie et de Jamet, me racontant l'histoire de mon général qu'il a beaucoup tutoyé à Metz, etc, etc... J'ai vu, en somme, très peu ce pauvre Henri que j'ai quitté bien mécontent de cette fatale coïncidence, rappelant un peu ma salle de police de l'X quand Marie, revenant de Chaumes, avait un jour à passer à Paris. A 1 h. 48, je prenais un train, gare de St-Cyr, qui me permettait, je ne sais quel omnibus aidant, de descendre 12 rue de la Monnaie pour faire acte de présence à une très-jolie exposition d'aquarelles dues 1° à Théophile Landry (qui a un vrai talent), 2° à son futur beau-frère Chancel (prix ou bourse du Salon), retour d'Italie, à la veille de repartir pour Athènes et Constantinople d'où il reviendra pour convoler avec Marthe Landry (fille d'Emile), 3° à un de leurs amis, Bonnier. Assez grande affluence de cousins, amis, quelques architectes, quelques messieurs des Beaux-Arts ; quelques rafraîchissements dans un petit cabinet contigu (mon déjeuner au fromage et au saucisson, sur le pouce, de 9 h. du matin, passage du Caire, se trouvait descendu assez bas à ce moment), il y avait heureusement des biscuits. Dans le salon de l'exposition, Mme Juliard et un Mr en bourgeois  qu'on m'avait désigné comme étant le général Minot qui commande à Agen (cousin germain de Mr Juliard) : “ Tiens, Henri ou Arthur,  je te présente notre cousin Firmin Jacquillat dont nous t'avons parlé quelquefois ”. - “ Jacquillat, mais j'ai beaucoup connu un Jacquillat, mort en 18.. (il me cite une date), qui était de l'Yonne. ” - “ Mon général, ma famille est en effet de ce pays-là... ” - “ des environs de Chablis ? ” - “ parfaitement ! ” - “ J'ai été sous-lieutenant dans le même régiment que lui, c'était mon meilleur camarade, mis en disponibilité à un moment, etc, etc... ” C'était Alfred Jacquillat, ton cousin germain ****.

Quittant l'exposition, coup de peigne et de brosse chez un coiffeur et dîner chez Mme Bordat avec les Degroux jeunes et vieux.

Le lendemain, lundi, continuation des adresses chez l'oncle avec qui je déjeune encore et que je quitte vers deux heures 1/2 après avoir fait environ 650 enveloppes. J'ai fait part à tous les Landry des 3 branches, les frères ou soeurs de maman seulement, ou cousins germains de maman, pas leurs enfants comme Chevignard, Messager, Delaruelle; Lehmann, Soulages, etc... A Montigny, les Charlot ; 1 à Léognan, Touron (pour qu'il te le donne) ; 1 à Mme Mothes pour que tu la voies plus sûrement ; 1 aux Marx ; 1 à Mme Tournès et c'est tout ***** ; environ une trentaine avec les 4 ou 5 à mon régiment. J'en ai emporté 4 ou 5 de plus, en blanc, pour le cas où je songerai encore, ou toi, à quelqu'un. Mon oncle Charles m'avait donné également une trentaine de noms pour ses amis. Pour Chaumes, je n'ai vu que les Terrillon et Mr Veulliot à Lyon. Pour Nantes, j'en ai fait  une pour Mme Jamet et sa famille ; mais ignorant l'adresse, je n'ai pu la faire partir. J'ai envie de l'adresser à Nantes qui en prendra connaissance et la fera parvenir. Demander à Jamet s'il veut que j'en adresse une ou deux à quelqu'un de Nantes, ami, ou supérieur, comme proviseur ou collègue. Je n'en ai malheureusement que très-peu : 7, je crois et celle de Mme Jamet, 6. D'ailleurs si Jamet en voulait 3 ou 4, il n'aurait qu'à envoyer les adresses, mais le plus vite possible, à mon oncle qui en avait encore une cinquantaine.

Mon oncle en a bien fait 300 au moins rien que pour le département de l'Yonne : maires, notaires, curés, archevêque, fonctionnaires, conseillers généraux, députés, sénateurs (il a rayé de sa liste Mr Paul Bert), mais a mis, si cela peut t'intéresser les Rampont, Lepère, Mathé, Ribière, Dethou, Saval, etc... Comme faisant part, il a omis naturellement ce polisson de Paul. Je t'ai déjà parlé, à propos, de la situation de sa soeur à Chemilly. Quel dommage qu'elle ne soit pas un peu plus dégourdie, un peu plus instruite et distinguée, veux-je dire. Jules Jacquillat lui ferait faire, je parie, un vrai mariage. Pour le 1/4 d'heure, elle est d'ailleurs fort bien soignée et traitée, recevant même (entre nous) une sorte de dot anticipée sous forme d'annuités qui équivalent au traitement d'un officier de la Légion d'Honneur (ceci, bien entendu, pour toi seul, Henry-St-Cyr et Marie-Victor) ; n'en rien rapporter, par exemple, de St-Cyr à Paris.

Je t'ai déjà dit d'ailleurs que beaucoup de choses se diraient qui ne peuvent s'écrire. Tu vois suffisamment, par le récit qui précède, combien il m'était impossible d'aller à Nantes et, à plus forte raison, de m'en retourner par Bordeaux. J'ai bien regretté surtout de ne pas pouvoir passer quelques heures avec cette pauvre Marie comme je me l'étais si bien promis. A présent, sauf circonstance très majeure, il me serait impossible d'obtenir plus de 48 h. de permission d'ici au mois de 7bre ou d'8bre.

 

Je vais relire maintenant tes différentes lettres en répondant aux questions que cette lettre aurait perdu de vue.

Mon oncle Jules n'assistait pas à la cérémonie parce que son zona ne l'a pas complètement quitté, parait-il ; ensuite et surtout parce qu'en faisant du bois, la veille, il se serait piqué la main et l'aurait démesurément enflée. Mon oncle eut été sensible, quand même, je crois, à sa présence. Donc son absence...

Melle Crançon : cette lettre fait allusion à deux demoiselles de ce nom, l'une mariée au juge de paix de Rueil, l'autre à un officier d'infanterie (chef de bataillon à Albertville, Mr Rocher). Mr Crançon père (j'ignore s'il a une soeur) a été juge de paix, il n'y a pas très longtemps encore (pas 2 ans) à Argenteuil. Mr et Mme Crançon font part comme proches parents. Est-ce ta demoiselle ?

Mr Mauger était à la cérémonie de Paris. Non, l'oncle Pacifique n'a pas couché à Auxerre ; seul, mon oncle Charles est descendu à Auxerre le vendredi soir.

Mme de Monicault est assez souffrante en ce moment : tu sais sans doute qu'elle a subi, ces dernières années, une opération comme ma tante de Chaumes. Il paraît que ça se rouvre. On serait même assez inquiet. Mon oncle lui-même ne l'a pas encore vue depuis son retour. Tu sais d'ailleurs que je ne l'ai jamais rencontrée nulle part depuis 6 ans, pas plus que feu son mari.

Jules Jacquillat craint surtout un appel ; il a gagné en première instance. Pourquoi, depuis 2 ans, ne quittes-tu plus toi-même Bordeaux que pour Boussenac-les-petits-cochons ou Montalivet-les-eaux-chaudes ? L'oncle et la tante Charles doivent aller en Bourgogne, t'ai-je dit, pour la Pentecôte. Le bruit a couru à Bercy et à Passy que tu étais venu récemment à Paris et avait même dîné chez Alph. ou Arsène Landry. J'ai remis à l'avant-dernier la carte que tu lui avais destinée.

La mauvaise affaire où tu me crois créancier est celle de l'Union financière à laquelle j'avais confié tes 2 titres du Printemps. Tu sais bien que, par prudence, je m'étais porté créancier aussitôt après la faillite pour le prix de vente des 2 actions. Les titres m'ayant été rendus, tu cesses d'être créancier.

J'ai envoyé tes journaux à Chemilly.

Mr Jules Grant n'est plus jamais chez lui.

C'est bien un de mes camarades de régiment qui est devenu fou à la gare de Lyon.

Mr Clément n'avait pas fermé sa lettre, attendant ma rentrée au passage du Caire pour me demander si j'avais quelque chose. Je suis rentré après le courrier, t'ayant précisément écrit ce jour-là de chez Ernest.

Oui, j'ai bien reçu le 2e rasoir. Merci. Je croyais t'en avoir accusé déjà réception.

Les Jeligot remontent, je crois, et dépasseront sans doute le pair dans le courant de l'année. Ils sont de 5 frs au-dessous, je crois, actuellement.

Non, l'oncle n'a rien décidé encore. Bordeaux, où il ne connaît personne, n'est pas pratique. J'imagine qu'il ira de temps en temps à Irancy et n'y séjournera plus sérieusement qu'au moment des vendanges, pour revenir ensuite à Paris, quelque temps sans doute à Troyes où seront les de Meyrignac. Irancy, je crois, est une propriété de la tante, venue des Mauger, elle n'a jamais été aux Jacquillat. Pourquoi déshériter ainsi ce pauvre Montigny.

Je ne vois pas trop, pour le moment, à qui je pourrai recommander ta protégée des Lits militaires. Je vais chercher.

J'ai reçu une lettre de Marx, sensible à tes visites, mais désolé, à l'entendre, que son état ne lui ait permis d'en rendre aucune. Les médecins l'ont envoyé à Dax : rhumatisme articulaire aigu.!

Je n'ai pas eu le temps de raconter à Henri le désastre financier de Bordeaux (familles Simon et La Châtre).

Bien pour la lettre de Mr Michel. Aug., agent de change ******

 

En voici déjà bien long, mon cher Père, et j'en aurais long encore à te dire sur ce voyage de 10 jours, dont je serai en somme satisfait, malgré les tristes circonstances qui l'ont déterminé, si malheureusement le voyage manqué de Nantes ne constituait pour moi un regret sérieux J'ai été heureux de trouver l'oncle Jacquillat plus affectueux que jamais pour nous tous ; mon oncle et ma tante Charles, en passable santé quoique mon oncle soit encore gêné par sa maudite toux.

Les Landry toujours aimables pour moi, ma tante Mauguin chez qui j'ai dîné est malheureusement un peu inquiète de la santé d'André et du 8e de Lucie. Louise, femme d'Ernest, attend son 7e (!) qui ne fera que le 4e ; Mme Edouard Juliard, son second ; Melle Degroux ( la 2e, cadette, Mme Bouvery), son 1er. La famille est en bonne voie.  Marie verra que tout le monde a ses peines  ******

En relisant une lettre de Marie, je vois qu'elle me demande de quoi est morte la tante : un rien, mon Dieu, avec ce poumon unique et cette santé si frêle, devait la finir. Elle aura eu froid un jour, ou aura trop causé un soir ; on ne sait. Elle s'est éteinte après 10 ou 15 jours de lit, sans agonie. Mon oncle Pacifique et Mr de Meyrignac ont assisté à la mise en bière. Mme était arrivée 3 ou 4 jours avant la mort, de chez sa mère, Mme de la Celle de Lain, pour soigner sa tante. Elle avait pris le lit le jour du 49e anniversaire de son mariage.

Demande donc à Marie de quelles cartes du jour de l'an envoyées à Besançon elle veut parler. Marie répondra ******. Je ne vois qui ils peuvent connaître ici. Quant aux lettres de faire-part, on n'avait rien à leur envoyer. A une lettre de faire-part, on ne répond que par une ou plusieurs cartes envoyées à celles  des personnes y figurant que l'on connaît, ou du moins aux principales. C'est donc à moi pour les lettres de faire-part en question que les personnes de Besançon ont toutes envoyé des cartes. La même chose pour celles de la tante Pacifique. Si Jamet m'en fait envoyer une, par exemple, à son proviseur, celui-ci n'enverra pas de carte à Mr Firmin Jacquillat ou à Mr de Meyrignac qu'il ne connaît pas, mais à Mr et Mme Jamet.

Je te renvoie la carte de Mr Borrel que je n'ai pu voir. Je ne pouvais la laisser seule, avec ou sans enveloppe, puisque je devais la compléter de vive voix et qu'à elle seule elle ne disait rien, me laissant le soin de tout expliquer. Je lui ai fait envoyer une lettre de faire-part, car le jour où j'ai quitté l'oncle pour aller à la gare de Strasbourg, comme je lui expliquais ce que j'allais faire, il s'est rappelé avoir vu ce Mr avec toi à Tonnerre ; il avait même dîné chez eux, je crois, avec toi.

Je t'embrasse de bon coeur.

Ton fils dévoué et respectueux

                                                                                                                                                                            F. Jacquillat

 

 

Détail : comme mon oncle, l'annuaire de l'Yonne en main, venait de me dicter une quarantaine de noms de fonctionnaires - tout était fini - il me parle d'abord de les ajouter à sa liste ; puis, se ravisant : “ ce n'est pas la peine, va ; après moi, vous ferez comme vous voudrez ”. Enfin : “ D'ailleurs, ce sont des fonctionnaires qui ne le seront peut-être plus à ce moment-là. ”

 

J'ai accompagné un jour  ma tante chez Mr et Mme Davin, fille Mathais-Coquille, nouvelle accouchée, mariée avec un ancien officier de marine très complaisant, employé au Ministère de la Marine où il a rendu un service important à une cliente de mon oncle Charles lequel est très-bien, paraît-il, avec lui.

 

J'ai vu aussi Mme Galin toujours très affectueuse.

 

Recommande bien à Marie et Henri de ne pas laisser égarer ni traîner cette lettre et de te la renvoyer dès qu'ils l'auront lue.

 

As-tu reçu des cartes ? Mon oncle m'a dit qu'il en avait déjà reçu plusieurs des Landry.

 

Mr Broisat, l'ami de mon oncle, m'a invité à déjeuner à Besançon, chez son beau-frère, pour le lundi de Pâques.

 

 

* la femme de l’oncle Pacifique, née Marie Delphine d’Herminot, décédée le 8 mars 1882 (elle était née en 1812).

 

** Blaise Jacques-Dermineau (Irancy, 1737 - Vincelotte, 1801), marié à Marie Jodon, propriétaire, a eu 3 fils :

 

                - Nicolas Jacques (Irancy, 1769 - Serrigny, 1842) qui ajouta à son nom celui de Palotte et épousa Anne Jacquillat (Poilly, 1778 - Chemilly, 1802) : c’était le grand-père d’Emile Auguste Palotte (Tonnerre,1830 - Chouzé, 1885) que nous avons déjà rencontré.

 

                - Jean-Baptiste Jacques-Derminot (né en 1770 à Irancy).

 

                - Onésime Jacques-Derminot (Irancy, 1775 - 1811) qui épousa en 1805 Brigitte Adélaïde Mauger dont il eut 3 enfants : Onésime (Irancy, 1805), Jules Onésime (Irancy, 1808) et Marie Delphine (Irancy, 1812) qui fut la femme de Pacifique Jacquillat. Quant aux garçons, l’aîné épousera une delle de Chevannes (qui, veuve, se remariera avec un Mr Monnet) et en aura une fille qui, elle-même, épousa Arthur de La Celle et était la mère de Marguerite (mariée au baron de Meyrignac) et Joseph de La Celle ; le second fut le père de Georges Jacques d’Herminot.

 

*** Question - Orthographe du mot Dherminot. C'est ainsi que je l'eusse écrit. Sur les billets de part (messe, convoi, enterrement), on avait écrit D'herminot (grand D, petit h) ; sur les lettres de part, on a écrit D'Herminot (grand D, grand H). A quand d'Herminot ??

 

**** Alfred Jacquillat (Paris, 1822 - Gap, 1851), fils de Théodore Jacquillat, marchand de vin à Paris (né à Milly en 1796) et de Julie Ligeron. Théodore était le frère d’Edme Jean Baptiste, le père d’Alphonse. Alfred Jacquillat fut lieutenant d’infanterie.

 

***** 1 à Melle Pauline, 3 aux Gaultry.

 

******  mots interlignés au crayon par Alphonse Jacquillat.

 

nota : lettre de 9 pages format 16/18, nombreux rajouts, surtout dans le haut de la première page.

 

 

 

n° 149

Firmin Jacquillat (Besançon)

à sa tante Charles (Paris)

3 mai 1882

                                                                              Besançon, mercredi 3 mai

 

Ma chère Tante

 

Il me semble que je n'ai pas eu le plaisir de causer avec vous depuis un siècle, bien que cependant je vous aie déjà écrit une fois au moins, à vous ou à mon oncle, depuis le passage de Monsieur Broisat. Je n'ai pas grand chose, d'ailleurs, de neuf à vous conter : vous avez su par Henri, sans doute, le nouveau deuil dont notre famille vient encore d'être frappée par la mort d'un frère de maman, notre oncle Jules Landry de Sens. Il est tombé mort en pleine gare de Sens, après avoir couru un peu et s'être légèrement essoufflé, afin d'arriver à temps pour son train. Je crois qu'il souffrait depuis longtemps d'une maladie de coeur.

En tous cas, la morale de cet événement, ma chère Tante, c'est qu'il ne faut jamais se mettre en retard quand on va prendre son train.

Avez-vous su aussi que j'ai pu aller déjeuner tout récemment, moyennant 3 heures et demie de train omnibus et autant pour revenir, avec mon oncle et parrain généreux de Chaumes, le mardi 27 avril dernier, il y a eu hier 8 jours. Il était parti le samedi de Chaumes, escorté du fidèle Ranviot, le sonneur de cloches (mari de Seurette) et ensemble ils avaient été rendre visite du côté d'Auxonne à l'ancien curé de Chaumes.

Inutile de vous dire que mon oncle devait avoir plusieurs jeux de cartes dans ses poches. Pauvre curé, il a dû passer quelques belles nuits ! C'est à Talmay que mon oncle m'avait donné rendez-vous pour déjeuner chez Mr Bonnefoy (gendre Lagoutte de Dijon), notaire en ce pays de Talmay. Vous devez vous rappeler, et mon oncle aussi, ce petit homme court et gai de la noce de Laure, très chasseur : c'est ce Mr Bonnefoy.

Vous rappelez-vous aussi mon entrée triomphale dans la grande salle du haut pendant un  des déjeuners de cette période, avec un grand oiseau dont les ailes déployées touchaient terre, une buse pour l'appeler par son nom. J'ai retrouvé également ce souvenir, mais empaillé, dans la salle du dit Monsieur Bonnefoy de Talmay.

Mon oncle est toujours le même, très-gai et très-bien portant malgré ses douleurs qui n'ont cependant rien d'apparent ni sur son visage, ni sur sa démarche, ni sur son entrain habituel. Il faut le savoir.

Nous avons quitté tous ensemble Talmay dans l'après-midi, mon oncle ayant promis à Ranviot, quelque peu épouvanté d'ailleurs à cette idée et au souvenir de Seurette, qu'il le mènerait à l'Alcazar, les Folies-Bergères de Dijon, où ils devaient passer la nuit pour reprendre le lendemain la direction de Chaumes.

Quand vous verrez Monsieur ou Madame Broisat, vous pourrez leur donner de bonnes nouvelles de leur famille de Besançon. En faisant une ronde de nuit, avant-hier, j'ai même rencontré sur les remparts, à hauteur de la sentinelle n° 2, Mr Hirschy, le principal ouvrier de leur beau-frère. Vous pourrez dire aussi à l'occasion à Mr Broisat qu'il vient d'arriver un pur-sang normand à ma Batterie et que je lui en ferai admirer les allures à son prochain voyage à Besançon.

Mon oncle Jules se demandait à propos si vous iriez les voir, comme l'an passé, pour la Pentecôte ; il ne me serait plus possible, hélas ! de recommencer le coup de temps du buffet (fraises pas ordinaires).

Nous commençons cette semaine nos manoeuvres de 1ère classe au polygone : c'est vous dire que le service va marcher bon train. Il faut pourtant que je trouve le temps d'écrire à Mademoiselle Céline, votre cousine. J'attendrai cependant quelques jours encore afin que vous puissiez m'écrire et me donner vos commissions pour elle.

Adieu, ma chère Tante, je vous embrasse de bon coeur ainsi que mon oncle.

Votre neveu dévoué et respectueux

 

                                                                                         F. Jacquillat

 

Mes amitiés, bien entendu, à toute le maison.

 

Henri vous a parlé, bien certainement, de Nantes et de notre charmante petite nièce.

 

 

 

n° 150

Charles Jacquillat (Paris)

à Firmin Jacquillat (Besançon)

4 novembre 1882

 

 

                                                                              Paris, le 4 9bre 1882

 

Mon cher Ami

 

J'ai eu hier occasion de parler de ton mariage, nous en avons même causé longuement. Il ressort de tout ce qui m'a été raconté que, si tu n'es pas amoureux fou de la jeune personne, tu fais le mariage le plus sot qu'on puisse imaginer.

Il va sans dire que je mets la famille de côté, je ne connais aucun de ses membres, je la suppose la plus honnête et honorable de toutes les familles de France et d'ailleurs.

Toi et ton père m'avez affreusement trompé, vous m'avez toujours dit que la jeune-fille apportait en dot cent mille francs. Le calcul pour moi était bien simple et bien facile ; 5000 f de rente plus les appointements de 3000 f, total 8000 f. Avec cela, on peut vivre à deux, sans encore trop se lancer, attendu que les femmes d'officiers aiment la toilette, elles luttent entre elles au besoin ; je ne suppose pas que la tienne fasse exception.

Au lieu de 5000 f de rente bien net, ce chiffre, quand on est passé par la ritournelle d'histoires figurant sur le contrat se réduirait à 12 ou 14 cents francs, juste ce qu'il faut pour payer les gages et la [ ] d'une bonne.

Ce n'était vraiment pas la peine de faire tant de mystères et d'embarras, toi et ton père, pour atteindre un pareil résultat ! Comme le disait hier l'oncle Pacifique, tu aurais beaucoup mieux fait d'être un peu plus [                      ], car lui-même au besoin se serait chargé de te trouver et la femme et la dot ; mais alors une dot ne ressemblant pas à celle ci-dessus. Pour ta gouverne, lui comme nous en sommes tristes ! Son dernier mot a été celui-ci : ton père et toi avez agi comme deux fous

Ton père est bien coupable, car lui avait une expérience qui te faisait défaut, il aurait dû s'en servir. Je m'arrête, attendu que ce que je pourrais dire et rien doit aboutir au même but. Souviens-toi que tu vas te mettre une corde au cou dont tu connaîtras le poids plus tard !

Je t'embrasse, ton oncle et ton ami

                  

                                                                                         Ch. Jacquillat

 

 

Le 23 décembre 1882, Firmin Jacquillat épouse Berthe Malafosse, originaire de Bessan, âgée de 19 ans. Il a 27 ans.

 

 

 

1 8 8 3

n° 151

Firmin Jacquillat (Besançon)

à sa tante Charles Jacquillat (Paris)

14 mars 1883

                                                                              Besançon  14 mars 1883

 

Ma chère Tante

 

Votre lettre de dimanche nous a fait le plaisir d'abord que nous font toujours vos lettres, hélas si rares, mais elle nous a rendu encore particulièrement heureux, parce que la prolongation de votre silence nous faisait craindre une indisposition de l'un ou de l'autre de vous deux. Mon oncle Pacifique, par une lettre relativement récente, nous avait cependant informés qu'il vous avait vus plusieurs fois tous les deux et que vos santés étaient bonnes, mon oncle continuant, disait-il, à ressentir les bons effets de son traitement.

D'après votre dernière lettre, je vois que, les affaires donnant pas mal en ce moment, mon oncle s'est fatigué, qu'il tousse encore et que le froid dont nous souffrons lui est tout-à-fait contraire. Nous espérons malgré cela que la continuation, persistante quand même, de son traitement triomphera de cette vilaine toux et que les premiers beaux jours du printemps feront le reste. C'est vous, ma chère Tante, qui avez dû vous armer de courage pour faire ce voyage d'Auxerre par un froid pareil !

J'ai prié Berthe de vous demander quelques détails sur la mort de Suzanne et la façon dont le gd-père compte s'arranger maintenant. Vous en avez conféré déjà sans doute avec l'oncle Pacifique.

Berthe vous aura parlé aussi de sa tante Françoisette qui est enthousiasmée de la santé de sa nièce, de notre installation, de notre intérieur où elle s'occupe du matin au soir. Le froid seul et la neige la gênent un peu. Elle nous est arrivée le 27 février, pliant sous le poids des paniers de confitures et autres denrées méridionales, pois chiches, oranges, castagnons, etc... Elle avait changé de train à Vias, à Cette, à Tarascon; à Lyon et à Mouchard, en troisième ! et savait par coeur la famille et l'histoire de toutes les dames ses compagnes de voyage. Elle désirerait savoir si vous avez goûté son vin ; on ne vous a pas envoyé, paraît-il, les 12 bouteilles diverses, mises de côté par nous, parce qu'on craignait que quelques-unes (si vieilles !) ne fussent mauvaises - tandis qu'ayant ouvert une vieille bonbonne, trouvée excellente, on avait préféré vous en remplir douze bouteilles de qualité ainsi reconnue.

Vous nous parlez aussi du voyage de mon oncle Charles à Lyon : nous souhaitons bien qu'il n'y ait pas été appelé par une mauvaise affaire ; d'après votre dernière lettre et la nécessité où l'on s'est trouvé dimanche de travailler toute la journée au magasin, il semblerait que les affaires veulent reprendre. Tant mieux !

Mon oncle Pacifique est-il allé à Irancy ?

Adieu, ma chère Tante, je vous embrasse de bon coeur ainsi que mon oncle. Mon bon souvenir à Melle Hyacinthe et à ces Messieurs.

Votre neveu dévoué et respectueux.

 

                                                                              F. Jacquillat

 

1 8 8 4

n° 152

Berthe, puis Firmin Jacquillat (Besançon)

à la tante Charles Jacquillat (Paris)

25 mai 1884

 

 

                                                                              Besançon  25 mai 84

 

Ma chère Tante

 

Je crois que le moment est venu de vous annoncer une grande nouvelle me concernant. J'ai attendu parce que je n'étais pas sûre de la chose. Je crois en effet que je suis enceinte ; tout ce que j'ai éprouvé depuis quelques semaines semble me le prouver. Je vous prie cependant de n'en rien dire à personne, vous êtes la première avec mon beau-père à qui je l'annonce.

Firmin m'a dit qu'il était convenu depuis longtemps que vous voudriez bien servir de marraine à son premier-né ; je n'ai pas besoin de vous dire combien j'approuve son choix d'autant plus que ma tante nous répète souvent depuis quelques jours que c'est l'oncle Charles qui nous a porté bonheur.

Nous avons été bien heureux d'apprendre que vous viendriez peut-être nous voir cet été pour les fêtes. Seulement je crains que Firmin ne soit pas ici à cette époque : le régiment va aller à Bourges pour les Ecoles à feu. Il doit partir le 29 juin et être de retour le 17 ou 18 août. Il faut 15 jours de route pour aller et autant pour revenir. Bien entendu ma tante et moi resterons ici et nous serons bien heureuses de vous recevoir.

Nous avons bien pris part à la mort de votre frère que mon oncle nous a annoncée dans sa dernière lettre.

Nous avons de bonnes nouvelles de Nantes ; ils vont tous bien. Quant à Henri il ne donne plus signe de vie ; il y a au moins un mois qu'il ne nous a pas écrit, nous ne savons pas s'il est en France ou en Algérie. D'après sa dernière lettre il devait s'embarquer pour Marseille le 15 de ce mois et de là aller directement à Bordeaux.

Adieu ma chère tante, écrivez-nous bientôt car nous sommes bien heureux quand nous recevons une de vos lettres.

Nous nous réunissons pour vous embrasser ainsi que mon oncle de bien bon coeur.

Votre nièce dévouée et respectueuse

 

                                                                                         B. Jacquillat

 

Ma chère Tante

 

Deux mots à mon tour pour vous confirmer ce que vous écrit Berthe. Les plaisanteries de mon oncle sur “ les paresseux et les père et mère tranquilles, etc... ” semblent en effet avoir produit un résultat, dont je pense que vous vous réjouirez avec nous. C'est pourquoi nous vous en faisons part avant personne en vous priant bien de garder le secret jusqu'à nouvel ordre, afin de ne blesser personne. Nous l'écrirons à l'oncle Pacifique dans 8 ou 15 jours seulement, puis successivement aux autres parents et amis, à mesure qu'on aura occasion de leur écrire.

J'ai appris avec peine la mort du père de ce pauvre Louis. Que va-t-il faire maintenant, retourner à Lyon ou en Savoie ?

Mon oncle nous parlait aussi dans sa dernière lettre d'un projet de voyage arrêté entre ma tante Jules et vous pour l'anniversaire bout-de-l'an du grand-père. Y avez-vous donné suite ?

Comme vous le dit Berthe, je dois partir à Bourges vers la fin du mois prochain. Je regretterai bien de ne pas me trouver là; mais en revanche Berthe et sa tante seront bien heureuses de vous recevoir (c'est pour le coup que celle-ci ajourne son départ pour Bessan).

La question marraine est peut-être un peu prématurée (vu la date bien récente encore de événement) ; mais comme elle a été discutée et résolue depuis longtemps entre vous et moi je pense que vous voudrez bien n'y pas voir d'obstacle. Le père Malafosse sera heureux, je l'espère, de vous servir de compère : il faudra que nous le mettions prochainement au courant de la chose.

Adieu, ma chère Tante, écrivez-nous bientôt ; parlez-nous de votre indemnité et de vos santés.

Je vous embrasse, ainsi que mon oncle, de tout coeur ; la tante Françoisette également.

Votre neveu dévoué et respectueux

                                                                             

                                                                                         F. Jacquillat

 

Nous sommes en pleine inspection générale. J'aurais peut-être à écrire à ce sujet à mon oncle (au point-de-vue du gal Derroja).

                  

1 8 8 5

n° 153

Firmin Jacquillat (Besançon)

à sa tante Charles (Paris)

7 janvier 1885

 

 

                                                                              Besançon  7 janvier 1885

 

Ma chère Tante

 

Votre lettre si aimable d'hier nous a fait à tous bien plaisir. Le défilé de petites brassières, capeline, etc... que vous avez fait passer sous les yeux de Berthe et de sa tante les ont absolument éblouies et je vous assure, avec tous les éloges que vous en faites, qu'il leur tarde bien à toutes les deux d'admirer d'aussi jolis objets.

Mais la grande nouvelle de votre dernière lettre, c'est celle de votre maison vendue. Nous n'en savions rien, comme nous ignorons encore le nom de votre successeur. Nous attendons des détails : serait-ce un de ces Messieurs, Delarbre ou Schibler ?

En effet, mon oncle doit être bien fatigué avec ses deux affaires d'expropriation et de vente coup sur coup terminées : et après qu'il en aura fini avec tout, il fera bien d'aller avec vous se délasser dans votre retraite de Trilport. Nous serions tous bien heureux  de pouvoir aller vous y rejoindre de temps en temps et passer quelques jours avec vous. Mais pour que ce rêve put se réaliser, il faudrait que Besançon fut moins loin de Trilport. Le gal Lewal * est allié à la famille Tarbé-Landry : les ex-delles Soulages (ceci pour mon oncle) , ma tante Mauguin elle-même, voient souvent Mme Freignault, la soeur du général. Si je pouvais en profiter !

Mais pour le moment, ce n'est qu'une question secondaire, tant que Berthe ne nous aura pas donné ce que nous attendons. Et elle fait bien attendre ! Berthe commence à craindre que ça ne se passe pas comme ça. En tout cas le bébé s'annonce comme un vrai tranquille pour se presser si peu que cela.

Une dépêche vous avertira aussitôt que ce petit tranquille se sera décidé à montrer son nez.

Berthe vous remercie beaucoup de votre offre gracieuse relativement à ce qui pourrait lui être agréable sans faire double emploi. Elle me charge de vous remercier d'abord et de vous répondre ensuite que la seule chose nécessaire qui lui manque (car elle s'est dispensé complètement, dans sa layette, du superflu) serait une pelisse blanche ; mais comme elle n'en doit avoir qu'une et qu'elle devra la mettre au bébé toutes les fois qu'il sortira, elle vous recommande bien de l'acheter simple.

Adieu, ma chère Tante, je vous prie en terminant de vouloir bien me faire envoyer (après rectification s'il y a lieu) les deux listes d'adresses ci-incluses. C'est en prévision des lettres de faire-part et pour n'être pas pris au dernier moment. Vous ferez, pour  la liste de mon oncle, toutes les modifications ou additions que vous jugerez à propos.

Nous nous réunissons tous pour vous embrasser tous deux de bien bon coeur.

Votre neveu dévoué et respectueux

 

                                                                                         F. Jacquillat

 

Mon oncle Jules de Chaumes nous a écrit dernièrement que ma Tante se joindrait sans doute à vous pour le baptême, à Darcey, au passage. Elle doit apporter une maîtresse dinde, élevée spécialement, dans cette intention, par la mère Seurette.

 

L'une des listes est pour mon oncle Pacifique.

 

 

* Jules Louis Lewal (1823-1908), général de division, ministre de la Guerre, Cdeur de la Légion d’Honneur, est un descendant direct (arrière-petit-fils) de Madeleine Dominique Tarbé (1733-1787), soeur de Pierre Hardouin Tarbé, et de Claude Epoigny de la Gruerie (1734-1780). Il est donc directement apparenté aux Soulages, Degroux, Bouvery, ainsi qu’aux Fraigneau, Brunet-Debaisnes, etc.. et indirectement à tous les descendants de Pierre Hardouin Tarbé et de sa femme, Colombe Pigalle.

 

 

 

n° 154

Firmin Jacquillat (Besançon)

à sa tante Charles Jacquillat (Paris)

11 janvier 1885

 

                                                                  Besançon  11 janvier 1885

 

Ma chère Tante

 

Je n'ai pu trouver hier que le temps de vous télégraphier : je n'en ai pas beaucoup, encore aujourd'hui, pour vous écrire, mais je ne veux pas cependant tarder davantage à vous donner quelques détails. C'est dans la nuit du jeudi au vendredi que Berthe a commencé à souffrir de douleurs qui ont duré encore toute la journée, sans toutefois l'empêcher de se lever ni de se mettre à table avec assez d'appétit encore. Mais vers la fin du dîner, les douleurs devenant plus vives, elle a dû quitter la table. Elle s'est mise au lit vers 9 h et après avoir ressenti de sérieuses douleurs de 10 h à 1 h moins 20 (heure exacte), elle a mis au monde votre filleul. Elle a été très courageuse et déclarait encore, une 1/2 heure avant la fin, qu'elle préférerait encore souffrir de la même façon 2 heures pour être certaine d'avoir un garçon.

La sage-femme et moi nous étions seuls dans la chambre. Quant à cette bonne tante Françoisette, j'avais dû l'enfermer dans la cuisine : sa figure était tellement décomposée que c'était plutôt elle qui avait l'air d'être en mal d'enfant. Elle pleurait, se mouchait et priait. Berthe elle-même ne pouvait s'empêcher de rire en la voyant si bouleversée. Même à la cuisine, elle n'a pu reprendre complètement ses sens et je l'ai vu mettre le sel destiné au pot-au-feu dans un bain de siège laissé à la cuisine. Aussitôt Berthe délivrée, j'ai rendu la liberté à la Tante dont la joie immodérée et l'enthousiasme sans bornes faisaient un vrai contraste avec l'abattement de tout-à-l'heure.

Le bébé est énorme, parfaitement bâti, et en raison de sa grosseur il a fait souffrir davantage sa maman. Il pesait en naissant 4 k 400, en tenant compte bien entendu de ses effets ; bref 4 k 400 nu, c'est-à-dire près de 9 livres à 100 grammes près ; et la circonférence de sa tête mesure 36 cm, ce qui fait un diamètre à peu près égal à la largeur de cette feuille de papier à lettre !

Naturellement la tante déclare qu'elle n'a jamais rien vu de plus beau, qu'il est d'une intelligence extraordinaire pour son âge, qu'il la reconnaîtra dans trois jours, etc, etc...

Le fait est que jusqu'ici il est très sage, dort tout le temps et ne crie presque pas, excepté quand la sage-femme le nettoie. Il est gras comme un moine, ouvre les yeux, tête déjà pas mal et s'acquitte consciencieusement  de toutes ses fonctions.

J'ai reçu ce matin un mot aimable de mon oncle Pacifique. Il est très content que ce soit un garçon. Il me demande des nouvelles de Berthe : je lui en donnerai demain, mais comme vous le voyez souvent, vous pouvez lui communiquer aussi ce qui pourrait l'intéresser de la présente.

Vous connaissez certainement la nouvelle du départ d'Henri pour l'Algérie d'abord et pour le Tonkin ensuite, selon toute probabilité. Il doit être au comble de ses voeux. Il m'a seulement adressé un journal contenant la nouvelle. Je lui ai adressé, à ce sujet, hier, en plus de ma dépêche, une longue lettre qu'il aura reçu, j'espère, avant son départ de Limoges.

Berthe se porte aussi bien que possible pour sa position. Je vous donnerai de ses nouvelles dans le courant de la semaine. Adieu, ma chère Tante, nous nous réunissons pour vous embrasser ainsi que mon oncle de bon coeur.

Votre neveu dévoué et respectueux

 

                                                                                         F. Jacquillat

 

Marx vient de perdre son beau-frère, c'est-à-dire son neveu, à 26 ans : il laisse un bébé. C'est une famille bien éprouvée. Le frère mort fou, la mère morte l'année dernière, la soeur malade, le neveu mort, etc

                                         

 

 

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En 1886, Alphonse Jacquillat a pris sa retraite des Chemins de fer du Midi ; il travaille durant 6 mois aux chemins de fer économiques de la Gironde, puis en démissionne pour incompatibilité d’humeur avec son chef de service, Mr Barra.

Il se retire à Talence dans une maison située 17, cours Gambetta ; il rachètera une maison et des terres à Léognan et continuera le commerce du vin.

Il décédera à Talence le 25 janvier 1900 ; il est inhumé à Léognan auprès de son épouse Amélie.

 

Naissance d’Henri Firmin Alphonse, second fils de Firmin, le 01 mai 1887 à Tulle.

 

 

 

n° 155

Firmin, puis Berthe Jacquillat (Tulle)

à la tante Charles Jacquillat (Trilport)

14 août 1887

 

 

                                                                              Tulle  14 août 1887

 

Ma chère Tante

 

Nous nous réunissons, Berthe et moi, pour vous adresser, à l'occasion de votre fête, nos plus affectueux compliments. Si je ne me trompe, ma tante Jules a dû vous quitter hier samedi ; c'est du moins cette date que me fixait mon oncle dans une lettre récente. La perspective de votre fête lui aura peut-être fait retarder son départ de quarante-huit heures. Le séjour de Trilport lui a plu beaucoup, paraît-il,  et, vos gâteries aidant, elle emporte un bien agréable souvenir de ses petites vacances au milieu de vous.

C'est en vain que j'ai insisté et que j'insiste pour décider soit mon oncle ou ma tante à pousser jusqu'à Bessan pendant que nous y serons et à revenir avec nous à Tulle, pour manger des châtaignes après le raisin. Je crois que notre proposition, pas plus qu'à Trilport, hélas, n'a pas l'air de mordre beaucoup jusqu'ici. Notre espoir n'a pas complètement disparu, mais il est un peu affaibli.

Ma tante Héloïse ne me parlant pas de vos santés, nous en avons conclu qu'elles étaient bonnes, ce dont nous vous félicitons et, à l'occasion de votre fête, je vous souhaite bien sincèrement continuation de cette bonne santé.

Etes-vous toujours contente de votre bonne, vous ne nous en parlez plus. J'ai vu sa soeur il y a deux jours, devant sa porte, et nous lui avons demandé si sa soeur était contente. Elle nous a répondu que vous étiez bien bonne pour elle, et qu'elle vous aimait beaucoup, elle nous a parlé d'une récente promenade au Bois de Boulogne, je crois, dont elle a été ravie, etc...

Bonnes nouvelles de Nantes, Chatellerault et Bordeaux, remontant à une semaine environ.

Ma tante Héloïse avait-elle de meilleures nouvelles de Joseph quand elle vous a quittés ?

Berthe vous parlera de ses bébés. Charles est un grand personnage dont les réflexions amuseraient bien sa bonne marraine, surtout quand il fait de la morale à son petit frère, sur la malpropreté de ses maillots. Ils s'aiment beaucoup tous les deux et le petit commence à connaître très bien le grand.

Notre départ, différé pour que Berthe assiste aux vendanges et en fasse profiter, le cas échéant, mon oncle et ma tante Jules (avec mon oncle ou ma tante Charles), notre départ, dis-je, s'effectuera au plus tard du 20 au 25 ct.

Adieu, ma chère Tante, je laisse un peu place à Berthe et, vous renouvelant tous mes souhaits de bonne fête, vous embrasse de bien bon coeur, ainsi que mon oncle.

Votre neveu dévoué et respectueux

                                                     

                                                                                         F. Jacquillat

 

Ma chère Tante

 

Je me joins à Firmin pour vous adresser nos souhaits de bonne fête. C'est vers cette date que nous sommes arrivés à Trilport l'été dernier où nous avons passé quinze jours si agréables. Seulement Charles, à ce moment-là, était insupportable ; il est un peu plus raisonnable maintenant, depuis surtout qu'il a un petit frère.

J'ai commencé à lui apprendre à lire et, en deux leçons, il a appris à connaître toutes les voyelles et quelques consonnes ; s'il continue, dans quelques jours il saura lire ses lettres.

Henri promet un bien bon caractère, il rit toujours. Il a six centimètres de longueur de plus que Charles au même âge et pèse une livre de plus.

Nous serions bien heureux si vous vous décidiez à venir faire les vendanges à Bessan avec notre tante Jules. C'est à cause des vendanges que nous avons retardé notre départ, nous ne partirons que dans huit jours.

Nous cherchons en ce moment une bonne d'une 50ne d'années pour papa, la vieille Rosan que vous connaissez est devenue presque aveugle et a été obligée de quitter.

Adieu, ma chère Tante, je vous embrasse de bien bon coeur ainsi que notre oncle.

Votre nièce dévouée