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Le 6 août 1850, à Sens, Alphonse Jacquillat a épousé  Cécile Angélique Amélie Landry. Il a 29 ans, elle 27. Depuis 4 ans, il a quitté la Préfecture d’Auxerre pour les Chemins de fer de l’Ouest, puis du Nord ; en septembre 1849, il entre aux Chemins de fer de Paris à Lyon, réseau d’Etat. Il habite Paris, 62 boulevard Beaumarchais.

 

 

n° 5

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Paris)

26 janvier 1851

 

                                                                                  ce dimanche 26

 

Nous attendions en effet ta lettre avec bien de l'impatience, ma bonne Amélie, pour décider quelque chose. Chaque jour les StH. et Gaul. nous demandent : Amélie vient-elle bientôt ? Nous savions ce que cela voulait dire. Nous sommes heureux de l'espoir de vous avoir mercredi, mais nous n'aurons pas un gr. dîner ce jour : les Petipas * sont priés, depuis plusieurs jours, à venir nous aider à manger une dinde et il y en aura part pour vous deux, et même Lucie et encore Petite Carlier si elle se décide.

Marie a écrit à sa mère pour qu'on lui envoye pour notre soirée, et je viens de prier Marie de récrire aujourd'hui même pour demander si on veut te la confier mercredi, pour le cas où Alphonse ne pourrait venir, et vous trois Lucie vous nous arriveriez. Mme Carlier * ou Petite t'écriront de Paris, le plus tôt possible, oui ou non ; si Alphonse y est aussi cela ne gâterait rien, au contraire. Sans cela, je ne connais point de dame revenant et ne puis t'en indiquer.

Marie vient un peu nous voir, elle t'embrasse et ne va pas mal depuis son retour, elle a eu la raison de ne pas danser au bal Pignon et s'en est bien trouvée.

Maintenant passons à la question bal, cela est plus difficile à arranger au gré de tous. Le dimanche ne convient pas à tous les hommes à Sens pour danser et tu dois te rappeler qu'il n'y en a jamais ce jour, à moins d'être forcé comme dimanche gras, ou des brandons ** qu'on ne peut reculer. Mon mari le premier dit que le lundi (jour aux affaires à Sens) il ne sera plus bon à rien. Ensuite, notaires et avoués ont presque tous, ce jour, des adjudications chez eux ou à la campagne ; ils ne dînent qu'à 8 ou 9 h du soir, rentrent las et crottés et ne sont pas disposés à faire toilette pour conduire leurs femmes. Les clercs, qui ont congé à leurs études, vont à la chasse qu'ils préfèrent au bal ; puis les marchandes de modes et ouvrières ne peuvent faire les toilettes, jusqu'au dernier moment comme toujours, un dimanche. Enfin, plus que tout cela, l'habitude qui est la maîtresse de nos actions s'y refuse. Nous nous tenons donc au samedi, en pensant que vous vous arrangerez bien pour prendre un peu de tems aux affaires ce jour.

Jules Mauguin sera censé avoir la migraine samedi et priera Edouard de faire sa besogne comme il a fait celle d'Edouard le jour de son rhume de cerveau et Jules et Alphonse nous arriveront le plus tôt qu'ils pourront. Nous les ferons dîner, et nos toilettes et celle de Lucie se feront pendant ce temps. Le lendemain on restera tard au lit, ils se promèneront et partiront quand ils voudront, tout à leur aise. Le travail du lundi n'en souffrira pas. Je suis fâchée si cela va vous contrarier, mais c'est après bien des réflexions que je me décide à vous écrire ce dernier mot. Nous compterons toujours sur vous tous.

Quant à Messieurs Borel, Desmazures et Marié, si cela peut leur être agréable de venir, ils nous feront grand plaisir. Dans ce cas, Amélie pourra faire 3 invitations, comme de nous, pour eux, pour passer la soirée samedi 1er. Mon mari dit que si vous pensez que cela amuse Mr Emile Palotte ***, nous pourrons l'inviter aussi, mais pas un de plus, nous aurions trop d'hommes pour nos dames (il est bien entendu que ces messieurs danseront), ceci pour vous car vous savez qu'à un bal, on compte les jambes plutôt que les têtes. J'ai encore quelque chose à dire à Alphonse avec lequel nous ne nous gênons pas, c'est que je ne voudrais pas donner à dîner à ces 4 messieurs samedi, non pour le dîner, mais pour l'embarras, ayant la soirée chez nous. La salle à manger sera condamnée et la marmitte renversée le plus tôt possible. Seulement quelque chose pour Alphonse et Jules, mais ils mangeront en haut ou dans la cuisine, car buffet, plats, tout sera rangé aussitôt notre dîner. Qu'Alphonse le fasse sentir aux étrangers, mais comme venant de lui.

Nous allons, je pense, étendre notre liste à toutes nos connaissances.

Je te quitte pour m'habiller et faire nos visites de jour de l'an que nous avons commencées hier.

J'ai envoyé ta lettre, cachetée, à Mme Gaultry ****. Voici l'adresse dont tu parles, c'est là, je crois, que tu trouveras le mieux et de confiance, tu lui diras que tu te l'es procurée :

                                          H. Van Eeckhout et Cie

                                          38 rue Notre-Dame des Victoires

                                          dentelles noires et blanches

J'ai répondu à Mme Longuet que je ne pouvais y aller voir à cause de ma santé. Je me couche à 10 h et reste au lit jusqu'à 8 ou 9, j'espère que je me soigne. Nous avons reçu le mouchoir de poche.

J'ai tes petites affaires prêtes, j'enverrai le paquet

par un des premiers convois de lundi matin, n'ayant personne pour le porter ce soir. Il y aura dedans un petit paquet pour Victorine que tu lui enverras par Charles.

Je ne lui écris pas, tu lui communiqueras cette lettre. En t'embrassant ainsi que tout ton monde et ton mari qui te le rendra pour moi

 

                                                                                         V L

 

Répondez nous ce que vous aurez décidé. J'oubliais de te faire compliment de ta belle robe.

 

 

* Pauline Hann, née en 1820, est une cousine germaine de Victoire ; elle avait épousé Joseph Carlier. Celui-ci, né à Sens en 1799, fut commissaire, puis préfet de police à Paris. Il était propriétaire du château de Thorigny-sur-Oreuse et Conseiller Général de l’Yonne. Ses deux filles s’étaient alliées à M. Petipas, notaire, et à M. Foussé, tanneur à Sens.

 

** Ethologie - dimanche des brandons : nom donné, dès le XIII ème siècle au moins, au premier dimanche de carême, pendant lequel on promenait des brandons et l'on exécutait autour des feux allumés un danse dite "des brandons" (LAROUSSE DU XXe SIECLE, éd. 1928).

 

*** Emile Auguste Jacques-Palotte, né en 1831 : petit-fils de Nicolas Jacques-Palotte (magistrat, Conseiller Général de l’Yonne et maître de forges) et d’Anne Jacquillat. Celle-ci était la fille d’un frère de l’arrière-grand-père d’Alphonse, Jean Jacquillat (1749-1812), marchand de vin à Poilly dont il fut maire en l’an VIII (1800).

 

**** Adélaïde Colombe Hadwina Tarbé de Saint Hardouin, née en 1811, cousine germaine de Victoire Landry a épousé en 1831 Charles Louis Antoine Gaultry, conservateur des Hypothèques à Sens.

 

nota : 5 pages, le verso de la 5ème forme enveloppe avec l'adresse suivante :  

Madame Alphonse Jacquillat

                                                                              boulevard Beaumarchais 62

                                                                              Paris

 

n° 6

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Paris)

3 décembre 1851

                                                                  Sens, le 3 décembre 1851

 

Ma chère Amélie

 

En apprenant hier les événements de Paris, nous avons été bien tourmentés pour toi et ta soeur, surtout pour toi, à cause de ta position, et je me disposais à t'écrire lorsque nous avons reçu ta lettre. Nous sommes maintenant plus tranquilles de vous savoir chez vos bons amis, Mr et Mme Sangnier, dont nous connaissons le bon coeur et tout le dévouement pour vous ; ta mère surtout, qui se désole de ne pouvoir partir, compte sur l'expérience de Mme Sangnier pour la remplacer près de toi, si elle ne pouvait arriver à tems. Te voilà bien éloignée de ta soeur, que ce déménagement va, j'en suis sûr, bien contrarier ; mais j'espère que tout se passera bien à Paris et que vous pourrez bientôt réintégrer votre domicile. Ta mère avait eu l'idée de t'écrire de faire venir ta garde couches chez toi, mais puisque te voilà rapprochée d'elle, cette précaution devient inutile.

La maladie de ta mère nous a tous fort tourmentés à cause de toi, elle a déjà pris deux fois du quinine, et cette nuit elle n'a pas eu de fièvre, elle va assez bien ce matin, mais elle est bien faible ; elle a pris un petit potage au lait ce matin, elle prendra un bouillon dans la journée et je pense bien qu'elle pourra descendre dîner avec nous. Mr Lambert la soigne très bien, elle prendra encore ce soir une légère dose de quinine, et si ses forces reviennent elle pourra partir à la fin de la semaine ou au commencement de l'autre, mais je voudrais qu'elle fut bien remise car si elle redevenait malade chez toi ce serait un bien grand embarras pour vous ; puis aussi il faut que Paris soit tranquille et que tu sois revenue chez toi. Si tu étais transportable le mieux serait de venir faire tes couches ici.

Nous avons toujours Jenny et les enfants qui nous amusent beaucoup, mais ta pauvre soeur ne peut toujours rien faire de ses yeux, elle est obligée de se cacher de la lumière de la lampe, et de rester les bras croisés du matin au soir, sans cela elle aurait bien certainement brodé quelque chose pour la layette. Nous ne savons pas encore quand elle pourra nous quitter, mais nous la garderons le plus que nous pourrons.

Tâche donc de faire dire à ton beau-frère, Jules, qui est plus au centre de Paris, de nous écrire des nouvelles, s'il pouvait pendant tout ce brouhaha m'envoyer par la poste quelques journaux du soir, il me ferait plaisir ; tes frères sont dans une agitation que je ne peux calmer, pour moi je ne trouve pas toutes ces mesures trop mal à propos, les Français ne peuvent vraiment être bien gouvernés que par le sabre.

Adieu, ma bonne fille, je t'embrasse ainsi que ton mari, présente mes hommages et mes remerciements à Mr et mme Sangnier et donne nous de tes nouvelles tous les jours.

                                                                                         Landry

 

Je veux te dire moi même un mot pour te dire que je me tranquillise sur ton compte. Je me repose, Dieu le sait, puisqu'hier j'ai eu la fièvre presque tout le jour et ai gardé le lit. Aujourd'hui je vais très bien. Nous avons reçu une lettre de Victorine et de son mari, puis celles du tien. Il avait lui-même payé les 10 ctmes à Ernest et ne me les doit pas. Je lui dois, moi, des remerciements pour la ficelle jaune ; l'autre était retrouvée.

Vos lettres de ce matin nous ont tranquillisés sur vous. J. Guyot * ne va pas mieux, on désire qu'on n'en parle pas dans la famille, on espère que cela ne durera pas. Je renverrai ta lettre de C. Michel. Le petit dessin d'Ernest est bien gentil. Mon paquet est fait depuis longtems à moitié, je le finirai quand j'irai bien tout-à-fait.

Jenny ne sait plus maintenant si elle passera par Paris. J. Mauguin va-t-il mieux ?

Adieu, je vous embrasse tous deux de bon coeur

 

                                                                                         VL

 

Nous écrirons à Victorine la 1ère fois, tu peux lui faire parvenir cette lettre.

 

 

                                                                              Vendredi 5 novembre

 

Ma chère Victorine.

 

Je te communique la lettre que nous avons reçue hier en te priant de vouloir bien nous faire parvenir celles que tu pourrais recevoir. Suivant nos conventions, j'ai écrit hier à Sens en donnant de nos nouvelles à tous. Amélie va parfaitement bien ; elle ne ressent pas la moindre douleur. Ne t'inquiète donc pas à son endroit. J'écrirai encore ce soir à Sens

Je t'enverrai demain le laissez-passer pour entrer par la rue Rambouillet.

Nous vous embrassons tous de bon coeur

 

                                                                                         A. Jacquillat

Tout est très-calme chez nous.

 

Si tu nous écrit tu auras l'adresse ci-devant...                      Je sais lire

 

 

 

nota : lettre de 4 pages, la 4e, formant adresse :  à Madame Jacquillat, chez Mr Sangnier

                                                                        Chef des ateliers du Chemin de fer de Lyon

                                                                        à la Gare de Paris Paris

 

* Jules Guyot (1807-1861), notaire à Troyes. Il avait épousé en 1836 Anne Louise Adélaïde dite Adèle Tarbé de Saint Hardouin, cousine germaine d’Hélène Victoire Landry.

 

 

n° 7

Jules Jacquillat (Serrigny)

à Alphonse et Amélie Jacquillat (Paris)

22 décembre 1851

 

                                                                              Serrigny, 22 Xbre 1851

 

Mon cher Alphonse et ma chère Amélie

 

Que devez vous dire en n'entendant pas parler de ce négligent de Jules, si négligent qu'il devient ce qu'il est depuis longtemps, absurde ; ce qu'il y a de mieux à faire, c'est ce que vous faites : l'oublier.

Si vous l'oubliez au milieu de votre prospérité, lui, comblé d'honneur, n'en songe pas moins à vous et au cher neveu qui ne sera pas républicain, j'aime à le croire, sans quoi je le renoncerais.

Quand je vous dis plus haut que je suis comblé d'honneur, voici pourquoi et comment : après les événements que nous venons de traverser si heureusement, grâce à Louis Napoléon Bonaparte, l'autorité supérieure me demanda 5 ou 6 noms y compris celui de Mr Palotte et le mien afin de composer une commission municipale attendu que l'existence du Conseil était gravement compromise vu ses opinions démagogiques.

La mairie me fut offerte. Je la refusais attendu que je savais que l'ancienne administration brutalement renversée au 24 février avait encore autour d'elle des racines qui avaient survécu ; je ne voulus que de l'adjonction au maire : ainsi, mon cher frère et ma chère soeur, si vous m'eussiez vu hier soir faisant le dépouillement du vote de la commune de Serrigny ceint de l'écharpe municipale, je vous en aurais imposé tant j'étais digne lorsque le dernier bulletin eut été dépouillé et que le résultat nous a donné 106 oui et 4 non sur 111 électeurs inscrits.

Mr Palotte partait hier soir pour Paris, je fus avec lui porter immédiatement à Mr le Sous-Préfet ce résultat duquel j'étais un peu fier et auquel j'ai (pure modestie) un peu contribué. D'abord j'avais sous ma coupe 20 voix auxquelles j'avais dit que si j'en voyais un qui ne vote pas pour oui qu'il recevrait dès le soir même son compte. Sans doute vous me direz : belle liberté. Oui, je suis de votre avis, mais il y a une considération bien plus grave que celle-là, c'est le pays qui se trouvait en péril et je ne vois pas pourquoi nous aurions nourri et payé des hommes pour travailler d'une manière aussi ouverte à nous perdre, ce qu'évidemment ils faisaient en votant non.

Assez de politique et revenons à ce cher neveu * ainsi qu'aux auteurs de ses jours.

Avant, je vous dirai que de nombreuses arrestations sont opérées chaque jour ; pour ne te citer que des noms que tu connais : le fils Crochot et son père (Pontigny); Aureau le meunier, Tripierres l'adjoint de Maligny, Michaut de Chablis, Coeurderoy; Ballerais, Dupolès, Moreau-Marmigniat (Tonnerre) ; (Luigny) : Rampont; Lechiès le médecin est en fuite par suite d'un mandat d'amener. Je n'en finirais pas si je voulais te tout citer. Je termine. St Florentin : Vezin, Gauchard, Thulest est bien compromis, dit-on. Si vous voulez avoir de plus grands détails, vous me le direz.

 

Il paraît que ce neveu vient à merveille. Il a déjà une chevelure digne et en état de figurer au milieu des estampes de la cour de Louis XIV. Vous voyez bien là que je ne sais pas que ce que vous me dites.

On m'a dit que la nourrice, ma soeur, a tant de lait qu'on lui ordonne de faire diète pour en diminuer la sécrétion, ce qui me console un peu d'avoir autant tardé pour envoyer des lentilles, mais, patience, elles arriveront, mais aussi comme vous les trouverez bien meilleures, n'est-ce pas.

 

Maintenant, écoutez bien ceci : je crois que tu as quelqu'un au ministère de la guerre que tu [          ] assez facilement ou du moins tu avais, si tu l'as encore, écris le moi courrier par courrier ; dans le cas contraire, donnes moi l'adresse de Mr Carruaud. Voici : j'ai au nombre de mes nombreux amis un jeune homme qui a un père,  lequel père est vivant et est un ancien serviteur du petit Tondu ; il voudrait le chiffre des 11033 qui vont recevoir des récompenses, comprends-tu ? réponse courrier par courrier.

Je voudrais bien voir Mr Landry Ernest, ce farouche républicain, si je ne craignais pas de ne rien trouver pour déjeuner en arrivant à Sens (il y a bientôt un an que j'ai cru que je n'y déjeunerais pas).

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nota :     1. la fin de la lettre, écrite en travers de la quatrième, puis de la troisième page, à l'encre rouge (très pâlie) n'est pratiquement pas lisible.

                2. il y a , dans cette lettre, de nombreux noms propres ; la lecture de leur orthographe n'est pas garantie.              

 

* Le premier enfant d’Alphonse et Amélie, né le 10 décembre 1851, ne vivra que 3 ans.

 

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n° 8        

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Montigny-le-Roi)

7 août 1852

 

 

                                                                                  Sens, ce 7 août 1852

 

C'est bien mal à moi, ma chère Amélie, de ne pas t'avoir encore écrit, mais aussi il nous a fallu nous réinstaller ici, sortir, écrire aux plus pressés, comme Mr Alphonse à qui on a envoyé des souliers, avoir Arsène Landry, juge de paix de Joigny *, toute une matinée, quêter, etc. Enfin, ce matin, samedi, je ne ferai rien que cette lettre ne soit terminée. Je la commencerai d'abord par te dire tout le plaisir que j'ai eu à passer quelques instants dans la famille d'Alphonse qui est la tienne aussi. Je ne cesse de penser à l'activité et à la prévenance de Mme Jacquillat, à ses bons soins pour tout le monde, à la tendresse que son mari et son fils Eugène te témoignent ainsi qu'à Firmin et aux bontés qu'ils ont eu tous pour nous et dont je te prie de bien les remercier. Je me réjouis pour toi et Firmin du bon air et du bon lait que vous avez pris là et du bon tems que vous y avez passé ; cette campagne est délicieuse et jamais je n'ai vu une plus belle verdure que vos prés et vos bois. Après vous avoir quittés lundi, nous nous sommes retrouvés chez les Longuet et le sujet de conversation a été presque toujours Montigny et ses habitants. Nous nous sommes promenés lundi et mardi sur l'horrible pavé d'Auxerre, nous avons vu les Sauvalle **, puis, par hasard, des dames de Baury connaissant Jenny. Nous avons quitté Auxerre mardi à 5 h. et nous dînions chez nous à 8 h. 1/2, très contentes de nos voyages. Ma jambe avait enflé à Auxerre, elle l'est beaucoup moins, mais cependant le soir elle l'est toujours un peu ; cela se passera bientôt, j'espère. Je te prie, quand tu verra Mr et Mme Perroche, de bien les remercier pour moi encore de leur eau verte bienfaisante et de m'avoir conduite à Auxerre.

J'ai payé les souliers de Firmin ; ceux de 35 sous, m'a-t-on dit, doivent être lacés, ceux à boutons sont plus chers de 50 ctmes, il n'y en avait pas d'autres. La couche marquée P n'est pas à Pauline, je l'ai mise avec tes effets. J'ai enveloppé les souliers que j'ai envoyés à Alphonse dans 2 couches à Firmin.

Il paraît qu'Eugène est à Paris ; si tu l'y retrouves, tâche donc de savoir ce qu'il pense du talent d'Augustine sur le piano, puis du piano lui-même. Ton mari m'a déjà écrit 2 ou 3 lettres qui nous font grand plaisir. Petipas ne conçoit pas qu'il n'ait pas reçu sa lettre, il dit l'avoir adressé mardi ou mercredi. J'ai reçu une lettre bien touchante de Mme Brémontier *** et tante St Hardouin une de tante Vauxclairs. Cette pauvre mère ne peut se remettre de ce qu'on lui a caché la gravité de la maladie de sa fille qu'elle ne croyait qu'indisposée et qu'elle n'a vue que sans connaissance ; elle ne parle que de fièvre cérébrale et ne sait pas l'opération, je pense. Mmes Saint Hardouin et Gaultry sont de retour. Saint Hardouin est souffrant, il a de la fièvre tous les jours. Ces dames ont vu ton oncle et ta tante ; ils ont des ouvriers plein leur maison. Je pense que Mr Jacquillat en a bien aussi pour relever son étable.

Caroline a trouvé 18 fr 50 à la quête des Carmélites où nous étions parfaitement placées, avec Delph. Cretté. Mr Tager a fait un beau discours. La postulante était rayonnante de bonheur. C'est grâce à Anastasie que nous étions au 1er rang, près de la grille, à côté des père, mère, soeur, etc. Il n'y avait plus de rideau, mais les Carmélites avaient des voiles noirs baissés et 4 novices des voiles blancs. La nouvelle avait le visage découvert, elle ne prendra le voile que dans un an, elle a paru d'abord en mariée.

Mr Martot, le peintre, vient de marier, son fils va continuer l'état. Mme Fouquet a un garçon. J'ai vu Mme Pravent et sa petite, petite Thérèse, fort laide, mais ayant des cheveux blonds qui touchent à ses sourcils tant ils sont longs.

Nous ne savons si tu passeras lundi ici. Si nous savions l'heure, nous irions te voir à ton passage, mais tu devrais bien t'arrêter un peu pour venir prendre un repas ici.

Mr Payen est de retour de [Mezilles]. Petipas est encore ici, il ira chercher sa femme dans 8 jours. Il a reçu une jolie lettre de Jules qui, maintenant qu'il est chez lui, dit-il, et maître de son tems, lui adresse encore des remerciements pour tout ce qu'il a fait pour lui, pour son traité et son mariage ; il se trouve toujours le plus heureux des hommes, il lui parle des affaires de son étude qui vont bien, et de sa petite femme qu'il compare pour la bonté à Marie. C'est bien heureux que Jenny et Auguste ne s'ennuient pas à Ricey.

Adieu, ma bonne Amélie, je t'embrasse de tout coeur ainsi que Firmin et Alphonse s'il est là, pour nous tous, mille choses tendres à ta famille

 

                                                                                         V.  Landry

 

ci-joint un échantillon de feuilles de camomille romaine. 

 

 

 lettre composée d'une grande feuille (4 pages) et d'une demi-feuille (1 page écrite, l'autre côté servant d'enveloppe pour l'ensemble). Papier de couleur crème avec armoiries fantaisie gravées en haut à gauche dont le cartouche contient les initiales V et L.

  

L'adresse est :      Alphonse Jacquillat, chez

                Monsieur Jacquillat, propriétaire,

                               à Montigny-le-Roi,

                               près Ligny-le-ChâteL         

                Yonne

 

annotation au crayon de Firmin Jacquillat : après leur séjour à Montigny chez mes grands-parents Jacquillat.

 

* Arsène Landry (1797-1865) est l’un des deux frères de son mari, le second étant Pierre dit Aimé (1795-1857).

 

** Louis Charles Sauvalle (1795-1889), contrôleur des Contributions Directes.

 

*** Alexandrine Colombe Tarbé de Vauxclairs, fille de Jean Bernard Tarbé de Vauxclairs, née en 1786, cousine germaine de Victoire Landry, avait épousé en 1818 Georges Brémontier, ingénieur des Ponts et Chaussées ; de leurs trois filles, l’aînée, Alexandrine Georgette, épousa en 1841 Auguste Duméril (également ingénieur des Ponts et Chaussées), père de Paul Duméril et grand-père de Thérèse.

 

 

n° 9

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Paris)

31 décembre 1852

 

 

                                                                              Sens, ce 31 Xbre 1852

 

Ma bonne Amélie,

 

Depuis la veille de Noël que j'ai attendu jusqu'à minuit  le paquet que Chapotet devait m'apporter et que Mr Sylvestre m'a remis le lendemain à 9 heures, je veux toujours t'écrire et ne puis en trouver le moment. Les soirées d'abord, les offices de Noël, les lettres de fête à lire, à répondre, l'approche du jour de l'an, rangements, rapprovisionnements de la maison, courses, visites à rendre pour les soirées, que sais-je ? tout enfin m'a privée du plaisir de m'entretenir avec toi. Il est bien tems cependant de te remercier de tes voeux pour ma fête, de te dire le regret que nous avons eu du passage tout droit de ton mari et enfin de t'annoncer un petit paquet que Mr Sylvestre a dû te remettre de ma part et pour lequel je devais t'écrire le lendemain des explications. Tu as peut-être deviné la destination des 39 frs dont 19 de la part de tante St Hardouin qui te remercie de l'envoi de ses chaussures, puis 20 frs dont 5 frs pour que tu achètes à Firmin ce que tu croiras lui faire le plus de plaisir ou de profit pour ses étrennes, puis 15 frs pour remettre à Victorine pour ses 3 mioches. Victorine te les aura sans doute demandés car Caroline lui en a écrit, mais elle a oublié de te faire dire qu'il y avait 5 frs pour ton fils.

Mr Gaultry qui a quitté Blois a porté à Jenny 10 frs pour ses enfants et Jenny m'a répondu par Paul, arrivé d'hier, qu'Alfred aurait une boîte d'instruments de mathématiques et Sido un ménage de fayence qu'elle me fait prier de bien lui emballer pour qu'il ne soit pas cassé en route. Alfred nous a écrit : il a été 4e en thème latin et 12e en grec sur 50 élèves de sa classe, c'est bien joli. Paul et son père ont vu leur future cousine Bembenet, elle n'est pas jolie et moins bien que le cousin, elle a 19 ans et est en pension depuis l'âge de 7 ans.

Mr Dion m'a dit qu'il t'avait dit que tu trouverais le bouchon de burette rue de la Roquette, parce qu'il y a plusieurs dépôts ou fabriques, mais n'a pas voulu m'en donner les adresses. Il dit que ton fayencier te fera faire cela très facilement. Si tu ne peux trouver, vois donc chez Levasseur, sur le boulevard, près de la rue de la Seine, en allant chez Victorine.

Tout le contenu de ton gros paquet est arrivé à bon port, même les pots. Les cahiers nous ont intéressés. Caroline a voulu jouir tout de suite de son beau col qui est déjà fait, mais pas encore étrenné ; elle en est bien heureuse. Sais-tu que les lettres de ton mari deviennent bien rares ; est-ce que par hasard il les adresse toujours à Mr Bichon ? Mr Guillemot, toujours très gracieux, me disait l'autre jour : Mr Jacquillat nous manque ; tous les samedis, je le cherche toujours en vain dans les arrivants, nous nous étions habitués à le voir, etc, etc. Sur ce, je lui dis :non seulement il ne vient plus, mais il ne nous donne plus de ses nouvelles et est devenu, ainsi que sa femme, très paresseux. Mr Guillemot reprit : ce lui serait pourtant bien facile de vous écrire, il n'aurait qu'à m'adresser un petit paquet et je m'empresserais de vous le faire parvenir. Remerciements de ma part, avec intention de vous le répéter pour en user quelquefois, avec modération et sans abus. Qu'on se le dise, style Jacquillat.

Nous ne savons pourtant pas ce que sont devenus les Jacquillat-Bourbon. Après le jour de l'an nous avons l'intention d'aller, avec Mme Déligaud, ses enfants et notre petite Lucie, faire une visite à Saligny, dans l'omnibus. Pour éviter à Alphonse la peine de venir exprès, nous avons indiqué à Victorine un moyen de nous envoyer Lucie, c'est avec Mr et Mme Foussé qui reviendront jeudi ou vendredi prochain, peut-être les Carlier seront-ils aussi du voyage. Dis à Victorine que Caroline Foussé ne demande pas mieux, il faudra que ta soeur la voie pour s'entendre avec elle pour le jour et l'heure du départ et bien lui recommander de ne pas laisser Lucie s'approcher des portières, ni se pencher aux fenêtres des wagons. Nous irons au devant de Lucie quand nous saurons l'heure de l'arrivée et nous nous faisons une joie de la revoir, elle va bien nous amuser.

Tu as eu bien le tems de faire connaissance avec ta belle-soeur, s'est-elle apprivoisée ? a-t-elle eu l'air de s'amuser au bal ? a-t-elle dansé ? son séjour a dû te faire bien de l'embarras. As-tu reçu une réponse des parents de ta bonne ? est-ce qu'elle a trouvé la [femme] qui lui doit ? a-t-elle espoir de rentrer dans ses fonds ? As-tu reçu une réponse de Mme Jubin et non Joubin, dit mon mari ? c'est la mère de Mme Ménigot, notre ancienne sous-préfète. Mon mari a gardé ta lettre 2 jours ici parce qu'il devait aller à Vne et l'aurait portée lui-même, mais son voyage ayant été contremandé, il a mis ta lettre à la poste, en y posant un timbre-poste. A propos de lettre, la tienne datée du 22 ne m'est parvenue que le 24, elle a eu encore sans doute un billet de logement avec séjour au fond de la poche d'un certain monsieur qui y avait mis l'adresse, ce qui nous a prouvé qu'il avait encore à sa disposition une plume et de l'encre.

Je ne veux pas aller plus loin avant de vous souhaiter à tous deux une bonne et heureuse année et vous prier de faire faire bibi front à mon bon Firmin pour moi, est-il bien fort sur ses jambes ? court-il bien tout seul partout ? C'est fâcheux que tu n'aies pu recevoir Mme Galin *, connais-tu son petit garçon ? Mme Duchemin est accouchée d'un 3e garçon qui est mort en naissant. Le papa Sauvalle est toujours fort mal, il a 89 ans sonnés. La préfète, Mme d'Ornano, est aussi fort malade, ainsi que Mr Paradis et beaucoup de monde à Auxerre, il y a beaucoup de fièvres typhoïdes. As-tu vu le changement de pays Mr Trully ? qui va à Toucy. Connais-tu le remplaçant ?

Delphine Cretté est de retour, nous allons la voir presque tous les jours. C'est bien triste de la voir toute seule dans ce grand salon, car elle ne peut se tenir dans la chambre de sa mère, c'est bien plus triste encore. Son père y couche et elle à côté, dans sa chambre. Elle a 2 chaises à l'église auprès des nôtres, pour elle et sa bonne. La mère Rognon marie à la fois ses 2 filles, aînée à un clerc, elle conservera la boutique,  la cadette à un commis des droits réunis de Sens.

 Lucienne est repartie, elle doit loger chez Ernest, rue du Bouloy, jusqu'à ce que l'odeur de la peinture ait un peu disparu de chez elle. Elle a écrit hier à ma tante Michel ** pour lui faire part du mariage de son fils, en la priant de me le dire pour que j'en fasse part à mes enfants ; elle ne dit pas qui Ernest épouse, ni ce qu'il fera, etc. Ce dernier a écrit à Petipas qu'il fait un mariage qui lui donnera une position... sans plus de détails. Les Petipas et les Foussé n'en savaient rien, assurent-ils. Caroline Foussé n'est pas enceinte, seulement elle est très forte. Elle vient nous voir assez souvent. Son mari chasse beaucoup, puis voyage pour ses affaires. Ma tante ne les a pas encore invités des lundis, je ne sais pourquoi.

Les détails sur les [Petit] sont bien tristes et nous ont intéressés ainsi que les St Hardouin et Gaultry. Mr Lescure fait des cancans. Hadvina n'a pas écrit à Louise depuis longtems, sa dernière lettre est partie de Troyes et lui a été adressée à Quarteret, c'était au mois de juin et au sujet de la mort de Mme Baumes. La succession [Matilde] va tomber dans l'eau, faute de titres pour prouver la parenté. Tante Michel ne va pas mal et vous dit à tous mille tendres choses.

Je suis contente de Rosalie, elle est très propre et bien plus vive que Pauline, elle fait moins bien la cuisine, mais elle apprendra. Anastasie en est

 

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* Lucie Petit (1831-1892), fille de Colombe Michelin de Choisy (1788-1867) et de Victor Petit (1780-1871), notaire à Paris, petite cousine de Victoire Landry, a épousé, en 1851, Auguste Galin, également notaire à Paris ; son fils aîné, Victor, est né le 24 octobre 1851.

 

** Gratien Théodore Tarbé (1770-1848) avait épousé, en 1797, Cécile Victoire Michel-Oppenheimber (1770-1843), fille de Jean Baptiste Michel-Oppenheimber et d’Hélène Bérénice Homberg (morte en 1807). J.B. Michel-Oppenheimber était originaire de Vienne, en Autriche ; il reçut le droit de bourgeoisie au Havre en 1787. La famille Homberg était de religion israélite ; venue d’Amsterdam et établie au Havre vers 1730, elle y exerça la profession d’armateur sous le nom de “ Veuve Homberg et Homberg Frères et Cie ” et devint rapidement une des premières maisons d’armement de la place. En 1785, toute la famille se convertit publiquement au catholicisme.

Cécile Victoire avait 8 frères et soeurs. Son frère aîné, Jules Maxime (mort à Sens en 1825) épousa Lucienne Barnoult et eut 3 fils dont le dernier, Victor, agent de change, épousa Clémence Casadevent et eut 2 filles, contemporaines, cousines et amies d’Amélie Landry : Clémence et Jeannine qui épousa Jean Joubert et dont le fils, également prénommé Jean, est de la génération de Firmin Jacquillat. Clémence Casadevant se remaria par la suite avec le peintre Henri Lehmann..

Sa soeur Julie (1763-1837) épousa Désiré Hann (mort à Sens en 1819) et eut 2 filles :

                - Bérénice Pauline qui épousa en 1820 Pierre Joseph Carlier, préfet de police (mort en 1858) ; leur fille Marie (morte en 1890) épousa Jean Petipas, juge de paix (mort en 1890) -  leur seconde fille, Caroline, épousa Césaire Foussé dont elle eut 2 enfants, Paul et Marguerite (génération de Firmin Jacquillat)

         - Lucienne qui épousa, en 1821, Télémaque Trinquesse, négociant à Sens, dont elle eut 2 fils : Ernest et Léon.

A noter que c’est la génération de Cécile Victoire et de ses frères qui abandonna le nom d’Oppenheimber pour ne plus porter que celui de Michel.

 

 

1 8 5 3 - 1854

 

 

Cette période verra la consolidation des déboires financiers de Jean-François Landry : la propriété de la Tournerie avec notamment ce qui subsistait encore des souvenirs de Gratien Théodore Tarbé est vendue ; Ernest, qui était clerc de notaire rue de Trévise à Paris, rachète la charge d’avoué de son père et la maison de la rue Edouard Charton.

 

 

n° 10

Victoire, puis Caroline Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Paris)

31 mai 1853

 

 

                                                                                                                             31 mai 53

 

Ma bonne Amélie

 

Tu dois être bien étonnée de ne pas avoir reçu de nos nouvelles depuis la vente, mais à notre retour nous avons eu un peu d’occupations pour des changements de meubles dans la maison, nettoyage, etc... Apprêts pour l’arrivée de Jenny, et enfin son arrivée dont nous avons voulu un peu jouir. Puis Caroline croyait toujours avoir une lettre de toi et nous ne voulions pas qu’elle se croise avec la nôtre, ce qui va sans doute arriver.

La vente a eu lieu le dimanche 8 mai. Partie avec Ernest, Caroline et Anastasie, après la messe et avoir déjeuné à 9 h, nous sommes arrivés pour préparer les lots, meubles, etc... A midi et demie, tout était prêt, mais la pluie et le froid nous faisaient craindre de n’avoir personne, mais à 2 h on est arrivé en foule , comme pour une foire, les uns pour acheter et les autres par curiosité ; on se promenait partout et ce n’est pas trop dire que d’estimer à 7 ou 800 personnes les promeneurs qui parcouraient tous les jardins et la maison. Ce que j’ai su par Caroline, Anastasie et Ernest qui ont été voir ce monde. Moi, je ne suis pas sortie du salon, pour organiser cette vente, avec Noël, sa fille et Bonne, puis Me Damanchin, son clerc, Me Desbrisseaux et Ernest souvent ; tout a été fort bien, il y avait bien 3 ou 400 personnes autour de la grande table. Toutes les vieilleries se sont vendues et nous n’avons eu fini qu’à près de 8 heures du soir.. Ensuite nous avons emballé ce que je t’ai acheté et sommes revenus à Sens dîner à 10 h ½ du soir, n’ayant mangé que quelques  bouchées de pain et de chocolat (mon mari qui faisait ce jour une adjudication à Theil était rentré au logis à 8 h et avait dîné) et moi ne m’étant pas assise de la journée ; aussi étais-je bien lasse, mais bien contente que tout soit fini tant j’avais peur d’être obligée d’y retourner.

Après notre vente, Me Desbrisseaux a vendu, aux enchères aussi, des fenêtres, persiennes, fer, bois, etc... du château dont la démolition était commencée. Quoique cette vue était prévisible et faisait mal au coeur à Ernest et à ta soeur, j’avoue que je ne l’ai pas regretté, car il y a longtems que je désire voir ce château converti en bons sacs d’écus dont je ferais un bon usage s’ils étaient en ma possession, mais hélas ! je ne sais quand cela sera.

Pour en revenir à la vente, j’ai fait acheter par Bonne ce que tu désirais à peu près : d’abord la chaudière que j’ai fait mettre sur la table avec les 6 meilleurs porte-manteaux pour 1. 70

(la chaudière m’avait coûté 3 f 50)

puis la bibliothèque pour                                                                     2. 25

une couverture de coton                                                                     7. 00

(je n’en ai acheté qu’une, j’ai fait pousser l’autre jusqu’à 9 f et l’ai laissée aller, car cela vaut 16 f neuve et elles ne l’étaient pas assez, je trouve, pour les payer plus de moitié ; c’étaient les 2 meilleures)

et enfin le matelas que tu vas peut-être trouver trop cher, mais c’était un très bon, de 3 pieds, le seul en laine neuve, que j’avais fait faire le 1er de tous, il y avait 23 livres de laine neuve qui m’a coûté 2 f 40 la livre                                                      55. 20

façon                                                                                        2. 50

3 aunes ½ toile à 1. 80 (siamoise)                                             6. 30

                                                                                              ---------

                                                                                              64. 00

il a été adjugé à 36 f ; je te mets le prix coûtant pour te dire ce qu’il vaut. Il n’a jamais été rebattu, ni lavé, mais en a bien besoin. Si tu le fais refaire pour ton lit, tu pourras acheter quelques livres de crin, car il serait trop plat pour 4 pieds. Un vieux matelas a été adjugé, après celui-ci, 35 f parce que nous n’y mettions plus. Tu ne me paieras pas cela avant que j’ai eu une note officielle de Me Damanchin, car je fais peut-être erreur, mais je ne crois pas cependant.

Ernest a fait à la hâte des additions et a trouvé un résultat de 674 f sauf erreur sur toute le vente ; il y a des choses qui se sont bien vendues et d’autres fort mal ; puis j’avais rapporté ici le meilleur en literie depuis quelques années.

Nous n’avions pu rapporter les effets avec nous n’ayant qu’un cabriolet, mais Huret et Riché m’ont rendu cela lundi et ce matin, et maintenant ton mari poura venir le chercher quand il voudra. La couverture n’est pas trop propre, tu sais que les chiens se couchaient sur les lits, et si tu veux me la laisser jusqu’à une lessive, je te la ferai laver ; quant au matelas, je crois qu’il faut mieux qu’il voyage sale, si tu es sûre qu’on ne te changera pas la laine à Paris.

Je remercie bien pour les cartes à jouer, as-tu reçu la caisse ? as-tu la note du chapeau ? As-tu revu les Longuet ? Mr  Ray Alex. a passé 3 heures chez nous revenant de sa ferme. Mr Payen est de retour et a laissé Augustine assez bien sauf quelques maux d’estomac.

Nous avons Jenny qui nous a bien parlé de vous, sa petite est bien gentille et bien tracas. On nous a vanté les talents et grâces de Firmin qu’il nous tarde de voir. Sidonie parle bien aussi de ses cousins et cousines Mauguin.

Nous avons remis dimanche à Mme Carlier tes bottines, mais j’ai dit que tu ferais prendre le paquet chez elle et ne t’en avais pas prévenue ; peut-être Victorine pourrait-elle y envoyer, c’est plus près de chez elle et tu le reprendrais là. Il n’y a pas de lettres dedans le paquet.

St-Ange, sa femme et l’enfant sont ici, chez leur mère ; on dit sa femme bien souffrante. J’ai vu le petit qui est très joli, donc il ne ressemble pas au mari de sa mère.

Le jardin rue mi-pavée est vendu, j’ai écrit tous les détails à l’oncle Levert *.

Delphine n’avait pas reçu ses chapeaux hier, elle avait écrit il y a 3 jours. Mme Cretté a récrit hier qu’on les lui renvoye tels quels. Delphine te remercie toujours beaucoup. Dis à Victorine, par un petit mot si tu ne la vois bientôt, que Mme Déligand est à Véran **, nous ne l’avons pas trouvée ce matin pour faire la commission, mais elle revient demain et nous répondrons dimanche probablement à Victorine.

Adieu, ma bonne amie, je t’écris bien à la hâte, mais je tiens à ce que cette lettre t’arrive avant le départ d’Alphonse s’il vient nous voir samedi, afin que tu décides ce qui tu veux qu’il emporte ; rien ne me gène cependant et je garderai le tout tant que tu voudras. Jenny nous a parlé de ton projet de bains de mer, ce serait une bien belle occasion. Je vous embrasse tous trois, et les autres cinq de la rue Neuve St-Eustache ***.

Toute à toi.

                                                                                         V L

 

Je crois que Jenny serait bien aise d’avoir son schall dimanche, comme Mauguin le lui fait espérer.

 

 

Ma bonne Amélie, je viens encore te donner une commission que tu me feras bien volontiers, j’espère. Veux-tu m’acheter une ombrelle marquise bien solide et assez grande, bleue ou verte à ton goût, mais foncée, mais pas d’une autre couleur que l’une ou l’autre que ces deux-là ; j’y mettrai bien de 11 à 12 francs. Je suis sûre d’avance que cette commission sera bien faite. Si tu n’as pas de marchand à ta connaissance dans ton quartier, maman connaît Castel, passage du Saumon **** ; ce sera peut-être un peu loin de chez toi, je n’en suis pas pressée, le plus difficile sera de trouver une occasion. Merci d’avance, ma bonne chérie.

Il paraît que bébé est toujours bien gentil, Sidonie nous en parle souvent.

Melle Commercy se marie mercredi prochain, c’est le jour des confirmations.

Adieu, ma bonne Amélie, je t’embrasse de tout mon coeur et serai toujours ta soeur et meilleure amie

 

                                                                                         Caroline

 

L’ingénieur (notre cousin) se marie le 7 juin et partira avec sa femme pour 6 semaines.

 

 

* son beau-frère Antoine Levert (1794-1865), entreposeur de tabacs à Paris.

 

** village de la vallée de l’Yonne, à environ 15 km au sud de Sens.

 

** les Mauguin : Jules, Victorine et leurs 3 enfants : Ernest (1844), Lucie (1845) et André (1850). La rue Neuve St-Eustache est devenue la partie centrale de la rue d’Aboukir.

 

*** ce passage, situé entre la rue Montmartre et la rue Montorgueil, est devenu la rue Bachaumont.

 

nota : lettre de 8 pages, la 8ème formant enveloppe et adressée boulevard Beaumarchais.

 

 

 

n° 11                             après la morsure de mon père par un chien suspect suivant un fiacre *

Victoire Landry (Sens)                                                              

à Amélie Jacquillat (Paris)

28 décembre 1853

                                                                              Sens, ce 28 Xbre 1853

 

Je pensais bien en ne recevant pas ta lettre en même tems que celles de tes frères et soeurs, ma bonne Amélie, que tu avais eu un empêchement à m'écrire et je n'en accusais pas ton coeur, te connaissant bonne et aimante pour ne pas m'avoir oublié ce jour et j'ai reçu tes excuses comme très valables. Je suis bien sensible à tes souhaits et voeux ainsi qu'à ceux de ce pauvre Alphonse que je plains bien sincèrement d'être ainsi éclopé. J'ai été peinée de voir que ses sorties l'ont fatigué. Le simulacre de sa plaie m'a fait mal à la jambe en le regardant, je croyais que la croûte n'étant pas tombée, il n'y avait pas encore de plaie, cela s'est donc ouvert autour tout de suite. Il faut que la brûlure ait été bien profonde pour tenir autant et Mr Devillers n'y a pas été de main morte et l'a traité en ami. Je désire bien apprendre qu'il souffre moins et que cette croûte est tombée ; la plaie alors sera comme un vésicatoire et ne le fera plus souffrir. Il lui faut bien de la patience. Tu nous en donneras bientôt des nouvelles et nous dira s'il peut retourner à son bureau ? S'il n'y va pas, ce sera lui qui nous écrira.

Je cherche une occasion pour t'envoyer les chaussettes d'Alphonse et celles de Firmin et n'en trouve pas, mais je sais que Mme Foussé ira à Paris pour le jour de l'an, vendredi ou samedi au plus tard, et je l'en chargerai ; je mettrai dans le paquet les étrennes d'Ernest et 5 frs pour chacun de mes petits-enfants de Paris. Ainsi tu en préviendras Victorine et vous pourrez acheter à l'avance ce que vous voudrez leur donner. Si Caroline Foussé ne peut faire porter le paquet chez Victorine, je la préviendrai pour qu'elle le fasse prendre.

Je n'ai pas dit à Mme Longuet ce qu'a Alphonse ; nous sommes toujours si pressés en écrivant que cela aurait été trop long à expliquer, pas plus qu'aux soeurs de Ricey ou d'Orléans auxquelles je pensais que vous l'auriez peut-être écrit de Paris. Mes correspondances augmentent toujours et nous ne faisons qu'écrire. Je dois une lettre à Mr Levert pour le remercier de ce qu'il veut bien garder Ernest ; dis-le lui quand tu le verras. Puis une à Mme Duparc ** pour la féliciter du mariage de son petit Edouard dont elle m'a fait part, puis nous avons envoyé hier les étrennes des petits Ray, 5 frs à chacun ; Caroline des jouets à sa filleule, 2 petits bouquets d'oeillets à Félicie et moi 2 flacons de cheminée pour Augustine qui n'a pas de petit enfant. Ce matin, j'ai envoyé aussi à Jenny 10 frs pour Alfred et Sidonie. Cette pauvre Jenny m'a écrit pour ma fête une lettre très mal écrite à cause de son bobo au doigt qui dure toujours, il y a plus d'un mois, c'est bien long. Gabrielle m'a écrit très gentiment, elle va m'envoyer bientôt quelque chose de sa façon... Augustine m'annonce qu'elle m'a brodé des manches qui viendront bientôt, puis Caroline m'a brodé (en cachette de moi) un très joli col. Augustine a écrit à son père avoir enfin reçu une lettre de Victorine.

Savez-vous que les lots de la succession de tante de Vauxclairs *** sont tirés, son fils a le château.**** Mme Brémontier a écrit cela à ma tante St Hardouin en lui disant que le sort a donné à son frère le château qui lui était dévolu, elle en paraît contente. Ils sont tous satisfaits de leurs lots de St Florentin aussi.

J'ai oublié de te dire que le cadre ne peut me convenir pour ce que je voulais, il est bien trop grand.

Je pense que la dernière lettre de Caroline te sera parvenue avant d'aller dîner le jeudi chez Victorine puisque tu parles des bas noirs. Rameau dit que s'il t'a fait tes bas pour 1 fr, il a fait une brioche *****. Il pense user pour 15 ou 16 sous de filoselle par paire, mais il va peser au juste et il ne comptera que ce qui y entrera. Il dit que les chaussettes noires comme cela se vendent 50 sous et il va se mettre à te les faire bientôt. Si tu n'as pas besoin de la laine blanche qui est  à toi ici et que tu saches ce qu'elle t'a coûté la livre et que tu veuilles la recéder, dis-le moi, je trouverai à la placer, si cela t'arrange.

Si vous avez moyen de faire venir le chocolat et le thé chez Victorine et que Marie ou Petipas veuille bien s'en charger, remettez le lui. Si on vend les cartes à jouer, pour Wiss, roses ou bleues, moins de 20 sous le jeu, voudras-tu m'en acheter ou faire acheter 2 jeux. Nous en avons des blanches encore. Tu tiendras note de ces petites dépenses. Il y a des cartes à 90 ctmes à Sens, mais fort laides. Je les préfère roses ou jaunes, plutôt que bleues.

Les rubans et le sautoir sont peut-être perdus car il est incroyable qu'ils ne soient pas teints ; s'ils sont prêts, envoyez-les aussi par Marie Petipas ******.

Notre archevêque est bien tolérant. Je trouve , moi, que bien des gens ont la bourse et la santé  assez fortes pour faire maigre le vendredi et qu'il aurait dû, au moins, engager ces personnes-là à ne pas user de la permission utile aux malheureux. On ne nous donne à nous le samedi que comme les autres années jusqu'à la purification.

Tu m'as promis des détails sur le beau dîner de Victorine et j'y compte, ainsi que sur la santé d'André. C'est bien gentil à Lucie de jouer déjà des petits morceaux. Jenny joue-t-elle aussi ?

J'ai remarqué avec quelle légèreté le correcteur de ta lettre avait rectifié les fautes, c'est comme un souffleur de théâtre qui parlerait plus haut que l'acteur.

Je termine cette lettre par mes voeux pour que la nouvelle année commence mieux pour vous que celle-ci n'a fini et surtout pour que nous vous voyons le plus souvent possible. Nous n'écrirons plus cette année ni à Victorine, ni à Ernest. Je te charge de bien les embrasser pour nous tous et de leur communique ce qui peut les intéresser dans cette lettre. Celle d'Ernest m'a fait bien plaisir.

Adieu ma bonne Amélie, mille baisers pour Alphonse et pour le petit homme de lettres Firmin *******, pour tes frères, soeurs, neveux et nièces.

Toute à toi

                                                                                         V L

 

Nous avons reçu une lettre de part de la mort de Mme Prosper Levasseur, avez-vous eu des détails ? Point de nouvelles de Joigny. Souvenir de moi aux Landry à l'occasion du jour de l'an, et à l'oncle Levert. Ci-joint un petit mot pour faire parvenir bientôt à Ernest. Si tu ne crois pas le voir bientôt, envoie le lui dans une enveloppe, par la poste, à son étude. Jenny Bissan se marie à un monsieur fort riche, ses parents sont ruinés, elle donnait des leçons de piano, à Paris, et a fait la conquête d'une dame qui l'a fait épouser à son fils qui a 20 mille francs de rentes ; c'est la cousine de Mme Devaux.

 

 

nota : lettre de 6 pages sur papier à en-tête gravé aux initiales V L. La 6ème page sert d'enveloppe à l'adresse de  :

                               Madame Jacquillat

                               boulevard Beaumarchais, 18             PARIS

 

* 2 lignes ajoutées par Firmin Jacquillat.

 

** Petite cousine de Victoire Landry (branche POMMERY), Constance Moreau de Champlieux (1797-1868) fut nourrice de Mademoiselle, fille de la duchesse de Berry. Elle épousa en 1816 Charles de La Barre Duparc, conseiller référendaire à la Cour des Comptes ; deux enfants : Charles (1817-1885), inspecteur général des Ponts et Chaussées et Edouard (1819-1893), officier et écrivain militaire.

 

*** décédée le 14 septembre 1853.

 

**** Naillly.

 

***** DICTIONNAIRE LAROUSSE : Faire une brioche : Loc. fam. - Commettre une faute une bévue, une maladresse quelconque. Tout musicien de l'Opéra qui manquait aux règles de l'harmonie était jadis tenu, paraît-il, de payer une amende dont le produit servait à acheter une énorme brioche qu'on mangeait en commun ; d'où le sens dérivé de brioche. "Si cette dame est avec vous, j'ai fait des brioches à ce que je vois." (Balzac)

 

****** Marie Carlier, épouse de Jean Petipas, est une des 2 filles de Joseph Carlier et de Béatrice Pauline Hahn, cousine germaine de Victoire Landry, leurs deux mères, Julie (1763-1837, ép. Désiré Hahn) et Victorine Cécile (1771-1843, ép. Gratien Théodore Tarbé) Michel-Oppenheimber étant soeurs.

 

******* il s'agit du premier enfant d'Alphonse et Amélie Jacquillat, Firmin (Alfred, Victor), né le 10 décembre 1851 et mort le 25 août 1854.

 

 

 

1 8 5 5

 

 

C’est l’année de la naissance de Firmin. Il est né à Paris, 18 boulevard Beaumarchais, mais sera baptisé à Tonnerre

 

n°12

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Tonnerre ou Paris)

juillet ou août 1855

 

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nous recevoir tous, et nous aussi d'être chez elle. Mais j'aurais dû commencer, ma chère Amélie, par te parler de la bonne journée passée à Tonnerre, de ton bon accueil, de ton superbe dîner, de la beauté et de la sagesse de Firmin pendant le baptême et le dîner, de le bonne amitié de l'oncle et de la bonne tante et même de l'amabilité de mon voisin de droite de table ; puis du pauvre borgne qui n'était pas si gai que quand il y voit plus clair. Enfin de la gaîté du parrain * et de l'air doux et modeste de son beau-frère et enfin du bon appétit de Jules Landry. Tout cela nous a laissé de bons souvenirs et nous te remercions mille fois de nous les avoir procurés. Ce qui m'a plu le plus est ta fraîcheur et ta bonne santé.

Nous avons passé une bonne journée avec les Alph. Landry **, mais je n'ai plus le tems de t'en parler. Il faut que je porte vite ma lettre à Augustine, je n'ai plus que le tems de vous embrasser tous trois de tout coeur

 

                                                                                         V. Landry

 

Ernest ira voir

 

 

* Jules Jacquillat, frère d’Alphonse.

 

** Alphonse Landry (1824-1892), neveu de Jean-François et Victoire Landry, épousa, le 23 juillet 1856, Aglaé Pomeney.

 

                                                                       

 

1 8 5 6

 

 

Alphonse Jacquillat est nommé chef de gare à Tonnerre.

 

Le 26 mars, mariage de Caroline Landry avec Félix Maupaté (1826-1904), inspecteur des ports à Meaux.

 

Le 11 décembre 1856, naissance d’Amélie Alphonsine Marie Jacquillat à Tonnerre.

 

 

n° 13

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat  (Tonnerre ?)

7 juin 1856

                                                                              Sens, le 7 juin 1856

 

Ma chère Amélie

 

Tu es si bonne pour nous que je crains que cette lettre te contrarie en t'apprenant que notre voyage chez toi est remis indéfiniment ; mon mari qui ne m'avait jamais dit positivement oui, m'a dit, il y a deux jours, qu'il ne pouvait s'absenter maintenant, qu'il avait à faire à Sens et ne pouvait le quitter. Je lui ai dit : il faut donc que j'aille seule voir mes enfants - fais ce que tu voudras, m'a-t-il dit. Mais j'ai vu que cela le contrarierait car il serait bien seul sans moi, Ernest étant occupé tout le jour et sortant presque tous les soirs aussitôt son dîner. Mon mari pense qu'il sera plus libre à la fin du mois. J'espère alors vous aller voir à ce moment, mais ne nous attendez nullement, ne faites pas de projets pour nous. Si vous pouvez nous recevoir, nous irons, quand nous pourrons, en vous prévenant quelque tems d'avance pour que vous puissiez vous disposer et obtenir aussi le moyen de nous faire voyager à bon marché. Merci toujours beaucoup de vos instances ; le lit que tu nous offres et que je connais sera très bon pour nous et nous nous y trouverons très bien. Peut-être l'oncle et la tante seront-ils de retour, mais je t'assure (entre nous) que je ne tiens plus à rien, qu'à mes enfants, et quant à mon mari, il prétend qu'il ne tient plus à faire sa partie les soirs ; il en a perdu l'habitude, ne jouant plus que le lundi et quelquefois les jeudis chez Mr Adrien où il n'y a que 6 ou 8 personnes. Je suis sûre, moi, qu'il s'amusera bien avec Alphonse au piquet ou à l'écarté.

Je te plains d'avoir aussi souvent des migraines. Marie me demandait, l'autre jour, pourquoi tu n'envisagerais pas de faire usage du paulonia (je crois) ; comme je ne connais pas cela, tu devrais demander avant à ton médecin si cela peut être nuisible à ta grossesse. Marie dit que tu lui a parlé que tu as trouvé cela trop cher, elle dit que le paquet ou fiole, je ne sais, coûte 4 ou 5 frs, mais que l'on n'en use que pour 25 ctmes pour chasser une migraine et qu'elle est sûre que tu donnerais bien 25 ctmes de bon coeur pour en chasser une.

J'ai fait part de ta grossesse aux parents et amis qui s'intéressent à toi et chacun t'en félicite ; on a plaint généralement Bibi d'avoir eu sa bouteille cassée *, mais il n'est pas le 1er auquel cela arrive et il faut espérer qu'il ne s'en sentira plus bientôt. Caroline m'a écrit  l'avoir trouvé très pâle, cela vient sans doute de ce qu'il a poussé 2 dents pendant son sevrage. Tu devrais le promener ou le faire promener un peu loin, qu'il respire le grand air, cela le distrairait et le fortifierait. Tu m'en donneras des nouvelles et des tiennes bientôt. Caroline m'a écrit les beaux cadeaux qu'il a reçus, il est bien l'enfant gâté ! Je regrette bien pour toi et pour lui ta bonne Joséphine ; tant mieux que tu l'aies vitement remplacée, mais il ne m'étonne pas que tu trouves de la différence.. Ma bonne, qui n'est pas expansive, quand je lui ai appris cette nouvelle, m'a dit que ça lui ferait bien de la peine quand tu viendrais à Sens de ne plus avoir ta bonne, pour l'aider, a-t-elle ajouté, car elle lui faisait presque tout son ouvrage, m'a-t-elle dit.

Nos inondations sont finies, la 2ème a été de 80 centimètres moins grande que la première. Et vos pauvres jardins montrent-ils leurs fruits de nouveau ? J'ai reçu une lettre de Jenny à laquelle j'avais écrit, son quartier n'a nullement souffert, mais certains quartiers de la ville, toutes les plaines des environs et les villages sont inondés. Les pays que connaît Félicie ont bien souffert, Gien entr'autres, puis à Jargeau beaucoup de maisons ont croulé dont celle de Mr Poignas, beau-frère de Félicie. Fay-aux-Loges a été épargné. Mme Fraboulet n'a eu d'eau, à Blois, que dans sa buanderie, mais des quartiers ont bien souffert. Eugènie Bazin a été obligée de se sauver de chez elle chez des amis et tout le rez-de-chaussée de chez elle a été rempli d'eau jusqu'au plafond, presque tout son mobilier a été mouillé, lits, matelas, etc. Les Dechampgobert qui étaient partis pour aller à Tours sont revenus de Paris, ayant appris là qu'on ne donnait plus de billets pour Tours, le chemin étant rompu. Ils ont renoncé à leur voyage à Bordeaux. St Ange viendra, s'il veut, chercher son fils pour le conduire à Arcachon **.

Tu me diras comment va Mme Héloïse et si elle a trouvé Firmin plus ou moins gros ou avancé que sa fille. Delphine m'a dit hier seulement que Caroline Guichard lui avait dit, il y a 8 jours, que tu pouvais compter sur sa soie. J'ai été plusieurs fois chez Delphine sans la trouver, elle sort beaucoup. Quant à Caroline Guichard, je ne la rencontre presque jamais, elle ne vient à Sens que chez Delphine et repart tout-de-suite. Delphine lui dira de tâcher qu'on envoie cette soie à Sens, ou qu'on la fasse porter chez Jules Mauguin à ton adresse.

Ernest n'a pas entendu parler des 50 frs de ton beau-frère, il ne sait pas qui doit les lui remettre, mais les recevra avec plaisir pour Jules Jacquillat. L'huile de café n'attend plus pour partir qu'une occasion, il y en a près de 3 bouteilles. Mr Payen va bien, il est à Paris en ce moment, il vient nous voir assez souvent et nous fait part de ses lettres des Riceys, comme nous aussi de celles que nous recevons de ce pays. Quant à Mr Cretté, nous le voyons bien moins. Le mariage de son fils, les couches de Delphine, le séjour de Mme Fraboulet ici l'ont occupé ; nous ne nous sommes pas promenés une seule fois ensemble.

J'ai reçu ce matin une lettre de Félicie, tout le monde va bien aux Riceys sauf les vignes et les arbres à fruit qui ont été, en partie, gelés. Tu ne sais pas qu'il y a plus d'un an que les parents du jeune Lallement, sur l'avis de son médecin et de son consentement à lui, ont fait dire à sa prétendue de ne plus compter du tout sur lui, parce qu'il ne se marierait pas de très longtems. La demoiselle y tenait beaucoup, ce qui tourmentait toujours Ernest Lallement, mais enfin après des prières de ses parents, elle s'est décidée à se marier à un autre. Toute la famille Lallement en a été ravie, pour le fils qui se préoccupait toujours de cette demoiselle et depuis cette idée fixe ôtée de son esprit, plutôt que son coeur, je crois, il a été de mieux en mieux. Il se remet et est charmant, maintenant, de ton, de manières, de principes pieux, etc Il a l'air cependant encore bien délicat.

J'ai écrit une grande lettre à Caroline, j'avais tant de réponses à faire à ses questions que j'ai omis de lui dire 5 nouvelles de Sens que tu lui transmettras à l'occasion. D'abord, la mort , à l'hospice (lit de vieillard) de la bonne mère Madeleine, amie d'Agathe ; elle a succombé aux suites d'une collique. Ensuite les grossesses, assez avancées, de Mme Pallot, de son 8ème dont 6 vivants, et de Mme Duchemin de son 5ème dont 3 garçons vivants. Puis le mariage de Melle [Tonfleux] avec Mr Dupêcher, maître maçon, et de la nièce de Melles Accault avec Mr Petit, professeur au Lycée, fort gentil garçon,  que Caroline connaît de vue pour l'avoir vu à l'église ; il ressemble un peu à Paul Gaultry.

Je n'ai nullement entendu parler du mariage d'Alph. Land. ; de quel pays est la demoiselle, est-ce de Dijon ? est-elle jeune ? est-elle bien ? nous n'en dirons rien avant qu'on nous l'ait appris.

C'est étonnant que Caroline engraisse tant, est-ce qu'elle serait enceinte ? le crois-tu ? en lui écrivant hier, je lui ai envoyé les 4 premières pages de la lettre de Victorine parlant d'Augustine Baumes ***, la suite pesait trop. Je te l'envoie, comme elle te fera passer le commencement, tu lui renverras ensuite la fin On me renverra les 2 morceaux ensuite. Mr Levert qui était placé dans le choeur à cette cérémonie a parfaitement entendu le discours du curé et m'en a rendu compte. Il n'avait pas, lui, aperçu Victorine le saluant.

Adieu, ma bonne Amélie, soigne toi bien et écris nous bientôt pour me consoler de ne pas pouvoir aller te voir maintenant. Je vous embrasse tous trois de tout coeur, ta dévouée mère

                                                                                                                                                                                                                                       V. Landry

 

 

* “ avoir eu sa bouteille cassée... ” : expression populaire signifiant “ être sevré ”.

 

** Marie Eugénie (Suzanne) de Champgobert (1823-1896), fille de Leclerc de Champgobert (de St-Florentin), contrôleur général des Contributions Directes à Troyes, maire de Nailly, mort en 1863, et de Rose Eugénie dite Rosine Guerapain, épousa en 1843 Antoine Dominique Charles Bazin (1818-1871), chef de gare à Paris. Saint-Ange Leclerc de Champgobert était son frère.

 

*** Augustine BOUQUET BAUMES, née en 1827. Cousine issue de germaine d’Amélie (branche TARBE DE VAUXCLAIRS), elle est entrée dans les ordres (Soeur Ste Marguerite, hospitalière à l’Hôtel-Dieu de Paris) ; décédée en 1858.

Sur son père, Antoine Bouquet-Baumes (1786-1871), préfet du Lot-et-Garonne, puis député de Tonnerre, puis conseiller d’Etat, voici la notice de la Biographie-Statistique de MM. les membres de la Chambre des Députés de la Législature de juillet 1842 à juillet 1846, rédigée sur des documents authentiques par deux hommes de lettres :

 

“ M. BAUMES, conseiller en service extraordinaire au conseil d’Etat, ancien préfet, officier de la Légion d’Honneur, est âgé de 60 ans.

Elu en 1837, par le concours d’honorables légitimistes de Tonnerre, il est venu siéger à la Chambre au milieu des conservateurs auxquels il a toujours été fidèle.

Il a fait de nombreux rapports de lois d’intérêt local.

C’est un petit homme fort tranquille, fort calme, marchant et parlant les yeux baissés. Il a l’air d’aller à la sacristie chercher les burettes. Il est plus doux que son nom ; et c’est une bizarrerie du destin qui l’a fait, malgré son nom, malgré sa nature, député de Tonnerre.

Un nommé M. Palotte a l’indignité de s’établir son compétiteur. C’est faire la guerre aux saints. Mais ce M. Palotte ne lui a pris, en 1842, que 85 suffrages sur 245 ; et nous espérons bien que M. Baumes sera réélu jusqu’à ce qu’il se retire à la Trappe. ”

 

 

 

1857

 

 

n° 14

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Montigny-le-Roi)

14 juillet 1857

 

                                                                              Sens , 14 juillet 1857

 

Ma bonne Amélie

 

Il n'y a donc ni plumes, ni encre, ni crayon, ni papier, à Montigny, car depuis que tu es passée, nous n'avons pas eu de tes nouvelles. Nous eussions été bien aises cependant de savoir si la campagne avait fait du bien à Alphonse, si Firmin avait percé ses dernières dents, s'il parlait, et si toi et Marie vous continuiez à jouir de votre brillante santé. Enfin écris nous donc un mot pour nous dire où vous en êtes. Tu es sans doute dans tes provisions de beurre, confitures, etc, mais quelques mots seulement sur vous.

Mon mari a vu dimanche Mr Vignon qui lui a dit avoir voyagé avec Alphonse allant à Auxerre et ayant l'air de se bien porter ; nous avons su par là qu'il avait d'abord regagné Bercy, mais nous ne savons depuis combien de tems et pour jusques à quand vous allez rester, vous, absents de Bercy.

Nous espérons toujours sur votre visite en passant. Caroline m'a écrit il y a 8 ou 10 jours ne pas t'avoir encore vue ; elle le désirait bien cependant. Il me tarde aussi, à moi, de savoir comment tu auras trouvé sa petite * ; son corps prenait de la force la dernière fois que je l'ai vue, mais sa figure et ses bras étaient toujours très minces, elle était pourtant très vive et avancée pour l'intelligence. Tu me diras, si tu y est allée ou si tu y vas, comment tu la trouves.

J'avais envoyé, il y a très longtems à Caroline un paquet pour te le remettre, ce sont les chemises que tu m'as dit être pressées, puis un compte dedans. J'ai encore ici toutes les blouses qui ont été en lessive et qui attendent tes ordres, plus de la liqueur de fleurs d'oranger que j'ai faite pour toi, si tu la veux, mais au moins dis le moi. Je la garderai ici pour toi, bien entendu, ou pour mon compte si tu n'en a pas besoin ; il y en a 4 demi-bouteilles.

As-tu pris note aussi pour la bougie et en aurons-nous ? Si tu en envoies à Caroline, de Bercy, et que tu puisses y joindre la mienne tu la lui enverras de Bercy, gratis, je crois, par des bateaux, et elle me la renverra ici, aussi de même.

Maintenant que nos affaires sont traitées, parlons de la grande nouvelle que je suis chargée de t'annoncer et à ton mari, de la part de Mr Levert, c'est le mariage de son fils qu'il m'a annoncé dimanche. Il épouse la fille du président du tribunal de commerce de Valenciennes, le père a été dans les affaires et est retiré du commerce, il a sa femme et une 2ème fille. Melle Elise Cannone a 20 ans 1/2 et est blonde, ceci est positif, mais Mr Levert me dit : c'est Alphonse qui l'a choisie, donc elle lui plaît. Voilà son portrait : ni belle, ni laide, ni petite, ni riche, ni pauvre - cela peut dire bien des choses. Il n'y aura pas de noce. On se mariera à la fin du mois, à minuit suivant l'usage du pays, puis le lendemain départ pour Bruxelles, au commencement d'août, ils assisteront aux courses de chevaux, puis ensuite iront à Paris et Alphonse viendra à Sens me présenter sa femme. Mr Levert doit être bien content et Alphonse aussi, puisqu'il a trouvé ce qu'il désire. J'ai su par quelqu'un de Valenciennes que la jeune personne est charmante et riche.

Caroline Deschamps va bien ainsi que son enfant. On fera le baptême du petit Emile au 15 août. Mr Longuet et Mme [Maudesixte] le tiendront sur les fonts baptismaux et tous leurs parents doivent y assister. Le baptême du petit Ray a eu lieu aux Riceys. Eugène et Mme Assollant en étaient les héros, il y avait ** tous les Rattier. 24 personnes à table et danse le soir. Mr Payen est parti, il y a 2 jours, pour aller voir sa fille Augustine. Mme Boyer est encore enceinte (de 6 mois), elle en est désolée, elle ne nourrira pas ; elle est fatiguée. As-tu su la mort d'un frère de Mr Boyer, militaire distingué, tué en Afrique à 39 ans. Charles Bazin est envoyé à Orléans, il a moins de besogne qu'à Tours, ce qui le fatiguait ; sa femme accouchera en octobre. Le fils de Mr Perrin qui était juge à Bar-sur-Seine, est nommé juge à Sens, en remplacement de Mr Lassier ; il va habiter la maison Vignau. Mme Pille cherche un logement, à son grand regret.

Ton mari espère-t-il pouvoir être utile à Antoine Ballard [cousin Paquignon] et à Frédéric Mire, frère d'Elisabeth, qui est malade aux ateliers et voudrait, je crois, être conducteur. Un mot, s'il se peut, de réponse.

Adieu, je n'ai plus que le tems de t'embrasser, toi et tes enfants, et Alphonse quand tu le verras. Compliments à tes parents de Montigny

 

                                                                                         V. Landry

 

Je n'ai encore eu qu'une fois des nouvelles de Victorine, mais Marie Petipas a écrit qu'on allait bien. André a été un peu malade.

 

 

* le premier enfant de Caroline Maupaté, Amélie, née le 1er février 1857, mourra le 19 janvier 1860.

 

** Marie Stanislas Rattier (1793-1871), chef de bureau à la Préfecture de Paris, puis à la préf. de Troyes, épousa Manette Assollant (1806-1881).

 

 

n° 15

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Montigny-le-Roy)

4 août 1857

 

                                                                              Sens, ce 4 août 1857

 

Ma chère Amélie

 

Ta dernière lettre m'est arrivée jeudi dernier au moment où nous partions avec les St Hardouin, Gaultry, Guyot *, à pieds pour Nailly ** pour y voir Vauxclairs qui a assisté à la noce d'Alphonse Levert et qui nous a fait dire d'aller chercher des nouvelles. J'ai donc lu ta lettre en route et étais décidée, si tu arrivais ce jour, à ne pas aller jusque-là. J'ai été contente de tout ce que tu me disais, de ta bonne santé d'abord et de celle de ton mari et de tes enfans. J'espère bien que Firmin va se remettre et rattraper les autres enfans. J'ai été fort contente aussi de savoir par toi la petite fille de Caroline bien venante. Je l'ai vue si longtems frêle et maigre et pâle que j'ai encore peine à la croire si bien. Quant à Caroline, il me tarde de te voir aussi pour que tu me parles d'elle ; il serait bien fâcheux qu'elle fut obligée de sevrer. Nous causerons de tout cela puisque tu vas venir bientôt.

Nous n'avons pas entendu parler de toi par les Durlat, ni d'Alphonse par les gens de Sens qui ont été à la fête d'Auxerre, Alex. Cretté, Mmes Pran, Mmes Pille, Lapérouse, etc.

Ta 1ère lettre s'est croisée avec la mienne, aussi m'y avais tu répondu à moitié. Il est fâcheux que tu aies attendu ton paquet si longtems ; encore ai-je ici des blouses à toi, mais aussi je croyais te voir bien plus tôt et ne te les ai pas envoyées. J'ai aussi à t'envoyer un petit sac de bonbons de la part de Félicie ou d'Eugène, du baptême du petit Georges Ray ; il t'attend patiemment et Alphonse ne sera pas fâché de les goûter. Elles sont bien bonnes ; il en a un pour nous semblable et un pour Caroline.

Mon mari a été hier à la gare voir passer ta belle-soeur et son père. Il avait, de la part de Jules Jacquillat de l'argent à lui remettre et a parfaitement vu tous deux ; c'est Ernest qui devait faire cette commission, mais, à midi, il n'a pu quitter son cabinet et ton père qui, du reste, connaissait Mme Héloïse et son père, s'est chargé de ce soin. Sans la grande chaleur, peut-être aurais-je fait ce trajet pour connaître cette jeune dame que mon mari trouve charmante, mais j'étais, avec cela, dans mes cornichons. Puis aussi j'ai Alfred Campmas à la maison ; il est arrivé vendredi soir et va rester quelques jours ici, aussi il espère bien t'y voir.

Tâches donc d'arriver bientôt, nous aurons bien des choses à te conter. D'abord une lettre de 8 pages, très drôle, de Mr Levert, sur la noce qui nous annonce la prochaine visite de lui et ses enfans ; les détails donnés par Vauxclairs, puis la nomination de préfet de l'Ardèche, Privas, d'Alphonse, sa venue très prompte ici, puis aussi une lettre d'Alphonse m'annonçant aussi cette nouvelle et sa visite en passant, de 3 heures seulement, mais nous ne savons quand . J'espère toujours qu'il ne quittera pas Valenciennes sans avoir présidé ainsi qu'il devait le faire les courses de chevaux de cette ville, dont il était président et qui auront lieu le 9 août. On m'écrira une lettre avant, j'espère bien, pour me prévenir de son passage. Vauxclairs a trouvé sa jeune femme charmante.

Adieu, je ne t'en dis pas plus long dans l'espoir de te voir bientôt et je vous embrasse tous de tout coeur.

Toute à toi                                                                        

 

                                                                                         V. Landry

 

Mille compliments à te famille de Montigny. J'espère bien que ton mari viendra te voir ici pour que nous jugions de sa bonne mine.

 

adresse sur la 4e page :    Madame Alphonse Jacquillat

                               chez Mr Jacquillat, propriétaire

                                               à Montigny-le-Roy

                                               près et par Ligny-le-Châtel                Yonne

 

annotation au crayon par F. J. : échos de la noce d'A. Levert.

 

* Charles Hardouin de Saint-Hardouin (1769-1821), oncle de Victoire Landry, a eu 3 enfants : Adélaïde Colombe Hadwina (1811) qui épousa Antoine Gaultry, conservateur des Hypothèques à Valognes, puis à Sens - François Pierre Hardouin (1813), ingénieur général des Ponts et Chaussées, puis directeur de l’Ecole des P. et Ch. - Adèle enfin (1818) qui épousa Jules Guyot, notaire à Troyes.

 

** Le château de Bois-le-Roi à Nailly, situé à quelques kilomètres de Sens, avait été acquis en 1792 par Louis Hardouin Tarbé qui fut Ministre des Contributions Publiques de Louis XVI du 24 mai 1791 au 25 mars 1792. C’est en 1821 qu’il devînt la propriété de Jean Bernard Tarbé de Vauxclairs, son frère (voir LES TARBE, généalogie-biographie par ERNEST LANDRY - Sens, Imprimerie Miriam, 1902).

 

 

n° 16

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Montigny-le-Roi)

6 août 1857

puis Amélie Jacquillat (Montigny)

à Alphonse Jacquillat (Bercy)

sans doute le lendemain

                  

                                                                              Sens, ce 6 août 1857 *

 

Ma bonne Amélie

Encore deux lettres qui se sont croisées, et encore un retard de toi pour venir nous voir ; cependant je te récris bien vite ce matin pour te dire que je viens de recevoir ce matin une lettre de Mr Levert qui m'annonce l'arrivée des époux Levert et de lui pour mercredi dîner ; ils coucheront et s'en iront jeudi : Mr Levert veut que j'aie la famille à dîner, Carlier, Foussé, Petipas **, tante St Hardouin (c'est lui qui régale). Il me serait bien cruel de ne te voir que jeudi ; et comme on ne pourrait s'occuper de te faire ta chambre que le jeudi, je crois que tu ferais mieux de n'arriver que le vendredi : cependant nous serons bien heureux de te posséder mardi, afin que tu sois installée dans ta chambre, au-dessus de la cuisine, avant leur arrivée. Alphonse couchera sur la rue, Mr Levert à côté, Ernest ensuite et Alfred sur un lit de sangle dans la chambre des lingères, ta bonne, je ne sais pas encore où, mais le cabinet de mon mari reste. Tu vois que tout cela est bien facile à loger. Seulement veux-tu bien te charger, sans faute, d'écrire à Alphonse, ton mari, pour l'inviter à venir dîner avec nous et toi mercredi prochain, ici, le 12 ; il nous fera grand plaisir à tous. Mr Levert père me dit avoir été voir à Bercy Alphonse ces jours-ci.

Je désire bien que tout s'arrange pour le mieux et que vous veniez tous. D'abord ,outre le plaisir de vous voir, j'aurais en toi une bonne aide pour recevoir le monde, faire les honneurs à cette jeune femme, etc, etc.

Nous aurons du lait de chèvre pour Firmin. Toutes les cousines ont bien envie de te revoir : il y aura ici réunion générale des St Hardouin, congé des vacances au Lycée.

Nous avons écrit aux Maupâté de venir , mais je doute qu'ils puissent accepter.

Réponse pour toi et prie ton mari de nous répondre sans faute pour mettre le couvert.

Alfred a attendu ou, du moins, espéré recevoir de ton Alphonse, un permis ou du moins moitié pour aller jusqu'à St-Etienne, il m'a dit que Jenny lui a demandé : comme il n'avait rien reçu à Paris ; il craint que cela soit arrivé après son départ à sa pension ou qu'on l'ait renvoyé à sa mère. Si Alphonse a quelque chose à dire à ce sujet, il me l'écrira, je ne dis pas à Alfred que je t'en parle. Alfred a l'intention de s'arrêter en s'en allant à St-Florentin, il voyage en 3e.

Adieu, ma bonne Amélie, je t'embrasse de tout coeur, toi et tes enfans

                                                                                                    

                                                                                         V. Landry

 

Il est parti ce matin un panier de fruits pour toi avec une lettre dedans et je pensais ne plus t'écrire de si tôt, mais voici une lettre qui m'embarrasse ***. Je rendrais maman et mon oncle si contents en allant à cette réunion que j'ai envie de partir mardi, rien du reste ne me retenant ici, mais je ne puis y assister sans un bout de toilette que je vais te demander. Cherche cela tout de suite et écris moi si tu l'as trouvé, tu l'adresserais chez maman pour mardi sans faute. J'attendrai ta lettre dimanche matin, si tu juges que je ne dois pas partir ou si, avec Célinie, vous n'avez pu me trouver ce que je demande, je ne partirai que vendredi. Je trouve très jolie cette idée de mon oncle de faire faire la noce de son fils par la soeur de sa mère. ****

Il me faudrait, c'est indispensable, une coiffure bonnet qui a des fleurs et rubans roses, elle est dans une boîte dans le cabinet de la commode ; pour l'emballer, on ôtera, avec beaucoup de précautions,  ces fleurs et ce ruban que je ferai remplacer par du deuil à Sens. Un joli col d'Angleterre neuf de cette forme ***** et des manches avec un gros bouillon de tulle, cela doit être dans un carton carré que je ne puis désigner d'ici (il doit être étiqueté). Je réfléchis que j'aime bien mieux faire chercher cela par une des demoiselles Soulages demain soir, elles ne refuseront pas de venir. On enverra cela dans un carton de ce cabinet que tu débarrasseras. Si tout ce que je demande, la fanchon bonnet, le col et les manches, trois choses ne sont sur la planche dans le cabinet de la commode, ce serait dans l'armoire à côté

.......................................................................................................................................................

 

 

* dans sa précipitation, Victoire avait écrit : juillet. C'est F. J. qui a rayé et écrit Août (qui est la date du cachet postal) Autre annotation de sa main au crayon : Les j. mariés Alph. Levert à Sens.

Papier à lettre de couleur crème, gravé seulement des initiales VL. 

 

** “ Le 31 mars 1858 mourait à Sens Pierre Charles Joseph CARLIER, ancien préfet de police à Paris, sous le Second Empire. Il était né à Champigny-sur-Yonne en 1794 et fut propriétaire du château de Thorigny-sur-Oreuse (Yonne). Conseiller d’Etat, inspecteur des administrations départementales, il devint membre du Conseil Général de l’Yonne, du canton de Villeneuve l’Archevêque, en 1848, en 1852 et 1855. Ses obsèques eurent lieu le 6 avril 1858 et une grande députation du Conseil d’Etat se rendit à Sens pour y assister. Un discours fut prononcé par Gustave Lapérouse, sous-préfet de Sens. Ses deux filles s’étaient alliées à M. PETIPAS, notaire et M. FOUSSE, tanneur à Sens. Pierre Carlier était le frère de l’abbé Carlier.” (AUG. HURE : Sens pendant et avant le Second Empire, Bulletin de la Sté des sciences historiques et naturelles de l’Yonne - 1932).

Pierre Joseph Carlier avait épousé en 1820 Bérénice Hahn, fille de Désiré Hahn et de Julie Michel-Oppenheimber (1763-1837), soeur de Cécile Victoire (1770-1843), femme de G. Th. Tarbé ; ses 2 filles, Marie (ép. Petipas) et Caroline (ép. Foussé) sont des cousines issues de germaines d’Amélie ainsi que d’Alphonse Levert.

 

*** Amélie écrit sur la 3e et la 4e pages, en travers de l'adresse : A madame Alphonse Jacquillat - chez Mr Jacquillat à Montigny le Roi près et par Ligny-le-Châtel - Yonne.

 

**** Caroline Levert, la soeur de Victoire Landry, est morte en 1847.

 

***** suit un dessin de col.

 

 

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n° 17

Victoire Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

12 mars 1858

 

                                                                                         12 mars 1858

 

Je n'ai pas eu le tems de te répondre plus tôt, ma bonne Amélie, et te remercie bien de ta bonne lettre. Il me tarde bien de savoir ce que Caroline va dire de ma dernière lettre car je pensais lui écrire au sujet de ce que tu m'as appris sur elle lorsque elle me l'a appris elle-même. Je lui ai donné des consolations en lui disant qu'elle n'était pas la première à laquelle une 2ème grossesse arrivait aussi tôt et je lui ai cité moi, d'abord, puis Félicie, Victorine, Delphine Cretté, Célestine Pran, Mme Charles Gaultry, etc... Je l'ai engagée à reprendre sa gaîté et à en prendre son parti, mais aussi à se bien ménager et à ne pas prendre de fatigue. Surtout à ne pas se faire secouer en voiture et à ne pas venir à Sens sans l'avis et la permission du médecin ; j'en ai même parlé à son mari qui y fera bien attention. Caroline était désolée de ce que son mari n'avait pas voulu profiter de l'offre qu'on lui faisait de Clamecy. Il a agi comme Mr Baumes dans le tems qui trouvait toujours quelqu'un de plus digne que lui. Félix est trop bon.

J'ai été bien aise d'apprendre que Firmin a percé une grosse dent, est-ce la vingtième ? Quant à ta petite Marie, sa grosseur [         ] elle toujours ? dis-moi si cela est encore rouge et si elle en souffre toujours ? et à moi aussi dis-le.

J'ai eu l'occasion de voir Mme [Lacave] chez Marie et lui ai lu ce que tu dis de ses neveux, cela lui a fait grand plaisir. Elle se rappelle à ton bon souvenir et à celui de ton mari.

J'ai été 2 fois chez Lucienne * sans la rencontrer, je ferai ta commission par Mme Bonjour. Si tu n'as pas d'occasion pour les numéros de la Propagation de la Foi, fais-en un petit paquet que tu feras remettre chez Mr Carlier en mettant sur l'adresse : pour faire passer à Mme Trinquesse, à Sens.

C'est ma bonne qui m'a demandé à s'en aller chez elle, nous la gardions en la faisant aider, en l'aidant nous-mêmes, etc... C'est le 4 février qu'elle est partie et depuis ce tems nous avons une femme de ménage à 1 fr par jour, ce qui est bien cher. C'est une brave femme, elle s'occupe bien. J'ai eu 3 jours une petite bonne qui s'est donné une entorse le 3ème et a été obligée de se faire reconduire chez sa mère à Joigny, c'est un guignon. J'ai une bonne d'arrêtée qui doit entrer lundi. Je l'attends avec bien de l'impatience. Je ne regrette pas, je t'assure, malgré tout, Anastasie qui travaillait de moins en moins.

Nous avons vu Paul Gaultry **, à Sens, un jour ; il trouve l'appartement de Victorine charmant et surtout parfaitement meublé. Ce qu'il trouve, à son avis, magnifique, c'est que la pendule de Victorine est semblable à celle de Charles. Georges St Hardouin a passé une journée à Sens aussi pour voir Sidonie. Elle et son mari sont repartis mardi soir et jeudi on a eu de leurs nouvelles. Sidonie va très bien, elle a engraissé depuis son mariage de 17 livres, ainsi qu'a fait Caroline après son mariage. Jules Guyot va occuper une place ici, dans une assurance ; il est assez bien en ce moment, mais affreux physiquement. Il se loue beaucoup de vous et m'a dit avoir vu chez toi, outre les dames Soulages qu'il trouve très bien, un militaire, qui est-ce donc ?

Voilà un extrait de la généalogie ou plutôt 2 par lesquels tu verras que nous sommes doublement parents avec les Soulages. C'est vrai que mon père était le subrogé tuteur  de Mme Soulages, fille de Sébastien Epoigny, son cousin germain ***. J'ai toujours entendu parler d'une delle Richard, de Rouen, mais je ne l'ai pas connue. Mme Eugénie Richard, veuve Courtois, était mon amie, elle était la nièce de Melle Richard, elle n'a eu qu'un fils qu'elle a perdu jeune, à 25 ou 30 ans ; il tenait du père et n'était pas très bon sujet. Mr Gâteau n'a pas d'enfant  de son 2ème mariage.

Sais-tu que le fils Bonjour, de Thorigny, est mort à Paris. On a rapporté son corps à Thorigny. Caroline Deschamps m'a écrit que son père en est désolé ; c'était son filleul. Il est mort à 20 ans, comme Philippe. Mr Longuet l'aimait beaucoup. Sais-tu que Mr St Quentin, beau-frère de Mme Regnaud ¤ est nommé conservateur des hypothèques à Provins ; il a un fils et une fille qui est grande musicienne sur le piano ; elle est laide et a 29 ans . Menessier va un peu mieux. Les autres vont bien.

Adieu, je t'embrasse bien tendrement, toi, ton mari et tes enfants, toute à toi

 

                                                                                         V. Landry

¤ j'ai vu Mme Luce, sa petite est charmante, elles vont bien.

 

 

* Lucienne est la 2ème fille de Désiré Hahn ; elle a épousé Télémaque Trinquesse, négociant à Sens. Bérénice Carlier et Lucienne Trinquese sont des cousines germaines de Victoire Landry.

 

** Paul Gaultry (1835-1909), petit cousin de Victoire Landry (branche TARBE DE SAINT-HARDOUIN) ; Charles Gaultry est son demi-frère. Paul Gaultry est notaire à Fontainebleau ; Charles est également notaire.

 

*** Sébastien Epoigny, né en 1755 et mort en 1807 à Washington (USA), défenseur public à Port-au-Prince, était le fils de Claude Epoigny dit La Gruerie (1734-1780) et de Madeleine Tarbé (1733-1787). Celle-ci était la soeur du père de Gratien, Pierre Hardouin Tarbé. La 3ème fille de Sébastien Epoigny, Victorine dite Amanda, née en 1807, épousa en 1829 Camille Soulages, négociant en vins à Bercy : d’où les familles Degroux, Bedhet, Bouvery, Sepot, Petit.

 

 

n° 18

Ernest Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

6 mai 1858

                                                                              Sens, 6 mai 1858

 

Ma chère Amélie

 

Depuis quelques jours, Victorine te l'aura dit, Maman était fatiguée et enrhumée ; nous ne nous en préoccupions pas trop, parce que nous pensions qu'avec du repos, cela se passerait ; hier, après avoir pris une tasse de bouillon; elle s'est tout à coup trouvée mal ; nous avions attribué cela à de la faiblesse et à une difficulté de digestion, et le médecin nous ayant dit d'ailleurs que ce ne serait rien et n'ayant prescrit que du repos, nous n'étions pas encore trop tourmentés, mais voilà que cette nuit notre pauvre mère a été prise d'une douleur au côté et dans le dos qui l'oppresse et la fait souffrir horriblement. M. Moreau et M. Lambert, médecins, sont venus tous deux et ont été d'accord pour prescrire l'application de 12 sangsues ; une soeur de charité, demandée par nous, les a mises de suite. Les deux médecins sont revenus plusieurs fois dans la journée ; ils ont tantôt prescrit un vésicatoire ; mais cette maudite douleur ne diminue pas, non plus que la souffrance qui paraît atrocement vive. J'ai envoyé tantôt une dépêche télégraphique à Victorine. J'écris ce jour à toutes tes soeurs et à Jules. Au moment où je t'écris, 5 heures du soir, cela va moins bien que ce matin ; nous sommes bien inquiets; les deux médecins se trouveront ensemble ce soir à 8 heures auprès de la malade ; s'il est encore temps pour que la lettre parte, je te dirai le résultat de cette consultation.

Ne t'effraie pas trop de ma lettre, ma chère Amélie, peut-être nous exagérons-nous l'état de ma pauvre mère, je le voudrais, mais je la trouve bien malade. J'espère que Victorine ou toi viendra demain.

Adieu, je t'embrasse ainsi qu'Alphonse et tes enfans

                                                                                                                                                                                        Ernest Landry

 

Maman m'avait fait hier une note pour répondre à ta lettre, rien n'est pressé et je n'ai pas le temps en ce moment.

 

8 h. 1/2, Les médecins sortent ; ils sont effrayés du progrès qu'a fait la maladie; ta mère est en danger ; arrive si tu veux.

 

nota :papier à lettre de petit format avec en-tête gravé :

               étude de Me Ernest Landry

                                                               avoué-avocat

                                                                              A Sens (Yonne)

 

 

n° 19

Paul Gaultry (Paris)

à Amélie Jacquillat (Sens)

sans date (peu après le 7 mai 1858)

 

 

Ma bonne Amélie

 

Qui eut pensé quand je t'écrivais l'autre jour, que ma première lettre serait une lettre de condoléance ? Quelle affreuse nouvelle ! Pauvre cousine : quelle perte pour vous tous.

Oh ! je t'assure que je la ressens bien vivement comme toi. J'ai eu aussi une perte bien cruelle à déplorer il y a quelques années et je la pleure encore. Je peux donc bien comprendre toute l'étendue de la perte que tu as faite.

Je connaissais ta pauvre mère et la connaître c'était l'aimer, car elle avait toutes les qualités de l'esprit et du coeur. Et assurément  l'on peut dire que c'est par sa bonté qu'elle avait su se concilier le coeur de tout le monde.

Enfin ma bonne Amélie, une suprême et dernière consolation (si toutefois il peut en exister) c'est que ta pauvre mère, morte comme une sainte, ne laisse sur la terre que le souvenir de ses vertus et que de là-haut elle protégera et bénira encore  ses enfants.

Membre de la famille, élevé avec vous comme frère et vous aimant tous comme frères et soeurs, permets-moi en ce moment solennel de te donner la nouvelle assurance  de mon affection et de mon dévouement.

Adieu ma bonne Amélie en attendant ton retour à Paris où j'irai te voir, je t'embrasse de tout coeur ainsi que ton mari et tes frères et soeurs.

Ton cousin affectionné

 

                                                                                                      Paul Gaultry

 

nota : papier à en-tête (gravé) :     TH. FAISEAU DAVANNE

                                               notaire à Paris

                                               rue Vivienne 55

 

 

n° 20

Clémence Lehmann

à Amélie Jacquillat (Sens)

10 mai 1858

 

 

Ma chère Amélie, je prends une vive part à votre chagrin, je sais tout ce que vous perdez. Votre mère était l'âme et l'intelligence de la famille ; je crois comme vous que le ciel lui a fait une grâce, elle devait beaucoup souffrir de ce que ces dernières années lui avaient appris. Dites à Ernest que je crois le plus accablé de toutes manières puis qu'il perd dans sa mère un des meilleurs soutiens de son fardeau, dites lui bien toute ma sympathie ainsi qu'à tous les vôtres et croyez toujours à mes meilleurs sentiments

 

                                                                              Clémence Lehmann

 

Lundi 10 Mai 58                                                               

 

 

nota : petit feuillet bordé de noir.

 

Clémence Casadavant  (1815-1893), qui avait épousé Victor Michel  (1806-1850), agent de change à Paris, cousin germain de Victoire Landry, se remaria, après la mort de celui-ci , avec  Henri Lehmann  (1814-1882), peint re français, d’origine allemande, élève d’Ingres, membre de l’In stitut et professeur à l’Ecole des Beaux-Arts.

 

 

n° 21

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

4 octobre 1858

 

                                                                              Sens, le 4 8bre 1858

 

Ma chère Amélie

 

Nous avons reçu hier les deux portraits de ta bonne mère, en très bon état ; je t'assure qu'ils nous ont fait grand plaisir, ils sont très ressemblants et je ne me lasse pas d'admirer et de contempler les traits chéris de cette sainte femme que ton grand amour pour ton père et ta mère ont su nous conserver ; que de reconnaissance tes soeurs et tes frères te doivent pour cela.

Tu es grandement dans l'erreur, ma chère amie, de croire que tes enfans m'ont fatigué pendant le trop court séjour que tu as fait ici avec eux ; il n'en est rien, je les aime trop ces petits chéris, si doux, si tranquilles, pour être ennuyé de les voir autour de moi. Ce que je t'ai dit qu'une autre fois  il faudrait amener leur bonne, c'est parce que si elle avait été ici, elle se serait occupé d'eux et que j'aurais pu jouir plus tranquillement de ta présence et de ta société. Embrasse les tous deux pour moi et, je t'en prie, ne me parle plus de cela. Je conçois bien le bonheur de ton mari en vous revoyant par le chagrin que j'ai éprouvé de votre départ.

Je te dirai, ma chère Amélie, que tes meubles sont enfin prêts. J'ai été les voir hier, ils sont magnifiques, la tablette du secrétaire surtout est admirable ; plusieurs personnes qui les ont vus, Mr Marcotte entr'autres, ont été dans l'admiration. J'ai vu la glace, le Christ, tout cela est complètement terminé. Aujourd'hui le père Steger doit venir chercher les planches des anciennes caisses pour les remonter et les refaire à la mesure de la glace, etc, etc... Aussitôt que ces caisses seront faites, je te l'écrirai pour que tu viennes faire emballer tout cela devant toi et les emporter, tu peux compter sur mon zèle pour presser le père Steger, s'il ne vient pas aujourd'hui, je retournerai chez lui ce soir.

Il ne faut pas que tu comptes sur le séjour de Jenny à Sens ; depuis le 17 7bre que j'ai écrit à son fils que je l'attendais et que plus tôt elle viendrait, plus je serais content, je n'en ai pas entendu parler - je vais lui écrire au premier jour. J'ai bien reçu mes deux journaux ; je suis bien aise qu'ils aient fait plaisir à ton mari. J'avais reçu un billet de part de la mort de Mme Tochon * ; cette dame était seulement la cousine germaine de ta grand'mère et si elle n'avait pas fait de dispositions, c'est Mme Letellier, seule de ses cousines survivantes, qui aurait été son héritière à l'exclusion de tous les autres parents qui étaient plus éloignés. Mais Mme Tochon a fait un testament par lequel elle a institué Mme Delafoy, que Jenny a vu beaucoup à Rouen, sa légataire universelle ; du reste Mme Carlier m'a dit hier qu'elle laissait fort peu de choses. Mmes Carlier et Trinquesse ** auraient dû être sur le billet étant parentes au même degré que la plupart de ceux qui y figuraient.

J'ai reçu ce matin une lettre de Caroline qui va bien ainsi que tout son monde. Je me reproche de n'avoir pas encore répondu à Victorine ; Je pense que la lettre que j'ai écrite à Ernest ***, qui était bien un peu pour elle, aura fait prendre patience à ta soeur, mais je ne tarderai pas à lui écrire. Je me suis occupé avec Mr Payen du futur en question ; il a écrit, on lui a demandé des renseignements que je lui ai donnés et comme il doit aller à Paris du 20 au 30 de ce mois, il serait bien possible qu'il allât te présenter le monsieur dont il ne sait pas le nom ; tu peux compter que je ne perdrai pas cette affaire de vue.

Je crois bien qu'Ernest Mauguin doit avoir le coeur gros de quitter ses parents pour aller aussi loin. Je le trouve bien jeune pour aller dans un pays où il ne trouvera personne qui s'intéresse à lui ; c'est la volonté de son père, nous n'avons rien à y voir. J'ai remis ton petit mot et ton paquet à Mme Trinquesse, elle tâchera de te faire des brassières pour l'époque où tu viendras chercher tes meubles. Je ferai ta commission pour Mme Gaultry quand je la verrai. Antonnin va mieux, il est en pleine convalescence ; le petit Dechampgobert est plus souffrant, sa rougeolle est passée, mais il lui est revenu dans le dos une grosseur qui inquiète ses parents. Son père est retourné au séminaire de Bordeaux d'où il reviendra plus que prêtre , pour chanter sa première grande messe à St-Pierre. Je suis bien aise que les Longuet soient plus tranquilles sur la santé du petit Deschamps ; l'on dit qu'ils vont venir bientôt à Sens.

Pontallier est un sot d'avoir quitté la gare, car ton mari en étant content aurait pu améliorer sa position ; Ernest n'était pas content de lui. Petipas et sa femme ont  vu le portrait de ta mère, ils le trouvent très ressemblant et m'ont témoigné séparément le désir d'en avoir un exemplaire, s'il est encore tems, en payant bien entendu ; ils le voudraient en feuille, ils le feraient encadrer ici ; réponds-moi à ce sujet.

Adieu, ma chère fille, je vous embrasse tous quatre bien tendrement et Ernest se joint à moi pour vous dire bien des choses affectueuses.

Ton très affectionné père

                                                                                         Landry père

 

 

* Joseph François Tochon (1772-1820), né à Annecy, officier (démissionnaire en 1797), numismate, collectionneur, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avait été, en son temps, un des nombreux correspondants de Gratien Théodore Tarbé.

 

** Lucienne Hann (1821 –1874), cousine germaine de Victoire Landry, avait épousé  Télémaque Trinquesse, négociant à Sens ; elle était la sœur de madame Carlier.

 

*** Ernest, son petit-fils, a 14 ans.

      

 

1 8 5 9

 

 

Naissance d’Henri (François Delphin) Jacquillat  le 14 juin.

 

Mariage d’Ernest Landry et de Lucile Dalichamp le 27 juin.

 

 

n° 22

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat  (Bercy)

18 juillet 1859

 

                                                                              Sens, le 18 juillet 1859

 

Ma chère Amélie

 

Il est bien vrai que j'avais dit à Mauguin que je voulais t'écrire et depuis ç'a été la préoccupation de tous mes instants car il y a vraiment trop longtemps pour mon coeur que je ne me suis pas entretenu avec toi. Mais tu m'excuseras lorsque tu sauras combien j'ai été tourmenté et fatigué par les ouvriers qui n'ont pas encore quitté la maison ; par l'envoi des meubles de Mauguin qui étaient éparpillés dans les chambres et dans le grenier et qui sont enfin partis samedi, à ma grande satisfaction ; et surtout encore par une chaleur tropicale dont nous sommes accablés depuis 15 jours - nous avons constamment, et à l'ombre, 30, 32 et 35 degrés de chaleur, c'est épouvantable, c'est tuant. Tu es bien heureuse de n'en pas souffrir et ce point de ressemblance, au milieu de tant d'autres, avec ta bonne mère, me fait plaisir pour toi.

Je ne te parlerai pas de la noce dont ton mari a du te rendre un compte plus détaillé que moi  puisqu'il y est resté jusqu'au mercredi, tandis que moi j'ai quitté Troyes le mardi à 3 h. 25. Alphonse a dû te dire combien j'ai été heureux de me voir entouré de mes enfans, de mes filles qui ont été charmantes pour moi et pour tout le monde ; pourquoi a-t-il fallu qu'il manquât les Mauguin. Je ne peux pas encore comprendre cette abstention ; quant à toi, tu avais une excuse trop légitime, c'était une bonne excuse. Ton mari a été, comme à son ordinaire, un excellent bout-en-train, c'était un véritable écolier en vacances et j'ai été bien heureux de le voir ainsi ; c'est lui bien certainement qui égayait toute la bande et surtout Jenny dont je ne reconnaissais pas l'entrain - son fils est vraiment un garçon charmant.

Si tu avais vu notre tristesse à tous lorsque le dimanche matin Ernest a reçu une lettre de sa soeur qui lui disait qu'elle ne viendrait pas, tu aurais eu pitié de nous, surtout de Félicie qui n'avait pas vu Jenny depuis 7 ans et d'Augustine qui ne la connaissait pas, mais aussi , quand nous l'avons vue arriver avec ton mari, la joie était à son comble. Jenny a pu faire connaissance avec Augustine et, dès le lendemain, elles se tutoyaient comme deux bonnes soeurs qui ne se seraient jamais quittées.

Toutes mes filles avaient fait de très belles toilettes le matin et pour le dîner et je t'assure que, toutes, elles ont fait un très bon effet à cette noce qui nous comblait de joie ; cependant je n'ai pas cessé un instant de penser à celle qui aurait été si heureuse de l'établissement du dernier de ses enfants et que je cherchais en vain au milieu de cette auguste cérémonie.

Il était bien temps que je revienne à Sens, car le jeudi, quand les mariés et Mme Dalichamp sont arrivés à midi, leur chambre était à peine rangée ; ce jour même Mme Dalichamp et Lucile ont déballé et mis en place les effets qu'elles avaient apportés et le lendemain a encore été employé à déballer un trousseau magnifique que le messager de Troyes à Sens avait apporté. Le samedi, j'ai mené Ernest et sa femme  et Mme Dalichamp dans la famille où les dames ont été bien accueillies. Mme Dalichamp est restée huit jours ici, elle était bien triste en quittant sa fille, mais en même temps bien heureuse de la laisser entre les mains d'un bon mari, qu'elle savait déjà apprécier. Lucile a très bien supporté cette séparation et paraît se plaire dans son nouvel état, elle aime bien son mari et ton frère paraît heureux et content, il est aux petits soins et rempli d'égards pour sa femme. Pour moi, ma chère amie, je suis on ne peut plus content ; ma bru est pleine d'égards, de soins et d'attentions pour moi ; je retrouve en elle une 6ème fille et l'aime de tout mon coeur.

Mme Dalichamp et Lucile ont trouvé l'appartement d'Ernest très commode et la maison superbe ; et en effet ç'a été bien arrangé. Ils sont magnifiquement meublés. Mme Dalichamp est une excellente femme, généreuse et remplie de bienveillance pour le jeune ménage. Je vais avoir aussi sur la rue un petit appartement fort commode. Maintenant il faut que tu vienne voir comment nous sommes casés. J'ai cru voir, dans une lettre de Caroline que tu avais l'intention d'aller à Montigny ; j'espère bien que tu ne passeras pas sans t'arrêter quelques jours ici. Si en attendant tu pouvais m'envoyer un laissez-passer, je serais bien heureux d'aller passer un jour avec toi pour causer un peu de tant de choses qu'on ne peut pas écrire ; est-ce que le parrain d'Henry que je voudrais bien voir (Henry) ne pourrait pas te faire cette gentillesse ? Ce serait sans préjudice des offres de Mr Mitchel.

Ernest et sa femme ont fait samedi leurs visites générales, avec Chapotelle bien entendu, 119 visites  dans lesquelles ils ont été reçus seulement 22 fois, ils sont bien contents d'être débarrassés de cette corvée. Certainement c'est Marie Petipas que Mme Ernest verra le plus souvent ; malheureusement elle vient de partir 10 ou 12 jours à Thorigny, ce qui a retardé la connaissance. Marie a fait à ta belle-soeur l'accueil le plus charmant, aussi Lucile l'aime déjà beaucoup et se liera bien certainement avec elle ; hier, après les Vêpres, elle a été passer un instant chez elle. Mme [Felz] sera aussi une bonne connaissance pour mme Ernest ; tout cela viendra avec le tems.

Mes enfans vont aussi voir tante St Hardouin, mais je ne crois pas que le genre de ces dames conviendra beaucoup à Lucile ; mme Roze mère qui est ici et mme Dechampgobert ont été très bien pour elle. Enfin voilà le bonheur de ton frère assuré et aussi son avenir, je l'espère ; sa position au Palais grandit tous les jours.

Ce que tu me dis de ta santé et de tes enfans m'a fait grand plaisir, je voudrais bien revoir mon bon Firmin. Mme Foussé est absente, quand elle sera de retour, Lucile lui portera de ton gâteau ; mais, pour elle, elle prétend qu'elle n'aura pas besoin d'en manger pour produire l'effet que tu souhaites à Caroline Foussé. Je ne sais pas si tu sais que Sidonie [Mèdec] est ici, elle a un enfant superbe, mais je vois peu ces dames à cause de la chaleur qui m’empêche de sortir. Nous ne sortons guère que vers neuf heures ; les Ernest vont se promener et moi je vais m'asseoir sur l'Esplanade où ils viennent me retrouver.

J'ai reçu une lettre de Félicie et aussi de Jenny. Je n'ai pas encore pu leur répondre. Je te renvoie la traite de Grimoux qui est payable à Joigny où je ne pourrais pas la faire recevoir ; pour Grimoux, il est insolvable et ne pourrait pas la payer, du moins je le crois.

Voilà une bien longue lettre ou plutôt un grand griffonnage, mais je suis accablé par la chaleur et ne sais plus ce que je te dis ; si tu m'envoies mon laissez-passer, j'irai te dire le reste, tu me feras des questions auxquelles je pourrai répondre. En attendant que je puisse m'installer dans mon petit appartement, c'est la femme d'Ernest qui tient le ménage, elle fera [t ]très bien et avec économie.

Je ne peux pas te quitter sans te dire, mais bien confidentiellement, que je crains que Victorine ne soit fâchée contre moi, ce qui me ferait un profond chagrin ; ce n'est plus elle qui m'écrit, c'est toujours son mari. Cependant je ne sais pas quels torts elle aurait à me reprocher. Adieu ma chère Amélie. Je vous embrasse tous cinq bien tendrement pour moi et pour les Ernest.

Ton très affectionné

 

                                                                                         Landry père 

 

 

n° 23

Jean-François Landry (Sens)

à Amélie Jacquillat (Bercy)

8 août 1859

                                                                              Sens, le 8 août 1859

 

Ma chère Amélie

 

Il est près de 3 heures, je veux commencer cette lettre pour te rendre compte de la journée d'hier. Firmin a été très sage et très obéissant ; Thérèse *  lui a mis son beau paltot bleu et je l'ai mené à la messe de midi, il s'y est très bien tenu. Ensuite nous avons été voir Marie Petipas où j'ai trouvé Mme Foussé ; pendant que nous étions là les pompiers sont passés avec les tambours et la musique. J'ai mené Firmin leur voir faire l'exercice, cela l'a beaucoup amusé, et ensuite nous sommes revenus à la maison où nous sommes restés toute le journée parce qu'il fesait trop chaud pour aller se promener ; ton fils a joué et s'est bien amusé avec les dominos et ses autres joujoux. Il a été assez gai et j'en ai été bien content car, ce matin, après une nuit fort tranquille, il s'était éveillé en appelant sa maman, il avait même pleuré un peu. Thérèse qui sait le prendre, l'avait égayé et détourné de ses idées en l'habillant ; aujourd'hui il est charmant.

Ernest et sa femme avaient été avec tous les St Hardouin, les Mion ** père et enfant et même ta tante en partie de plaisir à Nailly ; moi j'ai trouvé que la chaleur était trop grande pour être de cette partie et y mener Firmin. Il paraît que Lucile s'est bien amusée, elle avait pêché 5 poissons, c'était la seule qui eut pris quelque chose. Elle était dans le ravissement, elle n'avait jamais pêché à la ligne.

Après dîner, j'ai été à la gare voir passer les militaires avec Firmin que le sous-chef a reconnu pour le petit garçon qu'un homme du chemin de fer avait amené ; je lui ai dit que c'était le fils de Mr Jacquillat. A ce nom on nous a fait les honneurs de la Voie et ton fils s'est bien amusé à voir les cuirassiers de la Garde impériale qui mangeaient des poires et buvaient de l'eau dans un arrosoir. Nous sommes rentrés à huit heures 1/2, Thérèse a couché Firmin qui, comme d'habitude, n'a fait qu'un somme ; mais cette fois il s'est réveillé de très bonne humeur.

Hier il avait mangé une côtelette de mouton à son déjeuné, à dîner, il a mangé un oeuf à la coque seulement parce qu'il avait beaucoup goûté. Ce matin, le gaillard a mangé à son déjeuné deux oeufs à la coque quoiqu'il eut mangé un petit morceau de pain après avoir pris son sirop avec son biscuit ; je trouve que Firmin a très bon appétit ; ses couleurs sont revenues et j'en suis très content sous tous les rapports. Quant à ses C.C., nous ne les avions pas comptés, mais c'est lui qui s'est chargé de ce soin, il a été jusqu'à présent 4 heures, seulement quatre petites fois ; mais Thérèse a jugé à propos de ne pas lui faire prendre son sirop demain matin, pour voir si ses C.C. seraient moins noirs.

 Pendant que j'écris ton fils est auprès de moi qui, je t'assure, fait assez de tapage ; il a voulu t'écrire avec son crayon trois lettres qu'il a cachetées de vingt pains à cacheter de toutes couleurs pour que je te les envoie. Il me parle de sa soeur dix fois par jour et il me disait encore ce matin qu'il voulait s'en aller à Paris au 15 pour voir sa tante Maupâté qui doit venir chez lui. J'ai remarqué que cet enfant avait beaucoup de mémoire ; à chaque instant, il me parle de choses qui se sont faites et dites ici ou chez toi il y a déjà longtems. Il est aussi très propre, il faut qu'il se lave les mains toutes les fois qu'il a mangé, ce qu'il vient de faire après avoir goûté. Enfin ton fils est charmant et s'il continue à se bien porter je le garderai tant que tu voudras ; cependant je lui ai lu dans ta lettre que je pourrais le remettre à Caroline à son passage à Sens; il a saisi cela et m'en déjà parle 2 ou 3 fois. Il a bien reconnu la prière que tu m'as envoyée et m'a dit de la lui faire faire ce soir.

J'avais besoin d'écrire ce matin à Caroline en lui envoyant un paquet ; je l'ai bien engagée à ne rien changer à son projet de descendre chez toi. Il y a ici un mariage dont j'ai lu hier l'affiche à la porte de l'hôtel-de-ville, c'est celui de Jules Simon, le fils de Toinette de la Tournerie, qui épouse une jeune-fille de 18 ans, lui en a 22 et 1/2, il est commis chez Mr Aucher.

 

Il est près de 8 heures, je reprends cette lettre. Je te dirai d'abord que j'ai oublié de te dire qu'à dîner Firmin mange toujours une très grande assiettée de soupe qu'il paraît aimer beaucoup, toujours de la soupe grasse, et depuis le commencement de dîner il n'a fait c. c. qu'une fois, ce qui fait pour la journée cinq fois seulement, nous verrons demain ce qu'il fera  s'il ne prend pas son sirop à dîner. Il a mangé un oeuf brouillé et beaucoup d'artichaut avec de la sauce blanche ; il n'a pas voulu de viande, mais je t'assure qu'il a bien mangé.

Il est maintenant au mieux avec Lucile et joue beaucoup avec son oncle Ernest, enfin, ma chère amie, je te le répète, ton fils est charmant ; tu peux être tranquille, il ne court aucun danger dans la cuisine et d'ailleurs je ne le perd pas de vue. Il me disait pendant dîner de te demander si tu habillais sa soeur et si tu l'amènerais avec toi en venant le chercher. Et comme nous étions menacés d'un orage, il m'a dit de fermer la croisée, il est, je t'assure, très avisé. Mais je n'y vois plus, je suis forcé de cesser mon bavardage. Je ne t'écrirai pas tant qu'il sera toujours aussi gentil. Adieu, je vous embrasse tous tendrement.

Ton très affectionné et tout dévoué

 

                                                                                         Landry père

 

Ernest me prie de demander à ton mari s'il peut lui envoyer son protégé Leblanc. Tu me le diras dans ta prochaine.

 

 

* Thérèse est la bonne de M. Landry.

 

** Sidonie Guyot (1839-1909), cousine issue de germaine d’Amélie (branche SAINT-HARDOUIN), avait épousé en 1857 Jules MYON, employé aux chemins de fer de l’Etat. Deux fils : Gustave (1859-1942) et Georges (1863-1940).