1 8 6 0 - 1 8 6 1

 

Retour

 

En 1860,  Alphonse Jacquillat fait appel à toute sa famille, belle-famille, amis et relations pour obtenir la Légion d’Honneur : c’est en vain.

En décembre 1861, il démissionne des Chemins de fer et s’établit négociant en vins à Bercy où il habitera 1, rue Soulage (dans les entrepôts).

 

 

n° 24

Jean François Landry (Sens)

à Alphonse Jacquillat (Paris)

15 juillet 1860

 

 

                                                                              Sens, le 15 juillet 1860

 

Mon cher ami

 

J'ai reçu ce matin, sous le couvert du Ministère d'Etat, une lettre de Mr Camille Doucet * dont voici la copie :

      

       Ministère d'Etat                                                         Paris, le 14 juillet 1860

 

                   Mon cher Maître

 

Je reçois la lettre que vous avez bien voulu m'écrire et je m'empresse de vous assurer du vif plaisir que j'aurai à faire une démarche en faveur de Mr Jacquillat.

La bienveillance que vous m'avez toujours témoignée est un de mes meilleurs souvenirs ; je suis tout heureux de pouvoir mettre à votre disposition un peu de crédit et beaucoup de bonne volonté.

Agréez, je vous prie, l'assurance de mon ancien et très sincère dévouement.

                                                                                         Camille Doucet         

Voilà, j'espère, une bonne réponse ; si, comme je n'en peux douter, Mr Camille Doucet est sincère, notre affaire doit bien marcher et aboutir.

D'après ce que tu m'écris aujourd'hui, je t'envoie encore un petit mot pour Mr Camille Doucet que tu peux lui faire parvenir ; peut-être ferais-tu bien de le lui porter toi-même, je suis sûr qu'il te recevrait bien et qu'il serait bien aise de faire ta connaissance.

Quant à Ernest, il ne le connaît pas du tout, il ne lui a jamais parlé et il ne peut lui écrire ; d'ailleurs ce qu'il pourrait lui dire ne pourrait, à mon avis, qu'amoindrir la valeur de mes deux lettres. Mr Camille Doucet pourrait croire que tu n'as pas grande confiance dans mes recommandations ; cela me contrarierait.

Vas donc le trouver, explique lui la chose, il n'y a rien de mieux que cela à faire. Tu ferais très bien aussi d'aller voir Mr Vuitry et de lui dire franchement que, de mon propre mouvement, j'ai écrit à Mr Camille Doucet. Tu pourras, si tu le juges convenable, faire voir à ces messieurs l'article du Sénonais du 25 juin 1858.

Qu'est-ce que les Maupâté vont donc faire à Lyon ?

Adieu, mille amitiés de nos parts. Tout à toi                                               

 

                                                                                         Landry père

 

 

* Camille Doucet : auteur dramatique, né et mort à Paris (1812-1895). Il étudia le Droit, entra dans l’administration et devint Directeur des théâtres (1863). Il fut élu à l’Académie Française en 1865 et en devînt Secrétaire Perpétuel en 1876.

 

 

n° 25

L. Fouberg  * (Paris)

à Camille Doucet (Paris)

21 août 1860

 

 

                                               A Monsieur Camille Doucet

 

                Hier, en vous quittant, ma première pensée

                Fut d'aller m'enquérir si votre âme exaucée

                Comptait chez ses amis un décoré de plus.

                Hélas ! Il n'était pas du nombre des élus !

                Un mortel plus heureux avait conquis sa place

                Et comme on sait toujours trop tôt une disgrâce,

                J'ai conservé pour moi le secret révélé.

                Mais aujourd'hui, Seigneur, que l'oracle a parlé,

                Je n'ai plus de raisons pour garder le silence

                Et retarder d'un jour certaine confidence.

                “ Il s'en est peu fallu ”, m'a-t-on dit et je crois

                Que son nom sortira dès la prochaine fois.

                Vous, si compatissant pour toutes les souffrances,

                Vous pourrez donc donner de fermes espérances

                Et porter dans les coeurs la consolation.

                Qui peut mieux en remplir la douce mission

                Que vous, Monsieur,  chez qui la verve du comique

                Rehausse la bonté d'un grain de sel attique

                Et qui réunissez par un rare bonheur

                Les grâces de l'esprit à tous les dons du coeur.

 

                                                    L. Fouberg

 

                21 août 1860

 

 

* chef de bureau au Ministère du Commerce et de l’Industrie.

 

 

n° 26

Adolphe Vuitry  (Paris)

à Jean François Landry (Sens)

10 décembre 1860

 

 

                                                                              Paris, le 10 décembre

 

Monsieur et cher compatriote

 

Je viens de passer au Ministère des Travaux Publics, mais sans pouvoir rencontrer Mr Rouher ; je le verrai dans quelques jours et je me ferai un plaisir de lui reparler de Mr Jacquillat. Mais je ne pense pas que le moment soit opportun : car depuis plusieurs années, il n'y a plus de nominations dans la Légion d'Honneur à l'occasion du 1er Janvier et dans les ministères on ne fait plus dans l'année qu'une seule promotion au 15 août.

Quand vous voyez dans les journaux l'annonce de quelque croix donnée individuellement, soyez assuré que cela tient à des circonstances tout-à-fait exceptionnelles. Ainsi si Mr Tillac, chef de gare des marchandises au chemin du Nord a été récemment décoré, c'est qu'au dernier voyage de l'Empereur à Compiègne, Mr de Rothschild qui l'accompagnait lui a directement demandé la croix pour Mr Tillac et que cette demande faite en présence de Mr de Morny qui le connaît beaucoup a été vivement appuyée par celui-ci. L'empereur a dit oui et le ministre n'a eu qu'à exécuter.

Je voudrais bien que quelque circonstance comme celle-là put se présenter pour Mr Jacquillat ; mais, sans cela, vous ne pouvez espérer réussir que dans une promotion générale comme celle du 15 août et je ne crois pas vous avoir jamais dissimulé que cela soit difficile. Je ne crois pas surtout vous avoir parlé du 1er janvier comme d'une époque à laquelle il y avait chances pour que la chose se fit. Ce que j'ai dû vous dire, et ce que je vous renouvelle avec empressement parce que cela est vrai, c'est que je ne me lasserai pas de faire les démarches les plus actives dans l'intérêt de Mr Jacquillat et que je serais très heureux de pouvoir enfin obtenir pour lui la faveur qu'il désire.

Croyez, cher Monsieur, à l'expression de mes sentiments les plus dévoués

 

                                                                                         Ad. Vuitry

 

 

nota : Adolphe Vuitry, conseiller d’Etat. Voici la notice de la Biographie-Statistique de MM. les membres de la Chambre des Députés de la Législature de juillet 1842 à 1846, rédigée sur des documents authentiques par deux hommes de lettres (Dauvin et Fontaine, 1846), relative à son père :

 

“ M. VUITRY, ancien ingénieur des ponts et chaussées, membre du conseil général de l’agriculture et du conseil général de l’Yonne, est âgé de 60 ans (né en 1786).

Il est député de l’arrondissement de Sens depuis 1835. Et, depuis cette époque, il a pris une très grande part aux travaux parlementaires. Il a parlé sur les routes, les caisses d’épargne, les lois de finance et d’administration. Il a été rapporteur d’un grand nombre de lois et de propositions, de celles notamment qui ont eu pour objet le dessèchement des marais, le budget du ministère du commerce et des travaux publics de 1839, le budget des recettes de 1841, le budget des dépenses de 1843, le règlement des comptes de 1841, le budget des recettes de 1845 et 1846, le droit d’enregistrement de certains actes de la juridiction des juges de paix, l’abrogation de l’article 3 de la loi du 11 juin 1842, la taxe des lettres.

Son concours n’a manqué à aucun des cabinets qui se sont succédé depuis qu’il a un concours à donner aux cabinets.

M. Vuitry, son fils aîné, est maître des requêtes au conseil d’Etat. M. Darcy, son gendre, est préfet du Gard. Il a, en outre, d’autres fils et parents occupant tous de hauts emplois dans l’administration.

 Le concurrent de M. Vuitry sera, cette année, M. Victor Guichard, membre du conseil général de l’Yonne. ”

 

 

n° 27

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

8 février 1861

 

                                                                              Sens , le 8 février 1861

 

Il me semble en effet que je suis un peu en retard avec toi, ma chère Amélie, cependant il n'y a pas 15 jours d'intervalle entre ta lettre du 21 janvier et celle du 5 de ce mois que j'ai reçue avant-hier. Je veux te dire d'abord que ce n'est pas ma santé qui m'a empêché de te répondre, car je me porte maintenant très bien ; mais aussi je me ménage. Je ne sort ni par le froid, ni par le tems humide et surtout le brouillard qui règne assez souvent depuis quelque tems.

Ce n'est pas ma santé qui me préoccupe, mais celle de cette pauvre Caroline dont je suis très inquiet et tu vas voir par sa lettre que j'ai reçue hier et que je t'envoie, pour toi et Victorine à laquelle tu la feras voir ainsi que celle-ci, je le pense, qu'il y a bien de quoi se tourmenter et aussi j'en suis bien triste. Je lui ai répondu dans un petit paquet que Mr Dechampgobert lui portera demain en demandant que son mari tâche de me jetter de tems en tems un mot à la poste ; mais Félix le pourra-t-il, il est si occupé. Mr Payen est aussi bien tourmenté par une maladie grave de Mme Boyer, sa fille aînée, il est parti hier soir avec le docteur Moreau pour Villiers-St Benoist où elle demeure ; ces messieurs ne sont pas encore revenus. Voilà un commencement de lettre bien triste, que le Bon Dieu veuille que la prochaine fois je n'aie que de bonnes nouvelles à te donner.

Je te remercie pour les détails que tu me donnes dans ta lettre du 21 janvier sur Alphonse Levert et Mr Tarbé des Sablons *, ils m'ont bien intéressé. La première fois que tu verras ton oncle, tu lui diras, en lui faisant bien mes compliments, que s'il veut bien me donner des nouvelles de ses enfants, de leur installation à Poitiers, il me fera plaisir. Le pauvre Jules Guyot va mal, il ne veut  pas manger ou il ne le peut pas ; il ne prend que quelques bouillons ou du chocolat, aussi est-il fort maigri. D'après ce que l'on m'a dit, je crois bien qu'il ne vivra pas encore longtems. Mme St Hardouin reçoit dans sa chambre, j'y suis allé lundi dernier, il y avait encore 14 personnes ; j'ai trouvé que c'était bien gai. Mme Gaultry avait envoyé une dépêche télégraphique à ton mari parce qu'on aurait voulu remettre Marie Guyot à Mme Tarbé, mais Mr Myon est venu la chercher ; on l'a envoyée à Bezançon pour éviter qu'elle n'apprenne la position de son père. Il n'est pas du tout question ici de la nomination de St Hardouin à Rouen

J'espère que tes enfans et toi avez reçu de beaux cadeaux, j'aurais bien voulu voir tout cela. J'ai payé tes bottines à Jouan et au terme d'octobre de ma pension je prierai Mauguin de te remettre les 25 fr. que j'ai reçus d'Ernest. Tu me demandes si Mme Dalichamp a donné des étrennes à Lucile ou à son fils ; elle lui a envoyées des très jolies boucles d'oreille en diamant qui valent, dit-on, de 2 à 300 fr. Je t'assure que c'est une bien bonne mère, c'est elle qui paye toute la dépense de Lucien, jusqu'à un charmant petit lit de fer que Mme Ernest a acheté à son dernier voyage de Paris. Celle-ci va assez bien quoiqu'elle se fatigue beaucoup à tout plein de choses qu'elle veut faire elle-même, jusque dans son grenier ou à la cave ; mais elle ne compte pas accoucher avant la mi-mars et n'a demandé sa mère que pour le 15. Lucien est toujours superbe enfant, il n'a plus de bobos à la figure, il commence à se tenir sur les jambes et un peu à marcher, mais il ne veut pas faire de dents ; sa mère se fait une fête de le retirer de nourrice.

Je crois avoir répondu à la première de tes deux lettres, voyons maintenant pour la seconde. Tu me dis que tu as bien pensé à moi le 29 janvier **, je n'en doute pas, car c'est un jour bien mémorable pour nous tous ; j'avais reçu le matin une lettre de Jenny, je t'assure que j'ai passé cette journée bien tristement. Je suis allé au cimetière porter une couronne sur la tombe de votre sainte mère, c'est toujours une consolation pour moi quand je peux aller dans ce triste lieu où les souvenirs de mon bonheur passé me reviennent plus vivans que partout ailleurs.

J'ai fait ta commission près de Mme Charles Bazin qui emportera le brûle-tout que j'ai fait faire pour toi et que tu pourras envoyer chercher par Farinet. Mr Dechampgobert va mieux. Je sais que Mme Bourdillat est venue à Sens pour un bal à la sous-préfecture qui a eu lieu samedi dernier et pour celui de l'Hôtel-de-Ville qui se donne demain ; je ne l'ai pas vue. On dit qu'elle était très belle à la sous-préfecture, qu'elle avait une robe d'au moins 500 frs. Son mari disait à Ernest qu'il ne pouvait pas vivre à Paris avec 15000 frs et que son père allait à partir de cette année lui faire 24000 frs de rente pour le faire rester à Paris ; grand imbécile !

L'on a beaucoup parlé du bal de Mr Déligaud . Il avait invité 500 personnes, il y en avait au moins 200. L'on dit qu'il lui a bien coûté cent louis, tout y était à profusion. C'est le seul auquel ton frère soit allé. L'abbé Déligaud est revenu de Rome, il est , dit-on, placé curé dans une petite commune du canton de Villeneuve-le-Roi.

Nous aussi, nous passons notre Carnaval bien tristement ; cependant j'ai eu hier Ernest et sa femme à dîner dans ma chambre, pour manger des côtelettes de chevreuil que Foussé *** avait donné à ton frère et un canard sauvage qu'Augustine m'a envoyé des Riceys. Je suis bien content que Gabrielle aille tout-à-fait  mieux. Si j'avais un permis gratis, j'irais voir Caroline, mais je n'ose pas en demander à Mr Mitchel qui m'en a si obligeamment donné un à mon dernier voyage à Paris, pour y retourner dans la belle saison. Je n'ai pas encore pu voir Foussé pour le mariage dont tu me parles.

Adieu, ma chère fille. J'espère que voilà une bonne causerie dont tu seras contente, ne m'oublies pas auprès des Mauguin et reçois toujours pour toi, ton mari et tes charmants enfants, l'assurance de mes plus tendres et plus sincères sentiments. Mille choses de la  part des Ernest et de tous les parents de tous les côtés

                                                                             

                                                                                         Landry père

 

Tu diras à André que sa bonne amie Marie Carillou est accouchée le 29 janvier d'une fille qu'elle a nommée Alice Ber[            ] qu'elle nourrit avec succès. Ma première lettre sera pour Victorine ou son mari.

 

 

adresse sur la 4e page de la lettre-enveloppe :           à madame Jacquillat

                                                                              à la Gare de la ligne de Lyon

                                                                              à Bercy                  Paris

 

* Edmond Tarbé des Sablons (1838-1900), journaliste et homme de lettres ; il fonda le Gaulois en 1868. “ On sait quels services ce journal a rendu et rend encore tous les jours à la cause impérialiste. M. Edmond Tarbé qui n’a pas cessé de prendre une part active à la rédaction du Gaulois s’est toujours signalé par son sens politique et la justesse de ses appréciations. ” (Paul de Cassagnac : L’Aigle, almanach illustré du Suffrage universel - 1875)

 

** Jean-François Landry a épousé Victoire Tarbé le 29 janvier 1817.

 

*** Césaire Foussé, gendre de Joseph Carlier, dont il avait épousé la 2e fille, Caroline.

 

 

n° 28

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

10 juillet 1861

 

 

                                                                  Sens, le 10 juillet 1861

 

Ma chère Amélie

 

Je t'ai envoyé il y a quelques jours un prospectus des fêtes Thénard dont les préparatifs sont immenses ; nous avons ici l'entrepreneur de toutes les fêtes du gouvernement qui construit les arcs de triomphe et prépare des décorations splendides ; il paraît que ce sera magnifique. Je compte toujours que tu viendras avec ton mari et au moins Firmin, mais il faut que tu me l'écrives afin que je puisse préparer les logements. Fais-moi le plaisir d'envoyer cette lettre aux Mauguin qui m'ont bien promis de venir et sur lesquels je compte aussi ; je les prie également de me prévenir du jour de leur arrivée. Ils ont pu voir sur le prospectus que j'ai envoyé à Victorine qu'il y aura des billets à prix réduit qui seront valables à partir du 18 à midi jusqu'au 22 à la même heure.

Tu as vu par la lettre de Caroline combien elle est heureuse et contente d'être à Compiègne et comme elle se porte bien ; quel bonheur pour elle et pour nous que sa santé se soit si bien rétablie. J'ai reçu une lettre de Jules qui paraît content des Eaux de Cauterets ; il me dit que sa femme est toujours bien triste, mais j'espère que le voyage lui fera du bien : s'ils s'arrêtent à Poitiers comme ils en ont le projet, j'espère qu'Alphonse Levert égayera un peu Augustine.

Je ne veux pas finir cette lettre sans te remercier de celle que tu m'as écrite pour ma fête. Les détails que tu me donnes sur la famille Soulage m'ont bien intéressé ; je te prie de leur faire à tous mes compliments. Je ne te donne pas de nouvelles de Sens ; je les garde pour le moment où tu seras ici. Je me trouve assez bien dans le moment et serai bien heureux de vous revoir tous.

 Il y aura tant de monde à la fois pour ces fêtes Thénard que l'on craint de manquer de vivres ; tout sera certainement plus cher qu'en temps ordinaire, aussi je vous engage à en apporter le plus que vous pourrez. Réponds moi, ainsi que les Mauguin, le plus tôt possible.

En attendant le plaisir de vous voir, je vous embrasse tous bien tendrement et vous dis bien des choses de la part des Ernest.

Ci-inclus un petit mot pour ton mari. Ton bien affectionné et tout dévoué

 

                                                                                         Landry père

 

Faut-il vous retenir des places au concert où Ernest et sa femme comptent aller.

 

 

nota :adresse sur la 4e page de la lettre-enveloppe :                à madame Jacquillat

femme du Chef de Gare de la ligne de Lyon à Bercy                    Paris

 

 

n° 29

Antoine Baumes (Chéu par St Florentin)

à Jean François Landry (Sens)

20 juillet 1861

 

 

                                          Chéu par St Florentin (Yonne), 20 juillet 1861

 

Mon cher Cousin

 

Ce n'est point de Paris, vous le voyez, que part ce tardif signe de vie et vous pourriez me reprocher d'être resté trop longtemps silencieux, mais aussi d'être passé à la vue de Sens et de ne l'avoir point laissé soupçonner. Votre amitié devinera toutefois que s'il ne m'a pas été possible de couper ma marche par une station de quelques heures, Sens n'a point été inaperçu pour moi. Que de souvenirs dans cette patrie des Tarbé ! Les années pendant lesquelles j’y était accueilli avec tant d'intérêt, et dans votre maison et chez tous les vôtres, ce que j'avais de plus cher, ces années bien éloignées de nous maintenant me sont constamment présentes. Soyez en assuré, mon cher Cousin,  et veuillez bien l'assurer à vos chers enfants et à nos bons parents sénonais, en transmettant à tous et à chacun mon hommage.

J'aurais désiré mettre à votre disposition quelques sollicitations réellement utiles. J'ai de temps en temps l'occasion de me rappeler au souvenir de Mr de Boureville * ; mais je ne saurais dire qu'il me connaisse beaucoup. J'ai néanmoins , vous avez dû en être certain par avance, épié un moment favorable et j'ai vu avec une grande satisfaction que les chances de Mr Jacquillat s'étaient accrues. Si j'ai bien compris, une décoration sera prochainement accordée dans le service de Paris à Lyon et à la Méditerranée ; deux candidats sont en présence ; Mr Jacquillat est l'un des deux ; la balance penchera probablement en faveur du nom qui sera le plus chaudement recommandé par la compagnie. J'ai communiqué de vive voix ces détails à Mr Jacquillat que j'ai eu la bonne fortune de rencontrer dans la gare, mardi 16, à mon départ de Paris. Il est entouré, et dans son administration et au dehors, d'une estime dont tous les siens doivent se sentir heureux ; il est bon pour tout le monde , et mardi même son obligeance toute spontanée ne m'a point manqué. Son droit a besoin d'aide, mon cher Cousin ; rapprochons de ce vieil adage une autre maxime non moins ancienne et pleine de vérité : Le travail porte son fruit. Espérons donc que le succès viendra pour Mr Jacquillat, et ne cessons pas d'y pousser, quelque humbles que soient nos efforts.

J'ai transmis à tous mes enfants ce que je vous remercie d'avoir bien voulu m'apprendre de l'intérieur de Mr et Mme Ernest et de vos jouissances de grand-père. A Pontoise, à Valognes, à Reims, les mêmes jouissances se présentent pour moi, mêlées parfois d'inévitables sollicitudes. Je suis allé à Reims, il y a un mois, faire connaissance avec le dernier né d'Amélie qui est le huitième du rang. J'accompagnerai probablement à Valognes, le mois prochain, aîné des fils d'Henriette, lequel est , depuis les vacances dernières, élève du Lycée St Louis à Paris. Pensez un peu à nous tous, mon cher Cousin, et soyez sûr que tous nous vous sommes bien justement et bien affectueusement dévoués

 

                                                                                         A. Baumes

 

 

nota : Antoine BOUQUET BAUMES, né le 10 juillet 1786, mort le 7 janvier 1871. Préfet du Lot-et-Garonne, puis député de Tonnerre, puis Conseiller d'Etat. Il a épousé , le 25 novembre 1818, Louise TARBE de VAUXCLAIRS (18 juillet 1797-23 juin 1852) : sa femme, fille de Jean Bernard TARBE de VAUXCLAIRS, était cousine germaine de Victoire TARBE qu'avait épousé, en 1817, Jean François LANDRY.

Antoine et Louise B.B. eurent 6 enfants : Auguste (1819-1820) - Louise  (1820-1899) qui épousa en 1849 Gabriel LE SEURE de SENNEVILLE, 6 enfants de 1851 à 1859 dont 2 morts en bas âge - Henriette (1822-1896) épousa en 1842 Augustin Jacques THION, notaire à St Vaast la Hougue puis à Valognes, 5 enfants de 1843 à 1860 - Amélie (1825-1904) épousa en 1849 Edmond GIVELET, manufacturier à Reims, 12 enfants de 1850 à 1868 - Augustine (1827-1858), hospitalière à l’Hôtel-Dieu de Paris - Cécile (1829-1851).

 

* alors Secrétaire Général du Ministère des Travaux Publics.

 

 

n° 30

Ernest Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

4 septembre 1861

 

                                                                              Sens, 4 7bre 1861

 

Ma chère Amélie

 

Je reviens de la gare où j'ai eu de tes nouvelles par le sous-chef qui m'a dit que tu lui avais exprimé ton étonnement de ne nous avoir point vus. Il n'y avait pourtant pas lieu de t'étonner de ne pas nous trouver au train de midi quand tu m'avais écrit que tu passerais par le train de 4 h. 20 ; une autre fois, tâche donc de ne pas commettre de semblables erreurs, car j'aurais été tout aussi bien causer avec toi à midi qu'à toute autre heure et tu m'as privé de ce plaisir par ton étourderie. Afin que tu n'en doutes pas j'aurais voulu t'envoyer ta lettre, mais ma femme l'a emportée à Troyes où elle est partie ce matin avec sa mère et Lucien.

J'aurais voulu te remercier de vive voix de la bonne lettre que tu nous as écrite pour apporter quelque consolation à notre chagrin *, te porter les 50 frs (et non 52) pour le vin et te donner des nouvelles de mon père.

Il va maintenant bien mieux, mais n'est pas encore assez sûr pour aller jusqu'au chemin de fer, surtout par cette chaleur excessive, et il m'avait chargé de te dire que tu lui ferais bien plaisir de venir ici avec tes enfants pendant le courant du mois. Je n'avais pas besoin de sa recommandation à cet égard, car, moi-même, je comptais t'engager très vivement à faire ce voyage.

Le départ de ma femme et de Lucien surtout font un grand vide à papa ; il n'est pas assez bien remis pour sortir beaucoup, de sorte que je désirerais bien que tu viennes lui tenir compagnie et le distraire. Moi-même je vais partir pour Troyes le 14 et, si tu ne venais pas, il se trouverait tout-à-fait seul. Tu vois qu'il faut que tu t'arranges pour venir bientôt.

Nous commençons à nous remettre un peu de la secousse inattendue que nous avons éprouvée et grâce au séjour de Lucile dans sa famille, j'espère que sa santé ne sera pas altérée par les fatigues et le profond chagrin qu'elle a ressentis.

Ma femme se propose d'écrire de Troyes à celles de ses belles-soeurs de qui elle a reçu des lettres et c'est même pour cela qu'elle a emporté la tienne.

J'espère que tu es revenue à Paris avec de la santé pour tes enfants et toi pour longtemps ; tu peux venir à Sens sans crainte maintenant ; on n'entend plus parler d'enfants malades.

Je t'embrasse bien affectueusement et serre la main à Alphonse qui, sans doute, est de retour.

                                                                                        

                                                                                         Ernest Landry

 

* Georges Landry, 3e enfant d'Ernest et Lucile Landry, né le 17 février 1861, est mort le 28 août 1861.

 

 

n° 31

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

9 septembre 1861

 

 

                                                                  Sens, le 9 Septembre 1861

 

Il y a bien longtems, ma chère Amélie, que notre correspondance est suspendue ; mais aussi c'est que j'ai été bien malade depuis que j'ai eu le plaisir de te voir à ton passage à la gare quand tu allais chez Mr Jules, ton beau-frère. Depuis une dizaine de jours je vais tout-à-fait bien, seulement les forces me font défaut, je n'ai plus de jambes. Cependant je continue à sortir et à aller sur les promenades ; hier j'ai voulu faire quelques visites de famille, mais j'en ai été bien fatigué. C'est cet état de fatigue qui m'a empêché d'aller mercredi à la Gare pour te voir, je le regrettais bien, mais ce qui s'est passé m'a plus contrarié puisque ton frère n'a pas pu me parler de toi ; quoi que tu en dises, ma bonne amie, tu ne pourrais gagner le procès par la raison que toujours tu nous indiquais l'heure de ton passage à Sens, toutes tes lettres en feraient foi. Sans doute tu nous aurais rendus Ernest et moi bien heureux de venir passer quelques jours avec nous avec tes charmants enfants ; mais comme je l'écrivais il y a trois jours à Victorine, je n'osais pas t'y engager, concevant bien qu'après une aussi longue absence tu aurais besoin chez toi et que tu serais bien aise de revoir ton mari. Du reste je ne vais pas tarder à t'aller voir en allant à Compiègne.

Comme ton frère te l'a écrit, sa femme est partie pour Troyes avec Lucien ; nous en avons eu des nouvelles encore ce matin, cet enfant fait les délices de la famille de sa mère, il va très bien et probablement ne pense guère à nous auxquels il fait un si grand vide. Lucile ne peut pas oublier Georges qui promettait d'être si beau, plus que personne tu comprends et partage son chagrin.

J'avais demandé au Lycée un prospectus de la pension pour Firmin que je comptais t'envoyer, mais dans un voyage que ton mari a fait à Sens, il l'a emporté pour te le remettre. Je trouve cet enfant bien jeune pour le mettre au Lycée ; si tu te décidais à t'en séparer, il vaudrait mieux le mettre chez Guillon qui en aurait bien soin et d'ailleurs nous le surveillerions et le prendrions à la maison tous les jours de congé. Nous pourrons causer de cela à notre prochaine entrevue qui ne tardera pas beaucoup.

Ernest partira le 14 pour Troyes où il restera jusqu'au 23 ou 24. Aussitôt son retour, je partirai pour Compiègne * ; si tu le veux bien, je m'arrêterai deux jours chez toi, mais en revenant j'y resterai le plus longtems que je pourrai  car je m'y plais toujours beaucoup, surtout avec mes petits-enfans que j'aime tant. Je pense bien que pour voir André **, il ne faut pas que je tarde à me mettre en route, car il rentrera probablement à sa pension du 8 au 10 octobre. Je remercie bien ton mari de son exactitude à faire part de la mort de Georges à la famille Landry et à Mr Levert, croirais-tu que ce dernier a cru que c'était Lucien que nous avions perdu. Je serai bien content de revoir Caroline et surtout son petit Gratien qui m'a donné tant d'inquiétudes ; j'espère que la grande chaleur qui m'a fait tant de mal sera tout-à-fait tombée. Je t'écrirai le jour de mon arrivée à Paris

J'ai vu il y a quelques jours Mr Déligaud qui venait de passer quelque tems au Conseil Général avec Mr Vuitry ; il m'a dit que ce dernier l'avait assuré que ton mari avait été présenté seulement le 3e par ses chefs, qu'on n'en avait nommé qu'un, mais que bien sûr ton mari serait nommé sinon le 1er janvier, ce serait bien certainement pour le 15 août et qu'il avait la promesse du ministre. Mr Déligaud m'a dit qu'il avait écrit hier à ton mari, en l'engageant bien à renoncer ou au moins à ajourner un certain projet dont il lui avait parlé.

J'ai reçu dernièrement une lettre de Jenny qui est au Touquet, chez Mme de Caze *** ; Alfred **** vient d'être envoyé à Rouen, ce qui lui fait grand plaisir ; depuis il a été envoyé pour faire une intérime au Havre. Nous avons vu Mr Eugène Ray avec Ludovic ***** qui sont venus pour ouvrir la chasse à Vernoy, sur la propriété de Mr Ray ; ils sont arrivés précisément le jour de l'enterrement du pauvre petit Georges. L'entrevue a été bien triste. Mr Petipas avait été au-devant d'eux à la gare pour les prévenir ; ils ont couché tous deux à la maison et sont partis pour Vernoy le vendredi après déjeuner. Nous avons su que Paul-Emile ****** avait été les rejoindre, mais je ne l'ai pas vu ; ils se sont en allés le lundi directement aux Riceys, sans s'arrêter à Sens. Ludovic est un bien beau jeune homme , il est aussi grand que son oncle Ernest ; il a eu au Lycée de Troyes les plus beaux succès, tu sais sans doute qu'il a été reçu bachelier ès sciences. Ses parents ne savent encore vers quelle carrière le diriger. Croirais-tu que Ferdinand Gaultry ******* n'a pas obtenu la plus médiocre nomination, sa mère en a été bien affectée.

J'oubliais de te dire que j'ai été très bien soigné par  Mr Lambert que j'aurais dû appeler plus tôt. Il y a longtems que je n'ai vu Mme Carlier et Mme Petipas qui sont à Thorigny. J'ai été hier pour voir Mme Trinquesse, mais elle n'était pas chez elle.

Adieu, ma chère fille, je t'embrasse bien tendrement ainsi que ton mari et tes enfans et, en attendant le bonheur de vous revoir tous, je t'assure de mes sentiments les plus affectueux.

 

                                                                                         Landry père

 

* chez sa fille Caroline.

 

** André Mauguin, né le 22 décembre 1850, mort le 3 avril 1887.

 

*** Jeanne Antoinette dite Jenny Chambosse de Saint-Fal (1788-1874), fille de Louis Chambosse de Saint-Fal (1749-1826) et de Marie Colombe dite Manette Tarbé (1761-1839), soeur de Gratien Théodore, a épousé en 1807 Augustin de Caze (1783-1859), négociant à Rouen ; bien qu’ils aient eu 4 enfants, ils n’ont pas eu de descendance.

 

**** Alfred Campmas a 21 ans en 1861 ; il sera inspecteur des Contributions Directes (mort en 1921, 2 fils et 3 filles).

 

***** Ludovic Ray, né en 1843, futur officier d’artillerie et chevalier de la Légion d’Honneur (mort en 1926, sans descendance).

 

****** Paul-Emile est un fils d’un premier mariage d’Eugène Ray.

 

******* 2ème fils d’Antoine Gaultry, né en avril 1846, mort en 1928 à Sens ; il sera intéressé d’agent de change à Paris.

 

 

n° 32

Jean François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

28 octobre 1861

 

                                                                              Sens le 28 octobre 1861

 

Ma chère Amélie

 

Me voilà enfin de retour dans mon petit chez moi, après un voyage plus long que je n'en avais jamais fait et dont je conserverai toujours le souvenir ; non pas seulement à cause des merveilles que j'ai vues, mais plus encore pour les bons soins, les prévenances et les égards de toutes sortes dont mes enfants m'ont comblés à Bercy, à Compiègne et encore à Bercy où j'ai passé une semaine qui m'a fait autant de bien que de plaisir. Aussi, ma bonne fille, je ne veux pas tarder davantage à te remercier ainsi que ton mari de tous les embarras et dérangements que je vous ai causés. Je suis revenu assez préoccupé de ton état de souffrance qui, à l'entrée de la mauvaise saison, peut revenir ; aussi je t'engage bien à te soigner et à ne pas trop te fatiguer avec tes enfants qui sont bien gentils, mais parfois un peu bruyants. Suis bien les prescriptions de Mr Portefait qui me paraît un homme prudent et sage

J'ai été bien content, en arrivant à la maison, de trouver Ernest et sa femme qui étaient revenus la veille de Troyes avec Lucien ; j'ai trouvé bonne mine à Louise, mais c'est surtout Lucien que j'ai trouvé bien changé, en beau bien entendu. Il a de jolies couleurs, comme Riri, et a étonnamment gagné sous le rapport de l'intelligence ; il parle très bien pour son âge et dit tous les jours des mots nouveaux, il m'appelle pépère et m'amuse toujours beaucoup, mais il n'est pas propre, ce qui désole sa mère.

J'ai retrouvé toute la famille de Sens en bonne santé ; tout le monde m'a demandé de tes nouvelles, surtout Marie Petipas qui s'est bien informé de sa filleule dont la maladie l'a bien intéressée. J'ai été bien étonné d'apprendre en arrivant que Mr Levert était venu mardi passer un jour à Sens où il avait affaire avec Mr Petipas ; il est arrivé au moment où Ernest et sa femme descendaient de la voiture de Troyes, il a dîné avec eux et est reparti le soir pour Poitiers. Mr Baumes est aussi passé par Sens samedi revenant de St Florentin  ; il est venu à la maison, mais je ne l'ai pas vu parce que j'étais sorti, mais ton frère l'a reçu et lui a présenté Lucien.

Je suis fort inquiet de la santé de Mr Dechampgobert qui paraît très malade.  Hier, j'ai été pour le voir, il n'a pas pu me recevoir ; madame, que j'avais vu en allant à la messe de midi, en paraît fort tourmentée. Quant à moi, je commence à me remettre des fatigues de mon grand voyage et vais très bien . Il n'y a rien de nouveau à Sens, sinon la mort de Mr Rossignol qui attriste encore tante St Hardouin, à cause des soirées dont elle sera privée dans cette maison cet hyver. Depuis notre retour le tems s'est mis au froid à ce point que j'ai été obligé d'allumer du feu, mais je me promène toujours au moins une heure tous les jours. Ma bonne Julie a été bien contente de me revoir et tout le monde me questionne sur tout ce que j'ai vu à Compiègne, dont je m'amuse à faire le récit.

J'ai envoyé ton paquet à Jouan et m'occuperai de tes bas. Si comme je le suppose tu vois bientôt Victorine, tu lui diras que les bas qu'elle a demandés à Melle Octavie, la soeur de Mme Ernest, sont depuis longtems chez Mme Oeuillet à laquelle on les a remis dans un voyage qu'elle a fait dernièrement à Troyes. J'espère bien maintenant que ton mari s'est débarrassé de cette galère qui le tue et qu'il va franchement se réunir à Mr Tessonnière, ce qui lui permettra de vivre de la vie de tout le monde et de jouir  de son intérieur de famille dont il n'a pu jusqu'à présent goûter les charmes. Je te prie de ne pas me laisser longtems sans nouvelles de ta santé et de me dire en même tems où vous en êtes de cette grande affaire ?

Adieu ma chère Amélie, les Ernest vous disent mille choses aimables, et moi je vous embrasse tous cinq bien tendrement et vous renouvelle l'assurance de mes sentiments les plus affectueux.

 

                                                                                         Landry père

 

Toute la famille m'a chargé de beaucoup de choses aimables pour toi et ton mari.

 

 

n° 33

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

8 novembre 1861

 

                                                                  Sens, le 8 Novembre 1861

 

Ma chère Amélie

 

Ta lettre du 1er par laquelle tu m'annonces la démission de ton mari m'a fait grand plaisir et je me reproche vraiment de ne t'avoir pas encore répondu pour vous en féliciter tous deux. Toute le famille et les amis auxquels j'ai fait part de cette bonne nouvelle m'ont chargé d'en complimenter ton mari qui se serait tué en restant plus longtems dans cet enfer. Il me tarde maintenant de vous voir installés dans votre nouvelle habitation. Tout le monde pense que jamais l'administration ne pourra remplacer Mr Jacquillat auquel elle aurait depuis longtems dû doubler les appointements pour conserver un employé qui lui rendait tant de services.

J'engage bien ton mari à ne pas trop tenir à ses projets sur les chevaux et à se dévouer entièrement et exclusivement à l'affaire si belle que Mr Teissonnière lui a si galamment offerte et dans laquelle il trouvera des avantages qui me paraissent certains et qui lui permettront de faire des économies qu'il n'aurait pu faire avec le chemin de fer. Vous allez enfin être tous deux rendus à cette vie de famille, toujours si douce, et où seulement on peut trouver la tranquillité d'esprit et de coeur et s'occuper en paix de son intérieur et de ses enfants.

Mme Carlier et les Petipas m'ont surtout chargé de vous féliciter, tante St Hardouin aussi ; Paul Gaultry qui est venu à Sens pour la Toussaint, m'a dit qu'il avait vu Mr Teissonnière et qu'il était sûr que ton mari ferait bon ménage avec lui. Il m'a parlé de propositions de mariage auxquelles il voudrait voir donner suite ; reparlez-en donc à Mr Teissonnière.

En même tems que ta lettre, j'en ai reçu une de Caroline qui me donne de bonnes nouvelles de Compiègne. Si tu veux m'envoyer ta bonne et tes enfans, je les recevrai avec plaisir, mais depuis une huitaine le tems est bien gâté ; il pleut tous les jours à ce point que je ne suis pas sorti depuis dimanche.

Georges Tarbé * ne va pas plus mal ; tante St Hardouin ** a écrit à son fils et à sa bru la grande affaire de ton mari. Quand je pense que pendant 8 jours que je suis resté chez vous, je n'ai pas pu une seule fois déjeuner ou dîner avec lui. Je ne reviens pas qu'il ait pu hésiter un instant à envoyer promener une administration aussi injuste qu'elle était parcimonieuse à son égard. Mme Charles Bazin qui arrivait chez Mr Dechampgobert quand je lui ai fait part de ta lettre et qui connaissait tout le mal que se donnait ton mari m'a spécialement chargé de vous en faire à tous ses sincères compliments.

Tout le monde va bien à ma maison. Lucien fait tous les jours des progrès de langage et de propreté, comme toi je voudrais bien le voir avec ton Henry. Embrasse bien pour moi tes trois enfans comme je t'embrasse de tout mon coeur ainsi que ton mari. Ernest et sa femme qui partagent ma manière de voir sur la détermination de ton mari sont de moitié dans tous mes sentiments pour vous cinq.

Je n'ai pas encore pu voir la soeur de Mr Soulage, mais en attendant je te prie de faire mes compliments à toute cette bonne famille de l'heureuse délivrance de Mme Degroux***.

Adieu, ma chère fille, reçois toujours l'assurance de mes plus tendres et affectueux sentiments pour toi et tous les tiens

 

                                                                                         Landry père

 

 

* Georges Tarbé, fils aîné de François Pierre Tarbé de Saint Hardouin, est mort le 29 décembre 1861 à l’âge de 22 ans.

 

** Lorsque Jean François Landry parle de “ tante St Hardouin ”, il s’agit de la veuve de Charles Hardouin Tarbé de Saint Hardouin, née Adélaïde de Guyot (1790-1869).

 

*** Clémentine, aînée des 2 filles de Camille Soulages, a épousé, en 1859, Ignace Degroux. Deux filles : Hélène née le 7 juin 1860  et Louise le 27  octobre 1861.

 

 

                                                                             

1 8 6 2 - 1 8 6 4

 

 

Les affaires d’Alphonse Jacquillat ne sont pas très bonnes et, en septembre 1863, il quitte Bercy pour Béziers où il crée - en association avec MM. Teissonnière, 44, quai de la Rapée à Paris, et Dubos, 14, Cours du Jardin Public à Bordeaux - une maison de commerce dont il est le gérant. Mas là encore il ne réussira pas et sa situation se dégradera rapidement.

 

 

n° 34

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

20 janvier 1862

 

 

                                                                              Sens, le 20 janvier 1862

 

Ma chère Amélie

 

Tu dois te tourmenter de n'avoir pas encore reçu de réponse à la bonne lettre que tu m'as écrite pour le premier jour de l'an, mais ce retard, bien involontaire je t'assure, vient de ce que depuis plus de trois semaines je suis très souffrant ; j'ai été repris très violemment de mon vilain catarrhe de vessie et ç'a été au point que depuis le premier de ce mois, je n'ai pas ou presque pas quitté ma chambre. Il y a eu hier huit jours, j'ai voulu aller voir tante St Hardouin, j'en ai été très fatigué et depuis je ne suis pas même descendu dans la cour de la maison ; je me suis fait apporter des bains dans ma chambre, je me suis soigné de mon mieux, rien n'y a fait et je souffre encore aujourd'hui. Comme tu le vois, c'est là la cause du retard que j'ai mis à répondre à toutes les lettres de mes enfans et petits-enfans.

J'ai eu bien du plaisir à voir ton mari qui s'est arrête un instant ici le premier jour de l'an en revenant de Montigny ; il a trouvé à Sens Jules et Augustine qui sont venus passer huit jours chez Mr Payen. C'est à peine si je les ai vus, ce qui m'a bien contrarié. J'avais eu des nouvelles de la bonne Marie par Mme Pompon qui m'avait tout à fait rassuré sur le compte de cette chère petite-fille et m'avait parlé de tes deux garçons. Je te remercie bien pour les souhaits que tu m'adresses pour ma santé et mon bonheur ; je les accepte avec d'autant plus d'espérance que j'ai bien besoin de l'une et de l'autre. Le bonheur  pour moi est désormais bien compromis ; heureusement que j'ai encore de bons enfans dont la tendresse me consolera.

Si Victorine t'a parlé de mes tourments venant d'Alençon, tu comprendras cela. Je suis bien heureux de l'espoir que tu me donnes de venir me voir au printemps prochain ; je compte moi-même aller cet été aux Riceys, mais nous nous arrangerons bien pour concilier les deux voyages. Il me semble que nous pouvons facilement te recevoir, toi et ton monde, nous verrons cela avec Lucile. J'ai eu bien du plaisir à revoir Ernest Mauguin, c'est un bon et bien gentil garçon.

Je suis bien aise de te savoir bien installée rue Soulage et enfin bien tranquille sur la santé de ton mari qui, de son côté, m'a paru content de sa nouvelle position.

La mort de Georges Tarbé est un bien grand malheur pour sa famille. St Hardouin auquel j'avais écrit m'a répondu que cet événement avait brisé toutes ses idées d'avenir et laissait dans son existence un vide irréparable ; je le crois bien et le sens beaucoup mieux que certaines personnes dont la conduite et la passion du monde me soulèvent le coeur. Mais elles sont comme cela, on ne peut pas changer leur nature. Le petit Paul Foussé a été un peu malade. Sa famille en a été bien tourmentée ; heureusement, depuis quelques jours, l'enfant va mieux.

Dans un compte qu'Ernest m'a remis, il parait qu'il a remboursé un millier de francs à ton mari, ce qui fera une différence de 25 frs dans ma pension ; tu me feras plaisir de me dire dans ta prochaine lettre où nous en sommes à l'égard des 25 frs dont je le tiens ordinairement compte.

Depuis une dixaine de jours, Mme Ernest a chez elle Melle Octavie, sa soeur, ce qui rend Lucile bien heureuse. Caroline m'a envoyé pour mes étrennes la photographie du petit Gratien, c'est un vrai bijou. Il est d'une ressemblance parfaite, tout le monde le reconnaît et l'admire et Lucien en parle souvent ; un cerceau qu'il tient à la main l'intéresse beaucoup. Ce petit Lucien, malgré le froid qui le rend parfois grognon, est toujours bon enfant et très amusant.

Maintenant voilà le tour de Caroline arrivé, je lui écrirai demain si je ne suis pas trop fatigué ; je voudrais bien avoir des nouvelles de sa santé.

Adieu, ma chère fille, reçois aussi les voeux les plus sincères que je forme pour la continuation de ton bonheur et celui des tiens ; je vous embrasse tous cinq bien tendrement

 

                                                                                         Landry père

 

Ernest et sa femme vous disent mille choses aimables. Je te prie de me rappeler au souvenir de la famille Soulage *.

 

 

* Camille Soulages (1798-1876) est négociant en vins à Bercy. De ses 2 filles, l’aînée, Clémentine (1830-1916), a épousé, en 1860, Ignace Degroux. ; la seconde est mariée à Hippolyte Bordat, négociant en vins à Bercy.

La fille aînée de Clémentine Degroux, Hélène (1860-1915), épousera, en 1881, un autre négociant en vins, Jules Bedhet et leur fils, Jacques (1886-1969), exercera, lui aussi, cette profession.

 

 

n° 35

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

20 mars 1862

 

 

                                                                              Sens le 20 mars 1862

 

Tu te plains, ma chère Amélie, que je ne t'écris plus, cependant il me semble qu'il n'y a pas bien longtems que je l'ai fait ; tu ne tiens donc pas compte de ma maladie, j'ai souffert pendant trois mois et ne suis pas encore tout à fait remis ; je commence pourtant à aller mieux et compte beaucoup sur le beau tems pour me remettre tout à fait. Comme je te le disais dans ma dernière lettre, je me fais vieux et deviens bien patraque ; je ne peux plus guère écrire de ces longues lettres qui avaient tant de charmes pour moi, sans me fatiguer ; c'est à peine si je suis au courant de ma correspondance avec tout mon monde. Pour des nouvelles de Sens, je ne peux guère t'en donner, ne sortant presque plus jamais dans le monde ; c'est à toi maintenant de m'écrire plus longuement pour me donner de tes nouvelles et me parler de tes enfans.

Je viens d'avoir une correspondance un peu plus suivie avec les Mauguin ; j'ai écrit à Victorine, avec laquelle j'étais le plus en retard, une lettre bien longue qu'elle a du te communiquer. J'ai de bonnes nouvelles de Caroline, elle va habiter le beau quartier de Compiègne ; elle m'a envoyé le plan de son appartement, elle sera très bien logée, mais j'ai bien peur qu'elle se fatigue dans son déménagement et qu'elle ne se fasse du mal. Je lui ai fait des recommandations à cet égard. Ta soeur a vraiment là une position extrêmement agréable.

J'ai appris avec plaisir que tu avais été passer une soirée chez Mme Petit * avec ton mari, j'en suis bien content pour lui, cela prouve qu'il reprend ses habitudes de famille qui m'ont toujours paru être assez dans ses goûts ; il peut donc maintenant jouir de son chez lui et surtout de ses enfans qu'il aime tant. La lettre que Firmin m'a écrite m'a fait grand plaisir ; je vais lui répondre tout-à-l'heure

Mon indisposition m'a empêché jusqu'à présent d'aller voir la soeur de Mr Soulage ; j'ignore comment elle a fait la connaissance de Mme de Champgobert. Je suis bien fâché que la bonne famille Soulage s'éloigne de chez toi. Tu peux dire à Mr Soulage qu'il peut disposer du chien, ton frère ne peut pas trouver à le placer ici ; si nous étions au moment de l’ouverture de la chasse il aurait peut-être trouvé.

Ernest m'a dit qu'il te répondrait un de ces jours ; en attendant, je t'envoie le compte que tu me réclames, tu verras qu'il en résulte que, moyennant les 6 frs 25 que Mr Mauguin voudra bien te remettre, nous serons quittes et que c'est toi qui devra à l'avenir me faire passer à chaque trimestre et à commencer du 1er octobre prochain, les 6 frs 25 fesant la différence avec ce que ton frère me versait autrefois en ton acquit.

Je suis bien peiné de ce qui arrive au sujet d'André, cela doit bien contrarier ses parents qui font tant de sacrifices pour leurs enfans. Son frère Ernest m'a écrit une lettre qui m'a fait bien plaisir en m'envoyant sa photographie qui est bien ressemblante ; il devait être bien joli garçon dans son travestissement de jardinier, Lucie m'a raconté tout cela dans une lettre charmante comme elle m'en écrit toujours.

Tout le monde de la famille à Sens va bien et l'on me charge toujours de bien des choses aimables pour toi. J'apprendrai avec plaisir que les pertes causés par l'incendie de Mr Teissonnière n'auront pas eu d'influence fâcheuse sur la part de bénéfices revenant à ton mari.

Mr et Mme Ernest sont revenus enchantés de la noce de Melle Octavie. Lucien que j'ai gardé pendant leur absence est toujours très gentil, il est maintenant tout-à-fait propre de jour et parle très bien.

Adieu ma chère fille, je t'embrasse de tout mon coeur ainsi que ton mari et tes enfans et te prie de croire toujours à mes meilleurs sentiments pour vous tous

 

                                                                                         Landry père

 

 

* arrière-arrière-petite-fille de Pierre Hardouin Tarbé et Colombe Pigalle (branche POMMERY), Colombe Françoise Moreau de Champlieux (1835-1882) a épousé, en 1854, Charles Petit (1825-1886), négociant en vins.

 

 

n° 36

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Béziers)

21 novembre 1863

 

 

                                                                  Sens le 21 Novembre 1863

 

Ma chère Amélie

 

Je suis bien en retard de répondre à ta bonne et longue lettre qui, en me rassurant sur ton long silence, m'a fait le plus grand plaisir et m'a rendu bien heureux ; combien tu as eu de peines, de tourments et d'embarras en arrivant à Béziers ? Trouver ton mari avec la fièvre, voir ensuite ta fille tomber malade, cela était effrayant ; il fallait une bonne tête comme la tienne et tout ton courage pour y suffire. Mais, Dieu merci, te voilà installée, j'apprendrai avec plaisir que tu es heureuse et contente au milieu des tiens et de l'abondance dont tu me sembles jouir ; aussi, je te prie instamment, ma bonne fille, de ne pas me faire attendre trop longtems une seconde lettre. J'ai envoyé de suite ta première à Victorine qui me l'a retournée, je l'ai remise à Augustine qui est venue passer 4 jours à Sens, pour la faire voir à Félicie qui vient de m'en renvoyer la moitié ; toutes tes soeurs et les personnes qui t'aiment étaient, comme moi, inquiets de ton silence, mais lorsqu'on en a connu la cause, tout le monde l'a comprise.

Tu as sans doute appris la mort de la petite Jeanne Tarbé * ; St Hardouin et sa femme en sont bien affligés ; Jenny qui se trouvait à Rouen dans ce moment m'en a écrit. Les pauvres père et mère sont d'autant plus tristes que la santé de Louis ** leur donne de l'inquiétude : ce jeune homme se destinait à l'Ecole Polytechnique, il est obligé d'y renoncer.

Voilà Ludovic heureux et content ; comme il craignait de n'être pas reçu à cette école, il s'était présenté à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures où il a été reçu le 5e sur 212 ; le Proviseur du Lycée St Louis où Ludovic a fait ses études à écrit à Félicie qu'il méritait être reçu à l'Ecole Polytechnique dans un meilleur rang et qu'il espérait qu'il aurait bientôt une meilleure place. Tu dois comprendre combien je suis heureux du succès de ce bon garçon.

On t'a fait part de le mort de Mr Dechampgobert. J'en suis bien triste ; je vois souvent madame qui a bien du courage.

Voilà les Mauguin qui vont déménager pour aller rue Paradis-Poissonnière, ils te l'ont sans doute écrit. J'oubliais de te dire que Félicie vient de m'écrire que Paul Emile était nommé sous-chef de gare dans la Nièvre, à La Charité, ce n'est pas loin d'Auxerre, et que son père était allé à Paris pour lui faire les acquisitions nécessaires à son installation. Lucien parle souvent du passage de ses cousins à Sens pendant son absence ; il est toujours bien avisé et a dans ce moment un grand amour de lecture, il commence à épeler. Quand Augustine est venue à Sens, c'était pour accompagner son mari qui avait affaire à Paris, Jules a dîné chez les Mauguin qui ont été bien contents de le voir.

Tu as laissé ici un bonnet que je t'enverrai par la poste, comme échantillon. J'engage bien ton mari à se ménager, il est si actif qu'il se fatigue souvent sans raison ; il ne sait donc pas combien sa santé est précieuse ?

Adieu, ma chère amie, je vous embrasse tous cinq bien tendrement et vous prie de croire à mon bien sincère attachement.

                                                                                         Landry père

 

Bien des choses aimables de la part des Ernest et de tous les parents et amis, sans oublier Mr Sicardi que je rencontre quelques fois et qui me parle toujours de ton mari avec beaucoup d'intérêt.

 

nota : l'adresse qui figure sur le papier à lettre replié pour servir d'enveloppe est seulement :     à madame Jacquillat

                                                                                                              à Béziers

                                                                                                                                             (Hérault)

 

* Jeanne Tarbé de Saint-Hardouin, fille de François Pierre, née en 1860, morte le 26 octobre 1863.

 

** second fils de François Pierre Tarbé de Saint Hardouin, né à Reims en 1844, mort en 1874 ; de son mariage en 1872 avec Marie Nicolas, un fils, Georges (1873-1949), grâce auquel le nom de Tarbé de Saint Hardouin est encore porté.

 

 

n° 37

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Béziers)

27 juillet 1864

 

                                                                              Sens, le 27 juillet 1864

 

Ma chère Amélie

 

Je suis bien en retard de répondre à la lettre que tu m'as écrite pour me souhaiter ma fête, est-ce paresse, négligence ou fatigue causée par la chaleur, qui sont la cause de ce retard, je suis tout disposé à le confesser ; je suis toujours bien sensible aux voeux que m'expriment mes enfans en toute occasion, les tiens surtout, ma chère amie, me touchent profondément.

Je suis bien peiné de te savoir aussi occupée et de voir que vous n'avez rien changé à votre genre de vie, comme à Bercy. Vous n'avez point d'heures réglées pour les repas ; vos santés doivent bien certainement en souffrir et nuire à celles de vos enfans. Je crains bien que ton mari ne s'en ressente plus tard. Il est fâcheux que la santé de Firmin t'ait forcé à interrompre ses études, mais il n'y a pas encore de temps perdu ; ce cher enfant est si studieux et a tant de facilités pour apprendre qu'il arrivera bien vite à ses fins. Je trouve qu'il écrit déjà très bien et très correctement pour son âge. Son cousin Lucien va toujours à l'école avec plaisir, mais il est loin d'être aussi studieux que Firmin.

Il faut, ma chère amie, que tu m'écrives plus souvent, fais-moi des lettres moins longues, dans lesquelles tu me parleras de vos santés, cela me contentera, car tu es si éloignée, j'ai si peu d'espoir de te voir au moins quelques fois, que je m'en attriste. Les nouvelles que je t’écris qui, j'en suis sûr, t'intéressent toujours, allongent naturellement mes lettres, ce qui me rend paresseux.

Augustine n'a pas pu se décider à aller à Vichy, cependant son mari m'a écrit qu'il tâcherait de profiter de la morte-saison de la moisson pour l'y conduire. J'en serais bien content, dans la persuasion où je suis que les eaux feraient du bien à sa femme. Mais une chose qui va bien t'étonner, c'est que Mme Ernest vient de prendre les eaux de Pougues, d'où elle est revenue seulement hier; enchantée de ce voyage qui paraît lui avoir fait du bien. Voici à quelle occasion ta belle-soeur est allée à ces eaux : elles avaient été ordonnées à Mme Dalichamp, Lucile a proposé à sa mère de l'accompagner pour lui tenir compagnie et la soigner au besoin ; ces dames sont parties d'ici où Mme Dalichamp était venue prendre sa fille le 2 de ce mois ; arrivées à Pougues le jour même, Lucile a consulté le médecin de ces eaux qui l'a fortement engagée à prendre ces mêmes eaux, ce qu'elle a fait, avec douches, bains et tout ce qui s'ensuit. Hier les deux dames sont revenues à Sens, enchantées et heureuses et toutes deux bien portantes ; le voyage a été d'autant plus agréable pour Lucile qu'il ne lui a pas coûté un centime, sa mère ayant tout payé et au-delà. L'embarras pour Lucile était Lucien, mais elle s'est décidée à nous le  laisser ; son père et moi et ma bonne Julie en avons eu bien soin et sa mère l'a retrouvé bien portant. Tu ne peux pas te faire une idée des caresses qu'il lui a faites à son arrivée.

Une grande nouvelle, c'est que Mme Foussé est grosse, Mme Carlier est venue m'en faire part. Toute sa famille est dans l'enchantement ; Caroline est dans ce moment aux bains de mer à Trouville, je crois. T'ai-je dit que Mme Myon est à Sens ? elle est installée chez tante St Hardouin, elle paraît fort heureuse et fort contente ; Sidonie a deux beaux garçons, le dernier surtout est un bel enfant. Lucien va souvent faire de bonnes parties avec aîné qui se nomme Gustave. Mr Myon est venu voir sa femme ; j'ignore quelle est sa position à Lyon, mais il paraît heureux. Sidonie a amené sa bonne avec elle *.

L'on t'a sans doute écrit l'avancement que Ludovic a obtenu à l'Ecole Polytechnique : entré le 119e , il est aujourd'hui le 42e ; il est venu me voir il y a quelques jours, c'est un grand et beau jeune homme qui a d'excellentes manières. Son frère Paul-Emile vient d'être nommé à la gare de Chatillon-sur-Seine où l'on a prolongé le chemin-de-fer de Lyon. Il ne va être qu'à quelques heures des Riceys. Je cherche si j'ai encore quelques nouvelles à t'apprendre, mais je ne trouve plus rien.

Tu feras bien de faire prendre des bains de mer à tes enfans, cela ne peut que leur faire du bien et les fortifier, surtout Firmin ; cela te reposera et te fera aussi du bien. Adieu ma bonne fille, écris-moi plus souvent, parle-moi toujours de tes enfans. Je vous embrasse tous , père, mère et enfans bien tendrement

 

                                                                                         Landry père

 

 

J'ai reçu les 12 fr. 50 en timbres-poste pour le trimestre de ma pension échu le 1er de ce mois.

 

 

* voir note sous lettre n° 23.

 

 

 

 

n° 38

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Béziers)

14 novembre 1864

 

 

                                                                  Sens, le 14 novembre 1864

 

Ma chère Amélie

 

Je suis bien en retard  de répondre à ta lettre du 4 8bre par laquelle tu m'as envoyé les 12 frs 50 c. du trimestre du 1er ; mais je deviens si paresseux d'écrire que je suis souvent bien en arrière  dans ma correspondance avec mes enfans. Je t'assure que ta lettre m'a bien intéressé, tous les détails que tu me donnes sur ton existence là-bas, sur tes enfans surtout, me font toujours un nouveau plaisir. Dans la dernière lettre de Victorine, ta soeur me marque qu'elle a reçu une lettre de toi où tu lui dis que tu viens de mettre la bonne Marie en pension ; cette séparation doit te faire un grand vide, mais il te reste Henry qui pourra encore t'occuper, surtout s'il est toujours aussi remuant ; dis donc à Firmin qu'il m'écrive, il y a longtems que je n'ai reçu de lettres de lui. J'ai été bien content de voir Caroline et ses enfans qui sont très gentils, Gratien est toujours très calme, mais la petite Félicie est charmante et très vive ; Lucien qui est toujours très diable a bien secoué un peu son cousin, mais la petite fille courait davantage  avec lui. La réunion de Jenny et de Victorine à St-Vallery a été une bonne fortune pour les deux soeurs, Sidonie m'a écrit une lettre sur cette réunion  à laquelle je n'ai pas encore répondu.

Nous venons d'avoir une quinzaine de très grands froids, aussi j'ai été repris très fort de mon catarrhe ; je sors très peu, les jambes me manquent.

Tu sais sans doute que la famille Longuet est revenue à Sens : les dames en sont enchantées, mais il n'en est pas de même de Mr Longuet qui regrette beaucoup Provins où il avait des fonctions qui l'occupaient. Je vais voir les dames souvent. Caroline Deschamp est toujours très aimable, elle a un petit garçon charmant  qui est très bien élevé ; il va à l'école chez Mr Guillon avec Lucien, mais il est bien plus avancé que lui. T'ai-je dit que Lucien avait eu un prix de lecture *, c'est moi qui l'ai couronné, nous en étions bien fiers tous les deux. Il est habillé en garçon depuis le premier de ce mois, ce dont il est fort content. Ernest n'est pas trop content de ses chasses, tous ces messieurs se plaignent qu'il n'y a plus de gibier.

Il s'est passé à Sens un événement qui nous a bien tourmenté pour Mr Petipas : c'est son successeur qui a fait de très mauvaises affaires, nous craignons bien que notre cousin ne perde beaucoup. La grossesse de Caroline Foussé est superbe, c'est un grand contentement pour sa famille. Mme Myon qui est ici depuis quatre mois retourne à Lyon mercredi, son mari y a enfin trouvé une position. Ferdinand Gaultry va faire son droit, il reste ici cette année et chasse et fume comme un grand garçon. Tante St Hardouin est très fatiguée, Mme Trinquesse est toujours souffrante.

Ma première lettre sera pour Victorine. Adieu, ma bonne fille, je vous embrasse tous bien tendrement

 

                                                                                         Landry père

 

Bien des choses de la part des Ernest et de tous les parents de Sens.

 

 

* son petit-fils Lucien, le fils aîné d’Ernest Landry, a 4 ans et demi.

 

 

n° 39

Jules Jacquillat (Chaumes)

à Alphonse Jacquillat (Béziers)

28 décembre 1864

 

 

                                                                              Chaumes, 28 Xbre 1864

 

Mon cher Alphonse

 

Ta lettre quoique tardive est enfin arrivée. Malgré toute la tentation de ton invitation, nous ne pouvons nous résigner à partir en cette saison bien que ce fût pour aller au midi. Nous avons depuis quelques jours des gelées sèches assez fortes qui font trouver le coin du feu trop bon pour aller grelotter en chemins de fer, puis en définitif notre voyage n'aurait pas un but utile. Tu nous dit bien pour nous tenter davantage qu'Amélie reviendrait avec nous. Ce seul motif suffirait bien pour nous décider à nous embarquer, mais véritablement la saison n'est pas engageante, toute bonne envie que l'on ait de voyager.

Puis enfin tu étais tout transporté et tu ne prends pas la peine de venir nous entretenir d'affaires sérieuses, très sérieuses : elles ne l'étaient donc pas autant que tu sembles me le donner à entendre. Toi qui dois toujours avoir tes franchises sur la ligne de Lyon, prends donc ta volée et arrive ; quant à Amélie, tu ferais bien, dans l'intérêt de sa santé, de nous l'expédier au printemps pendant quelques mois ou diable pourquoi êtes vous allés si loin de nous, quand on y pense c'est incroyable, c'est tout comme si vous étiez expatriés.

 Si nous n'avions pas Charles qui, de loin en loin, pense à nous, nous croirions être seuls sur terre. Quant à papa Jacquillat *, il faut une machine de la force de je ne sais combien de chevaux pour l'arracher à ses grandes occupations ; il n'y a que Charles qui puisse l'entraîner, nous avons passé quelques bons jours ensemble.

Quand cette lettre a été commencée, j'ai fait une absence de plusieurs jours et je ne suis rentré qu'hier soir samedi, veille de l'an ; je ne pensais même plus à ma réponse quand ce soir j'ouvre un cahier pour vous écrire et y trouve cette lettre que je continue après avoir reçu la tienne, ma chère Amélie, qui m'a fort attristé toute la journée. Vous n'avez pas tort de nous compter parmi ceux qui vous plaignent à l'occasion et vous obligeraient sans hésiter. Vous savez aussi que je dois payer à mon beau-frère 20000 f en 4 annuités égales à partir et y compris le 1er janvier 1865 **. Vous savez aussi que j'ai 16000 f de fichus dans ces forges maudites ; ce que vous ne savez pas, c'est qu'en culture on vit et voilà tout et de bénéfices point et par conséquent de placement 0 zéro.

Vous savez que je devais verser le 1er janvier 5000 f. Je comptais et je compte encore pour le faire le versement que vous devez me faire ; vous savez que mon beau-frère ne me ménagera pas car samedi ou plutôt vendredi, j'ai reçu une lettre de lui où il me dit qu'il ne viendra chercher son argent que courant de janvier ou la 1ère quinzaine de février, que je garde son argent d'ici là, mais que je lui paierai l'intérêt à 5 %. Je lui écris par le même courrier que vous pour lui dire s'il veut vous avoir pour débiteurs pour les 3485  f ; qu'Alphonse lui écrive s'il veut (Veuillot, contrôleur des Contributions Directes à Pont-de-Vaux, Ain), entendez vous ensemble. Je ne demande pas mieux.

Oui, ma chère Amélie, ta lettre m'a fait passer un triste 1er janvier car véritablement elle n'est pas gaie, il s'en faut de tout. Tu me réclames pour aller à Béziers causer et vous donner des conseils. J'en suis incapable, puis il est peut-être un peu tard pour en demander. En quittant la gare de Bercy, vous voyiez l'avenir avec des couleurs jaune d'or, et même après quand je fus à Paris pour les chevaux de futage, enfin là n'est plus la question. Vous me dites d'aller à Béziers, mais qu'y faire : vous voir , vous consoler, car je vous vois tous tristes. Vous parlez de tenir la maison fondée, c'est donc une concurrence à Mr Teissonnière à faire en pays étranger car vous avez déjà une lutte à soutenir contre Suchet.

Vous me parlez de procès à entamer ; avec qui et pourquoi, les bases de votre traité ne sont donc pas claires ? N'y aurait-il rien à gagner à voir Mr Teissonière ou Mr Dumont, soit pour remettre les choses, soit pour éviter un procès qui ne peut manquer de nuire même à celui qui le gagnera, et surtout à la maison de Béziers. Alors le voile qui existait sur cette maison est donc levé, on sait donc que c'était une succursale de la maison Teissonnière. Comment expliquer la circulaire du 1er 7bre 1863 lancée dans tout le commerce ? Peut-être me direz-vous que je raisonne de tout cela comme les aveugles des couleurs, c'est possible. Seulement je ne vois pas la concurrence facile à établir et surtout à faire, ayant à lutter au pays avec Suchet et à Paris avec Teissonnière.

Dites-moi si un voyage près de Mrs Dumont et Teissonnière ne serait pas plus utile qu'à Béziers où je ne suis pas propre à vous donner conseil de faire ou ceci ou cela, attendu que je ne suis pas au courant de vos opérations commerciales. Puis, j'en reviens toujours là, votre traité avec Mr Teissonnière n'est donc pas bien [             ] pour donner lieu à un procès ou bien il y a donc inexécution des conventions d'une part ou de l'autre. Car j'ai sous les yeux la circulaire de P. Teissonnière  du 1er 9bre 1861, après la dissolution avec son beau-frère, où il dit que pour combler le vide fait par le départ de Mr Guyot, etc... il s'est adjoint Mr Alphonse Jacquillat qui quitte l'honorable position qu'il occupait au chemin de fer de Lyon où il s'est fait remarquer par son activité, son intelligence et son esprit de conciliation, etc, etc... En fais-tu preuve en ce moment ? Il n'y a donc plus moyen de remédier à cette brouille, j'en reviens toujours à croire un voyage de Paris utile, ne serait-il que pour éviter un procès dont j'ai tant horreur. Si Alphonse en se rendant à Paris était passé ici, je serais allé avec lui et l'affaire se serait arrangée, j'en suis convaincu ; peut-être encore aujourd'hui serait-il possible d'y arriver. Je connais un peu le caractère de mon aîné, il n'a pas toujours un raisonnement très juste et souvent il trempe sa plume dans la mauvaise encre. Je vais encore certainement le faire fulminer contre moi, mais tant pis.

Et toi aussi, ma chère Amélie, que je te gronde aussi, car quand il a quitté Bercy, vous étiez trop enchantés, disant qu'il se tuait souvent, trop souvent à tort, enfin quand vous êtes allés voir le midi, tu nous laissais croire qu'ennuyée de l'absence du mari, tu le rejoignais : c'était tout simplement pour voir si vous vous habitueriez ; là vous ne nous l'avez dit que lorsque tout le monde le savait, vous ne nous avez pas consultés alors, car je vous aurais [     ] de même que je vous ai dit que vous aviez eu tort de quitter la gare de Bercy, car jamais un individu ne vous donnera les mêmes avantages qu'une administration.

Maintenant je ne puis que vous répéter sur tous les tons : transigez, mettez les pouces s'il le faut, continuez, mais évitez surtout le retentissement d'un procès qui serait scandaleux  et des plus fâcheux pour vous d'après ce que j'entrevois.

Tu me dis, ma chère Amélie, que ton mari se tuait à la campagne ; te figures-tu que les autres n'en seraient pas là s'ils voulaient amasser sans bornes ? Vous me parlez d'association, déjà Alphonse voulait à son départ que je m'associe, que je vende Chaumes : que ferai-je aujourd'hui ? Je n'ai pas de grandes vues, c'est vrai, mais je m'en trouve bien quelques fois, qui trop embrasse, mal étreint. Qui donc était plus heureux que vous à la gare de Bercy, qui donc est sans ennui ? Quel différence du personnel domestique de votre ferme avec celui de la gare : là, vous en mettiez 20 à la porte, 300 attendaient et vous suppliaient.

Ce qu'il y a eu de plus fâcheux, c'est que l'on ne voit que les inconvénients de sa position et que les avantages de celle des autres. Si je vous dis tout cela, c'est que je suis énormément vexé de voir où vous en êtes arrivés avec Mr Teissonnière et puis que c'est quand il n'y a plus de remède  que vous demandez des conseils. Que faire alors : soutenir la concurrence avec Suchet et Teissonnière à Béziers et Bercy, je crois alors que c'est le pot de terre contre celui de fer, car je ne me rends pas bien compte de cette maison de Béziers. Teissonnière en aura-t-il une autre si vous continuez celle-là ? aurez-vous un correspondant à Bercy ? etc... Ce qui fait que je ne m'explique pas bien la position, c'est que jamais je n'ai su comment vous étiez là : toujours des mystères, des mensonges, comme si vous aviez eu à me craindre comme concurrent. Voilà ce que je ne pardonne pas à un frère pour un autre frère. Finis en donc des mystères à présent, fichu maladroit ; vous vous plaigniez de Teissonnière, probablement que ce dernier fait des compliments de vous, alors les choses pourraient s'arranger. Ecrivez le moi poste par poste, puis je pars et en revenant de là je vais à Béziers ; dans ce dernier quelle direction devrais-je suivre, tracez-moi mon itinéraire le plus économique. Peut-être ne serez vous pas satisfaits de tout ce que je vous dis, mais enfin si j'étais indifférent à vos peines, je m'en serais pas mal moqué ; c'est donc parce que je vous aime sincèrement que je l'ai fait. Héloïse est toute sens dessus dessous. Nous ne vous en offrons pas moins nos voeux de bonne année en vous remerciant des vôtres ; si ce que nous pouvons nous souhaiter vous arrive, tant mieux. Nous vous embrassons tous.

Votre frère le plus dévoué

      

                                                                                         J. Jacquillat

 

Le papa Jacquillat se plaint que sa pension n’est pas régulièrement payée. A quoi cela tient-il, veuillez donc y veiller. Il dit qu'Eugène lui doit depuis le mois de juillet.

 

 

*  Edme Jacquillat a arrêté de travailler (comme propriètaire-cultivateur, puis maître de poste aux chevaux à Montigny) en 1847. Son épouse est décédée en 1857 et, en 1860, il s’est retiré dans une location à Auxerre, 19 rue Coulange ; ayant légué, de son vivant, ses biens à ses enfants, ceux-ci lui versaient une rente mensuelle. Né le 24 floréal an II (13 mai 1794), il est mort en 1883.

 

** Veuf sans enfant en 1853 d’Anne Thérèse Bourbon, Jules Jacquillat s’est remarié, en 1853, avec Héloïse Aurélie Veuillot. Il s’installe alors sur l’exploitation de son beau-père qu’il rachète en totalité après la mort de celui-ci. Il est alors à la tête d’un ferme de plus de 100 hectares où il pratique notamment l’élevage du mouton.