Les Carnets René Benjamin


Carnet n° 5



(janvier 2015)






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Mes Amis



Le silence et l'ombre










Note de présentation




Quelques mois avant sa mort, René Benjamin rentre en lui-même. Il pense à ce qu'il sait sans doute devoir être son dernier livre, celui qu'il prévoyait peut-être aussi qu'il n'écrirait pas.

Déjà, en 1946, la dédicace de L'Enfant tué à son second fils, indiquait cette disposition de son âme.


« Cher François, j’ai rêvé toute ma vie d’écrire des livres d’honnête homme ; et de léguer à mes enfants un nom qui fut honorable.

La haine et l’envie ont espéré le déshonorer. Mais d’un coup d’aile ton frère, qui a donné sa vie pour le pays, l’a rendu glorieux.

Maintenant que mes forces vont décliner et que je songe, dans un grand trouble, à vous quitter pour le rejoindre, là où les âmes sont enivrées ou terrifiées par la seule vue de la Vérité, veille, enfant chéri, à garder dans tes mains pieuses cet héritage insigne. »


Que nous reste-t-il de ce projet ? Un cahier préparatoire d'une quarantaine de pages et plus de trois cents feuillets de notes, dont la plus grande partie est placée sous le signe de l'Amour de la vie, dans lesquelles, au soir de chaque jour – il aimait particulièrement les heures du soir, propices au recueillement – il notait à la fois des souvenirs et des réflexions morales, esthétiques ou religieuses. Il traçait les grandes lignes, les idées-mères du livre, en trois volumes, qu'il se proposait d'écrire, tout en cherchant à en préciser la mise en scène et les personnages.

Voici le cahier dont son futur livre aurait à s’inspirer, tel qu’il nous a été donné de le lire.


Xavier Soleil



N.B. – Les passages soulignés par l’auteur ont été transcrits en italiques.






C'est le livre du mystère des mystères.






Mystère.




Mystère de la beauté.

(le beau inscrit dans la conscience)

Mais quoi de plus mystérieux que deux yeux sublimes ?



C'est le livre des méditations du Soir – oui quand le soir descend. Soirs d'hiver – soirées lentes d'été.



Il faut que ce soit des livres d'idées – en images.

(sinon ce seront des livres de moralistes, morts.)



Je voudrais que ces trois livres soient comme un petit univers dans l'Univers, à l'heure

où toute une Civilisation s'écroule.


Je voudrais insérer dans ces trois volumes de moraliste, en somme, une quantité de tableaux, récits, petits poèmes en prose à la Baudelaire.
















Noël 47


Inscrire le chapitre du Voyage.



Elles seules.

Pour Rome voir Le château d'Hamlet, Elsemeur.

à la fin du carnet Amsterdam (Rembrandt).

d'oct. nov. 47 Le bonheur du feu de coke de Londres.

les émotions La danse à Séville.

principales notées Les rues de Rome, et Michel-Ange*.

en une ligne. La terre rouge du Maroc.

La Vallée des Rois.

France : la Tournette, L'Acropole.

l'orage à 2000 mètres, L'Egypte sans mouvement : voilà pourquoi elle m'abat. Le mouvement

éclairs, pluie, cloches et la liberté ! Le mouvement de la Grèce.

des vaches. La Provence de Daudet.

Fontainebleau de François Ier et Napoléon.

L'embouchure Bordeaux.

du Danube. La Touraine.


* impression unique en ma vie d'aborder à l'au-delà. Le pays de la mort et du gigantesque immobile (contraire

de l'Occident).


Le Chapitre de la Liberté.


On n'est sur la terre que pour créer – il n'y a pas de doute – dans tous

les riches sens du mot.

Et on ne peut créer que dans la liberté.

Dieu ayant donné à l'homme le pouvoir de créer devait lui donner

la liberté.

Mais l'homme s'est servi de cette liberté pour tuer et se tuer.


L'ombre, l'ombre.


La valeur de l'ombre dans l'art.


A Thomas, 27 décembre : « Avec une plume on tue le mystère qu'un pinceau peut rendre ! Ah ! être peintre !… Quel regret !… Il faut retrouver l'art des silences qui compense un peu, très peu, ce que peuvent les hommes de la palette avec la magie des ombres. »


La Liberté.


De création divine – sûrement !

C'est aussi l'avis de M. de Sainte Fare qui frémit quand

je le lui dis (25 déc. 47).

Oui, oui, divine, reprend-il.

Et il réfléchit que chaque fois que cette chose divine fait défaut, il y a une cruelle compensation naturelle tout de suite.


Chapitre sur Rembrandt*: le grand solitaire passionné.

Le plus grand peintre de l'âme qui ait jamais existé, dit Jamot.

, Et par conséquent du Silence et de l'ombre.


* L'art qui fait de la joie, de la vraie et haute joie, avec nos plus grandes détresses (ex. Chopin, comme dit

le Pape).


Chapitre du Jugement Dernier.

ou… les grandes rêveries.


Chapitre sur la femme.

(s'il n'y est pas, tous les vrais hommes l'attendraient.)

Comment en parler à la fois en païen et en chrétien ? Il le faut pourtant pour être complet.


Le Chapitre sur la Mort.


Mes régulières angoisses, au lit, au réveil.

Comment, quand on Le travail les emporte.

imagine, c'est-à-dire Puis le matin reparaît.

quand on crée, croire Le peu de progrès que j'ai fait.

encore à la Mort, La part de cabotinage à l'évocation de ma mort – et de terreur réelle.

ou y penser ? L'influence tout de même de la mort de l'Enfant.

Enfantillage : à la nouvelle de chaque mort, je me dis : « Encore celui-là. Pas de rémission ! Ce va donc être à moi. »

Le corps et l'âme sont si étroitement mêlés (c'est le seul prodigieux mariage que je connaisse) que… nous ne pouvons pas imaginer,

quand ils se démêlent, qu'il ne reste pas quelque sensibilité au pauvre corps délaissé, inanimé. D'où notre pitié pour les morts. D'où notre propre effroi devant la terre qui nous rongera. Comme on se serre, contre les amis, sous la lampe, quand on y pense !


Le Chapitre du Calendrier personnel.


Comme je suis sensible aux saisons, aux fêtes. Comme je les fête intérieurement ! Comme je les ressens.

Pâques – dans le frisson. L'alléluia de la Résurrection me donne

le frisson.

Souvenirs s'enfance Noël me donne chaud, quoiqu'il fasse froid.

indélébiles : la cheminée Le 31 décembre, l'âme tremble toujours un peu devant l'Inconnu.

merveilleuse, les paquets. La fête des Morts m'est odieuse. Je pense aux morts toute l'année. Je les

place à leurs dates. Elles et eux sont sur mon livre d'adresses. Mais ce 2 novembre où ils sont tous ! Cet afflux qui monte des cimetières…

Je recule épouvanté.

La première semaine de janvier m'est odieuse. Glacée pour le cœur.

On n'y peut rien placer de ce qu'on aime.

J'adore le temps de Pentecôte. La fête de l'Esprit au plus beau moment de l'année.

Noël et Pentecôte, voilà mes deux joies. Pâques et la Semaine Sainte funèbres. Je ne peux pas vivre dans la Passion. J'ai besoin d'enthousiasme pour créer.


La Mort.


* Je ne vois que des Le désespoir – tout l'horizon bouché* , les malheurs pour demain,

choses insolubles, donc la ruine par le fisc et les procès, je connais tout cela au réveil – jusqu'à la mort partout. ce que le feu, la soupe et le café m'aient refait une âme en me changeant

le corps. Et voilà l'espoir, le divin espoir – plus fort que la mort, et qui monte comme la flamme d'un feu de bois.


Liberté.


Une soirée chez Jean Dars, le 31 décembre 47. L'éclatement soudain :

J'ai envie parfois de lâcher le barreau, et de me lancer dans

la politique – je ne le ferai pas ! (retour de la raison contre la passion)

pour leur dire Merde ! à tous. Car enfin, jusqu'où ira cet étouffement de la liberté, ce bien le plus sacré de l'homme, il n'y a pas de doute,

ce que je préfère à tout.

Le cri de tous les vrais grands esprits à travers le Monde.

Le cri d'Alceste.

Le cri de Cervantès.

Le cri de Rembrandt, de sa retraite.

Le cri de Michel-Ange.


Le chapitre de l'Amour et de l'Art.


Lettre à Charles Mauban, 1er janvier 48 : « Il vous reste à réfléchir peut-être sur ce que sont les sommets de l'art. Eh bien… l'art en est presque absent, tant à sa place la vie s'y épanouit, criante de vérité. Les très grands artistes ont une magnifique inconscience. Votre lucidité et vos analyses vous ont nuit. Il est à craindre qu'à force de détailler un cas trouble, vous n'ayez troublé votre lecteur. Or le très grand art apaise ou exalte. Votre chef-d'œuvre – c'en est un – ne me donne pas la paix ou l'ardeur des grandes œuvres. »


La Femme.


Une femme, c'est tout. La beauté de l'Univers s'y résume et s'y concentre. La beauté dont l'homme a besoin pour vivre, avec la tendresse qui le défend contre la Mort.


Religion.


Nous ne croyons pas profondément, mais comme elle nous pèse cette Croix !

Jean Dars parlait des prêtres et disait :

Enfin, ce n'est pas possible qu'ils croient à la Résurrection du Christ et à sa présence dans l'hostie ! Pourquoi est-ce que je ne peux pas imaginer cela ?

Heure sèche, heure déplorablement sèche.

On sent bien à la sécheresse déplorable qu'on gagne à son contact; et au raidissement qu'elle vous donne que la Raison est de mauvaise origine !… et qu'elle ne peut demeurer seule. Elle fait de vous un désert.

C'est si beau la rosée, et la mollesse d'un beau jour, et l'abandon

du cœur.

* Ah ! une femme avec Heureux ceux qui peuvent se laisser aller… à Dieu.

qui j'ai franchi le pas Dans l'Amour, c'est tellement facile ! Il n'y a pas de spectateurs !

de la tendresse ne pourra Mais par moments j'ai trop besoin de la Divinité du Christ pour qu'elle

donc pas m'aider ne soit pas vraie.

à franchir celui de D'où me vient ce besoin, s'il n'y a rien pour y répondre ?*

la Religion ! Il ne serait pas.

Ah ! j'ai envie de crier à Dieu :

– Je vous supplie que ce soit vrai !

Et il est possible que ce soit, montant de la terre entière, une supplication si forte, que Dieu en fasse en effet, après coup, une Vérité !


La Maison.


On peut faire un chapitre émouvant avec tout ce que contient une maison, la surcharge inutile d'une maison : tout ce qui y est et qu'on ne voit plus par habitude – tout ce qu'on ne veut plus revoir, et qu'on laisse enfermer (les reliques de l'enfant, sa montre ensanglantée). Les monceaux de lettres (quand les relira-t-on), les bibliothèques de livres, le vieux linge.

La Mort.


Jean Dars, hanté par elle, demandant à brûle-pourpoint à Henriette (31 déc. 47) :

– Et vous, Mademoiselle, avez-vous peur de la mort ?

Oui justement. Elle n'y pensait guère – et depuis un mois, oui depuis un mois, après une certaine conversation avec Laurence et moi, un soir, elle dit qu'elle est hantée.

Elle aussi. Ceci dit devant le feu de bois qui consomme les bûches.


Les grandes angoisses d'à présent.


Il ne s'agit plus de mort naturelle. Mais de la mort de ce qui a été l'homme, la beauté, l'espérance de nos vies.

Il s'agit de la disparition non seulement des monuments et œuvres d'art, mais même des livres.

Ça c'est la pensée pessimiste de Mauriac1.


1. Pierre Mauriac.


Amour.


Est-ce que la chasteté tant prônée par l'Eglise chrétienne, le péché d'amour – n'est pas beaucoup de l'Orgueil de l'Esprit ?

Est-ce que ceux qui aiment l'amour, en étant naturels, ne sont pas plus modestes ?

C'est beau de se soumettre aux lois de la création – d'être heureux avec elles – et de remercier du bonheur qu'elles vous donnent.


Les étranges choses d'une vie.


J'ai tenu dans mes deux mains le crâne de Ronsard !


La loi et la liberté.


La loi est une commodité, une nécessité, mais il est indispensable de la modérer par la liberté, autrement dit de la tourner décemment.

Les hommes étant nés pour des fins différentes, avec des natures différentes, dont l'ensemble fait la gloire de Dieu – il est sage, poétique et civilisé de tolérer côte à côte des oppositions.

Chacun a son but.

Il y a des destins bien différents.

Un homme de la Pureté, un homme de la Volupté, un Pape, un grand artiste, doivent se vénérer et vivre côte à côte, sans se mépriser, ni se condamner.


Raison. Pauvre raison.


Elle nous tire en prévoyant avec logique.

L'essence de la vie est d'être mobile. Le miracle est permanent.


L'oubli.


Le démoniaque… et divin oubli.

Démoniaque, car tout nous fuit – comme l'eau de la rivière coule,

et nous cherchons sans cesse à retenir, à garder, et le carnet de notes dans la poche est fait pour essayer de ne pas perdre ce qui une minute nous enchante et va passer.

Divin, quand nous nous mettons au lit.



Poésie.


Les instants miraculeux de la vie, où nous apercevons tout à coup ce qui est au-delà du réel – et c'est si beau que le cœur manque d'éclater.


L'Espoir*


Mais… pourquoi est-ce que moi, je crois comme un enfant que tout est sauvé par nos anges gardiens, que les villes détruites, comme les poèmes perdus, sont ailleurs, gardées – comme tout ce qui est beau.

Tout ce qui est beau est éternel.

Tout ce qui est laid retourne en poussière.

L'homme de bien et l'artiste créent sans cesse de l'éternité.

Laurence ne cesse pas.

Les médecins ne font que du temporaire. Mais s'ils ont une idée poétique de leur vie, leur ange gardien les attend avec elle.


* Un long trait de plume relie ce titre au dernier mot du paragraphe « Les grandes angoisses d'à présent » (page 7).


(Chap. du Beau.) C'est mon idée sur le Beau. J'ai bien le droit

de l'avoir.


Art.


Tout grand art c'est d'essayer de remettre en place le beau éternel – de le dégager et de le placer, de le fixer.

Le beau est partout: il faut le saisir, il faut le dégager du laid.


Il y a trois choses qui font les très grandes œuvres .

Le feu. Balzac. Hamlet. Alceste.

La suprême grâce. Don Quichotte. Manon.

Le Mystère. L'Arlésienne. Rembrandt.

Le feu emporte; la grâce enchante; le mystère ensorcelle.

Les trois enrichissent; font du bien.

Le grand art fait du bien.


Friedrich Hoelderlin écrivait : « L'esprit ne jaillit que de l'enthousiasme, et le rythme n'obéit qu'à celui dont l'esprit est devenu vivant. »

La vie de Balzac n'est qu'une suite de poussées d'enthousiasme – ou de geignement, quand, dans la fatigue, il sent s'affaisser cet enthousiasme.


La Femme.


La Femme, c'est la beauté du monde. Quand aux premiers jours elle s'est levée du flanc de l'homme endormi, ce fut pour le combler à son réveil par la suave harmonie de ses lignes. C'est la forme de l'épaule et du sein de la femme qui ont acheminé l'homme à s'émouvoir des belles ondulations d'un paysage.

La douceur des adorables courbes féminines le hante partout. Dans les sociétés de la meilleure tenue, un homme amoureux regarde les femmes en les déshabillant secrètement.


Les Amis.


Il faut aimer l'Amitié.

Il faut aimer et aimer.

Mais il ne faut surtout demander à des amis différents les mêmes choses.

A Sacha, le plaisir du génie (Même quand il a l'air de donner, dit l'abbé Fontagnères, il se donne à lui-même.)

A Jean Dars l'intelligence aiguë, la politesse extrême, le cœur, quelque chose de précieux – de féminin. Pardonner son cynisme, etc, etc…

Savourer les natures variées.

Ne pas vouloir tout.

Ne pas être avide en amitié.


Art.


* Et c'est nécessaire pour Il y a de la magie dans l'art.

nous élever au-dessus Il n'y a pas que du réel.

de nous-même – ce Chaque œuvre d'art est une apparition magique – donc une lueur

qui est le but de l'art. sur l'invisible. Pas seulement le visible*.

Plan.


Il faut que ce soit un très vaste essai sur les questions essentielles qui me touchent avec au centre:

¤ une grande figure: Rembrandt.

¤ un grand tableau: Le Jugement Dernier.


Jugement Dernier.


Un couple d'amants viendra expliquer comment ils se sont accomplis l'un par l'autre.

Le but de Dieu n'est-il pas toujours que les êtres s'accomplissent ?


L'Invisible,


Début voilà l'essentiel. On commence à l'entrevoir avec le silence et l'ombre.

Mais l'ombre que je recherche n'est pas faite (recherchée) pour évoquer des tristesses. Non, non. Des joies. Je suis un homme de joie.

Le gothique, par exemple, m'a toujours paru mortellement triste.

La peinture espagnole aussi. L'un par une certaine laideur réaliste et grimaçante. L'autre par la présence hideuse de la mort. J'aime la vie,

la beauté, les Grecs. J'aime tous ceux qui débordent de vie.

L'ombre ici est pour faire chambre noire.

De même le silence ne doit pas tendre uniquement à entendre mes voix intérieures – mais parmi ces voix, intimement mêlés à elles, les souvenirs qui ressuscitent les voix des autres.


Art.


La Tour du Pin écrit :

« Je ne cherche pas une vérité pour notre intelligence ; mais de l'état de poésie où je me trouve, tout peut être porté vers votre adoration. »

La poésie des choses une fois atteinte, on touche la religion.


La recherche de la vérité.


Qui s'en soucie ?

Qui a le temps de s'y mettre ? C'est toujours remis.

Quand tout à coup on en a la passion, il faut bien s'éloigner du monde, qui vous fait horreur ou simplement pitié par son vide.


La première partie de la vie, ce sont des études. Soit bien encombrées, soit bien primaires, soit bien bousillées, soit presque toujours bien mal faites.

Les examens ne permettent pas une recherche de la vérité.

Le programme est une épée dans les reins.

Et après, le métier !

Le métier aujourd'hui. Plus de loisir réservé ! La course abrutissante. On arrive aux Pompes Funèbres et au Jugement Dernier sans avoir rien compris.


La Mort.


C'est drôle comme les Pompes Funèbres m'irritent. J'ai l'impression qu'elles me guettent. Toute ma vie, sans trouver jamais, j'ai cherché à leur échapper. Je n'ai cessé d'avoir des boutades.

Vous me laisserez comme cela. L'Etat m'enterrera s'il veut. Je ne veux rien dépenser pour cela. Je veux que vous achetiez une pièce de vin pour atténuer votre chagrin.


Mon métier, l'Esprit.


Dire en quelques mots, calmes et hautains – aussi hautains que L'Esprit pur de Vigny – que dans une société comme la nôtre, l'Écrivain, s'il est pur, s'il connaît des responsabilités, s'il entend sa conscience,

est supérieur à tous.

Supérieur au diplomate.

Supérieur au guerrier.

En face du laboureur laborieux. Je ne vois guère que lui que je respecte… à mon égal.


Début.


J'ai toujours rêvé – je ne l'ai jamais fait – de prendre en notes pendant quelques heures de suite toutes les idées et images qui se présentaient à mon esprit – dans la suite logique ou illogique où elles se présentaient.

J'aurais vu – ce que je sais d'ailleurs – que certaines ne cessent de réapparaître. C'est elles qu'ici je voudrais regarder en face.

Car elles sont la trame de ma vie.


Tout est de l'à peu près.


Nous ne pouvons faire que de l'à peu près.

J'ai mon métier. J'ai mes enfants à achever d'élever, à guider, à sauver. J'ai à mettre à chaque instant de l'ordre dans ma vie contre le désordre qu'on y établit. Les journées passent, courent, fuient. Je ne peux pas arrêter le temps. Comment faire ? Comment aller assez loin, assez profondément dans la Vérité qu'exige mon métier ? Comment m'améliorer, me grandir ? Comment aider les autres ? Comment répondre à tout: les amis, le fisc, les nécessités de la vie, la santé, que sais-je ? La prostate grossit, les dents tombent, les rhumatismes augmentent, le cœur se détraque. Je voudrais tout dominer. Tout me domine. Il y a des heures où dans l'essoufflement, je pense que ce doit être bon de s'abandonner à la mort. Mais voici le soir. Dans la chaleur du lit, soudain pelotonné sur moi, je m'abandonne simplement

au sommeil, et en voilà pour un bon moment à oublier toutes mes angoisses !


La difficulté… et le charme d'être père.


Se rappeler ce qu'on a éprouvé.

Jamais, jamais, on n'est trop tendre, assez délicat.

Toujours tourner les sujets. Ne rien dire de front.

Bien entendu, quand on n'a pas des brutes chez soi. C'est si facile de ne pas dire les choses au moment où elles blesseraient. Choisir une autre heure. Avoir l'air de parler d'une façon générale.


Il faut essayer

de se connaître soi-même,

pour ne pas juger le monde d'après soi – ce que font presque tous les humains.

Car le fou ne voit que des fous.

Le très honnête homme ne croit jamais aux crimes cachés.

Le pervers, le ténébreux, le fâché croit toujours au mal, et le soupçonne partout.



Mon goût du recueillement,


de la chambre.


Depuis que je suis tout petit. On ne change pas.

Les plus belles promenades. Mes plus grandes voluptés de nature je les ai comprises dans ma chambre, après. C'est ma chambre qui leur donnait de la valeur.

Ah ! que j'ai aimé rentrer !

Même parfois, malgré l'horreur de Paris, à cause de ma chambre.

La beauté de la maison, du travail.


Rembrandt devait sentir cela profondément.

Son œuvre doit être au centre de ce livre.

Parce qu'elle est née dans l'ombre et dans le silence.

Il ne va pas comme Corot regarder le monde. Il le retrouve en lui. Il est la chambre noire.


Paris – Von Cholitz.


Je ne m'y promène plus guère sans penser à Von Cholitz – moi l'ennemi de l'Allemagne.

Von Cholitz qui a sauvé Paris.

Je voudrais rencontrer cet homme. Où le trouver ?

Je sui sûr que je suis bien le seul à avoir cette étrange pensée dans mes promenades.


Mon horreur instinctive de l'Armée, c'est celle des armes, je ne peux pas me changer. Et ce n'est pas la mort de mon enfant qui me changera. Je n'ai jamais tenu un fusil sans répulsion, sans frémir. Et quel ennui ! Démonter cela ! Remonter cela !


Sujet du livre.


C'est assez drôle d'avoir mon âge.

Cette envie de s'enfermer pour dire ce qu'on a à dire.

Et on croit avoir beaucoup à dire – avant de mourir.


Les photos de famille.

Le buffet aux lettres.

Les souvenirs.

Cette fatigue et grande mélancolie, tant que l'esprit n'en a pas dégagé l'essentiel.




La question d'argent.


Me peindre, sans mémoire ni compréhension – au milieu de mes malheureuses valeurs, avec des dossiers où des papiers en chinois s'accumulent.

Je prends des conseils à droite et à gauche.

Je les prends mal, parce que je veux que ça aille vite.

J'en change.

Je ne fais que des gaffes.

Montrer le comique de tout ça. Quand je crois gagner, c'est que je fais des additions fausses.

Ah ! tout donner aux enfants qui me nourriraient ! Mais comment faire ?

Je suis toujours indigné par les prix de garde. Mais cela vaut de l'or: c'est tellement embêtant.

Faire un chapitre très doucement comique.

Montrer cette réadaptation constante dans notre vie – aux prix. Fatigue.

Montrer les conseils de mon beau-père (Tableau du bonhomme.

Les vacances de Pâques. Dans le premier soleil, la constitution

du portefeuille).


L'Art.


Ce n'est pas du tout que je le confonde avec la morale.

Mais je le veux exaltant.


Toute la vie se traîne ou s'exalte entre deux sentiments tenaces:

Celui d'un Paradis perdu

– Celui d’un Paradis possible à retrouver un jour.


Plan début J'ai dépensé beaucoup de temps à courir voir des hommes… pour savoir ce qu'ils étaient.

Je me demande maintenant si je n'ai pas négligé mon moi, où était déposé l'héritage de connaissances de mes grands-pères, bien suffisant.


La question religieuse.


C'est une grande faute de primaire de vouloir une religion raisonnable.

La religion est du domaine de l'imagination auquel le primaire n'accède pas.

Je n'aime la religion que quand elle parle à mon imagination, que quand elle me tire du réel.

C'est pourquoi je ne peux pas supporter la grand messe ici. Je n'aime que les messes basses, très tôt – et surtout en hiver quand on y va

au petit jour, et que l'église vous prend le cœur dès le dehors, avec ses vitraux allumés dans la nuit.



Amour.


La première grande beauté de l'amour est l'oubli de tout le reste – d'abord de la société, qui fausse la vie de l'homme.


Art.


L'art doit être un bienfait. Il n'y a aucun doute. De Cervantès,

de Molière, de Rembrandt – je sors meilleur, plus heureux – avec

la sensation précise que j'ai touché le bonheur, – que je me suis élevé – que le destin de l'homme est mystérieux et grand. Car dans le fait du mystère, il n'y a pas que de la misère: il y a une autre face des choses qui est la sollicitation de Dieu: « Cherche, et trouve ! »

Et cette recherche mène à la poésie, à la beauté, à l'amour, – à toutes

les élévations de l'homme.


Plan de l'essai.


Pour exposer certaines idées les mettre sous forme de récits – d'histoires tragiques ou comiques, – rappelant un peu les histoires de

La Conversation entre onze heures et minuit.

Illustrer toujours tout, ce que ne fait pas Montaigne.


Mon titre.


Ne veut pas dire que c'en est fini pour moi de toute activité parmi

les hommes.

Mon silence et mon ombre ne sont jamais que momentanés.

Je suis bien trop méfiant de moi-même.

Je craindrais bien trop, comme tant de solitaires, de parler trop haut, trop fort, avec trop d'assurance – ce qui n'arrive pas quand on parle

aux autres. Un seul de leurs regards vous corrige et vous arrête,

qui vous dit: « Ne m'assourdissez pas ! »


Vues religieuses.


J'écris à Elbée (19 février 48) à propos de Constantin.

« Ah ! que j'aime votre pensée sur les œuvres d'art détruites : Peut-être ressusciteront-elles dans l'éternité. Ah ! mon cœur a sauté ! Vous rejoignez là une de mes plus chères croyances. Bien sûr ! Rien de beau n'est perdu. Dieu recueille tout. Il a deux puissances: sauver le beau, changer le laid. Tout ce qui était beau dans nos villes détruites a fait un bond dans l'autre monde et nous y attend, avec le visage intact de toutes les femmes belles et le visage transfiguré de toutes les femmes laides. »


Je me rappelle le vers d'un poète : Arthur Nicolet, ami de Métérié :


« Je vous préfère à tout, murmure de mon âme. »


Doutes sur soi.


Sur ce qu'on fait.

Eviter tout autant l'amertume que la vanité. Quand c'est fait, ne plus s'en soucier.

Léon Daudet m'a donné de bonnes leçons.

On a fait des enfants dans un moment d'enthousiasme. Et puis voilà…

Ne pas se demander toute la journée quelles qualités ils ont. Ils sont

ce qu'ils sont.

Et ne pas faire plus attention aux compliments qu'aux critiques. Parce qu'on ne peut pas mesurer la liberté d'esprit chez les gens qui vous font les uns et les autres.

Il fallait voir l'emballement de Descaves, au commencement

de Gaspard. Mais c'était sa vanité qui était satisfaite. Et dans les Souvenirs d'un ours, son dépit du même livre. Et c'est son dépit qui parle: « Gaspard sans concurrent est sans importance ». Pauvre homme.


Changements d'un même être.


Considérables,

1. selon l'âge.

2. Dans ses actes. Dans ses lectures. Les opinions successives.


Importance capitale dans ma vie de mon voyage en Espagne.

Je le discerne aujourd'hui : on ne voit qu'avec le recul.

Ce fut un grand coup.

L'indication pour moi de la fin du bonheur occidental.

L'arrivée de la marée orientale, russe, communiste.

La police. La dénonciation. La cruauté. La mort.

Ce fut pour moi un arrêt de la respiration.

Tout cela coupé de visites de grandes cathédrales – corridas, danses – traversée de pays éblouissants.

Mais j'avais vu le visage de la sauvagerie humaine.


Branly.


Tel qu'il m'apparaît aujourd'hui, dans son pittoresque vrai.

Inénarrable bonhomme à qui on doit tant de bien… et tant de mal !

Plus de bien sûrement…

Le problème de l'inventeur.


Solitude.


* même sur mes estrades, J'ai été toute ma vie un homme de pudeur et de solitude*.

je suis étonnamment seul. La grande preuve c'est que les grandes explosions d'enthousiasme

des foules m'ont toujours fait peur. Vive m'a toujours semblé tout près de A mort ! Même passion. Même geste. J'aime la discrétion.


Solitude. Amour de la solitude.


Il explique mon impossibilité à pratiquer ma religion en commun. Mes froissements. Mes bâillements. Partagés, j'en suis sûr, par tant d'hommes. Ah ! être avec Dieu seul, dans le secret – en ayant de moins en moins peur.


J'ai écrit dans Le Divin visage : « La lumière, sans les nuances de l'ombre, n'est rien ! »


Y a-t-il place dans le livre pour

L'adorable visage,

non seulement inspirateur,

mais grâce auquel (comme avec Vinci et Botticelli) on se sent plus en accord avec le grand mystère des choses invisibles.

' C'est la beauté, la beauté divine, la beauté d'âme, qui est le lien.

Le visage de L., dans ce qu'il a de divin, fait rêver. Il me tire de moi,

me hausse au-dessus de moi, m'aide à deviner – ce qu'il est –, l'ineffable, le mystère et le miracle.

C'est en cela qu'il est divin.

C'est pour cela qu'il me fait dire : « Je suis le plus fortuné des hommes; je l'ai rencontrée ».

C'est pour cela que je dis : « Il n'y a pas plus beau qu'un visage

de femme quand il est pur. C'est toute la grâce et l'enfance du monde.

C'est un paysage d'âme.

Dans un paysage de nature, on voit une belle terre, un beau ciel,

des choses harmonieuses : rivière, arbres, chemin.

Dans un paysage d'âme, on voit des douceurs, des noblesses,

des tendresses ».


Les contrastes qui sont le drame noir de la vie.


Être un homme, c'est les résoudre.

Réussir à:

Etre attaché et détaché.

Dieu m'a fait libre, et Dieu me dit : « Crains Dieu » ou enfin… ce sont ses prêtres qui me le disent, c'est Bossuet. Si je crains vraiment Dieu,

je ne peux pas exercer vraiment ma liberté.

Il y a en moi deux hérédités : païenne et chrétienne. Comment

les concilier ?

Il faut tout le temps trouver son équilibre. Le balancier du danseur

de corde.


Silence.


Je lis dans Saint-Simon sur Mgr : « silencieux jusqu'à l'incroyable ».

Je pense à Charles. Sagesse ? Pudeur, amour de la brièveté, du trait ramassé (ramassé comme lui, tassé, condensé, petit et fort) ou pauvreté de moyens d'expression ? Et avec un bavard comme moi ! Il aimait ceux qui savaient s'exprimer.

Aussi, il y avait le grand mépris des hommes. Le grand froissement plutôt qu'il en recevait – comme moi.


Religion.


Ce qui fait qu'un homme est grand, c'est la perspective de Dieu, devant laquelle il construit tout le reste – sans jamais la perdre de vue, – qu'il mène sa vie, ou qu'il soit un artiste.


C'est dans l'ombre et le silence que l'imagination, cette reine, établit

son royaume.


Il faudrait – pour que ce livre fût beau – qu'il fût pour ainsi dire écrit dans un état de demi-veille.


L'Amour.


Il fait tout voir et tout comprendre. Avant l'être aimé, on a regardé. On n'a pas vu. C'est lui qui brusquement fait tout comprendre – parce qu'on lui montre, qu'on lui explique – et qu'en expliquant on veut être à la hauteur de son amour et de l'être aimé. Alors, on trouve des choses, on trouve toutes choses.


Un chapitre intitulé :

Pourquoi? Pourquoi ?

La grande question de tous les hommes, toute leur vie.


Ce n'est que dans la solitude et l'ombre que peut se faire le mariage

si français de la raison et du sentiment – le mariage méditatif

à la Poussin, à la Le Nain, à la Georges de la Tour.

A propos de Georges de la Tour, Jamot dit : « Il capte les secrets

de l'ombre », et ces secrets sont d'ordre spirituel et mystique. En fait

il n'existe pas un chef-d'œuvre de la Tour sans mystère.


La façon dont en 1939 j'ai senti l'écrasement par la vulgarité. C'est cela la plus terrible invasion.

Les journaux ! Leur arrivé aux kiosques ! cette horreur.

Comme je me suis défendu ! Comme j'ai changé. Je n'en lis jamais un.

– Mais il faut être au courant ! me disent les gens.

Au courant de quoi ? De la bêtise ?

Le voyage que je fais à Lyon – en avril 48. Le 14 avril. La France dans le printemps. L'adorable lumière sur la vallée de la Saône à six heures du soir.

Et tous les voyageurs lisant des journaux tout le temps.


L'épicier, homme merveilleux, calomnié : c'est un soutien de l'âme !

Le matin, après ma tasse de café, je suis un autre homme !

Je crois comprendre. Le nombre ne m'abat plus. Je marche allègrement sur les morts, l'histoire, les couches entassées de crimes, de bienfaits, d'hommes illustres et d'inconnus. Je respire. Le cœur est vif.

J'ai une foule d'idées. Je crois à une vie éternelle où tout sera résolu. J'avance dans mon travail avec aisance et confiance. Je crois que ma vie et ce que je dis a quelque poids.


Quand on est revenu… de presque tout.

Quand tout vous lâche.

Quand la vie présente vous rebute.

Quand ceux que vous aimez le mieux, soudain, vous laissent seul.


* ceux qui ont essayé Il reste à l'homme cultivé la magnifique compagnie des grands hommes de comprendre le but qu'il préfère*.

de la vie : le Beau, le Bon,

Dieu (Rdt, Molière, Le cas Bouteron.

Cervantès). Admirable ! Touchant !

L'homme qui s'identifie. Type de Français généreux. L'Enfant de cœur

Merveilleux exemple à peindre !


L'humanité a plus que jamais besoin d'amour.

Plus que jamais besoin d'hommes, qui travaillent dans le silence et l'ombre à lui en apporter – en réfléchissant, en pesant tout, en essayant de comprendre.


L'homme est fait pour le bonheur; il n'est fait que pour cela; j'ai mis

du temps à le reconnaître, à le crier, comme si cela ne me semblait pas assez digne. Mais plus j'avance vers la mort, plus j'en suis sûr.

Plus j'en ai besoin.

Si on ne le croit pas, il n'y a qu'à se rappeler la journée de l'armistice,

en 1918. Et à ce qu'a dû, pareillement, être l'entrée d'Henri IV réconciliant Paris.


C'est le plus beau, l'imagination,

Parce que l'amour et la charité en découlent.

Se représenter ce que les autres souffrent. Se représenter, quand on a un enfant, ce que c'est qu'un cerveau et un cœur d'enfant.

Et un cœur et un cerveau de femme. Ah ! on n'y suffit plus !


Religion.


La Démocratie ne veut plus que les hommes soient nobles. Elle a donc parfaitement raison de les séparer de Dieu – de les laïciser.


Le miroir. Le passé.


C'est toujours impressionnant de regarder sa tête dans un miroir.

Ça ne l'est pas moins de se plonger dans le passé.


Il faudrait oser faire comprendre à la masse que le monde n'avance que par quelques grands hommes – au lieu de les flatter sans cesse.


Que le grand crime ce n'est donc pas quand un tyran oppresse la masse. Mais quand cette masse tue un grand homme.


Essayer un résumé saisissant de ma vie, d'une vie humaine,

dans l'époque particulièrement tragique – où la paix n'est qu'un accident: que de guerres, que de drames, que de tueries ! Et en temps de paix, que de haines !

Le sujet du livre.


C'est l'histoire qui se détourne de la société – création plus que douteuse des hommes, et qui se tourne vers sa conscience – qui elle est de Dieu.

Je ne crois pas aux lois.

Je crois à mes voix.


Dans le silence et l'ombre.


Me réapparaissent les grandes minutes tragiques de ma vie – ou enfin les minutes essentielles :


¤ Les instituteurs (!) – tragi-comique.

¤ La Libération. – Les brutes.

(Ce que j1


1. phrase inachevée.

La femme adultère raconte :


De ses deux mains, tout de suite, ce n'était pas les miennes qu'il prenait. Mais il caressait mes deux seins. Et cela m'était si doux !

Il me disait : « Tu as toute l'âme dans les yeux ! » Et il riait, si heureux

et si fort d'être heureux que je m'écriais : « Ah ! que c'est beau

un homme ! »

Alors, prenant tendrement ma taille, il me disait : « Ma force vient

de toi ».


La Mort.


Ce que sera la Face de Dieu.

Un éblouissement de lumière ? Oui. Mais puisque Dieu a fait l'homme

à son image, c'est que l'homme ressemble à Dieu – et nous ne savons pas alors s'Il nous étonnera tellement. Ce sera un accomplissement.


Réflexions sur la conception artistique, sur son mystère.

(C'est un livre sur les mystères de la vie)

Une idée en touche une autre, comme l'élément masculin touche l'élément féminin, et il y a fécondation.

Mes matinées.


On sera tout seul pour mourir. Alors il faut être un peu seul de temps en temps pour vivre.

C'est légitime.


J'ai pris l'habitude du retrait paisible dans l'ombre – pour voir le spectacle dans la lumière, après bien des blessures sociales.

Attaques publiques dans les journaux. Générales, fours. Émeutes. Camp d'internement.


Ce qu'on est bien dans le retrait, dans la solitude.

L'effet que me produisent les voyages maintenant qu'on ne peut plus faire sans la foule.


Foule. Sueurs. Débraillé. Les mieux en chemises. Laideur

de l'ensemble. Preuve de l'agitation générale après la catastrophe.

Ils ne peuvent plus… que se déplacer.

Et horrible côtoiement des journaux. Fausses nouvelles. Immondes nouvelles. Et immonde interprétation. On sent, on voit les êtres se dégrader en lisant.


Splendeur du Sommeil.


Cet autre mystère – où on oublie.

Oui, on oublie blessures et rancunes.

Le sommeil – si j'avais en peintre à le figurer, j'en ferais le plus beau des archanges.


Plus je vais, dans ma retraite, plus j'ai besoin de belles images.

Plus encore que de bons livres.

Ah ! les grandes images des grands peintres. Si approximatives qu'elles soient, elles rappellent. Enchantement !


Bonheur du retrait.

Et de laisser les enfants prendre votre place. En tout. Pour mener

la maison, dépenser l'argent, recevoir les amis.

Et puis je suis tellement roué de coups par la vie… et ma femme.


Bonheur du retrait.


Je n'ai plus le courage de me mêler, pour les peindre, à des imbéciles

ou à des dégoûtants, ou à des dégoûtants imbéciles (ex. l'ignoble personnage, démagogue d'Aristophane, qui est monté dans le compartiment de Raviola, quand je l'ai reconduit à Tours le 12 juin 48).





Rembrandt.


Sera au cœur de ce livre du silence, parce que la peinture… (comme la sculpture) – en opposition à la littérature et à la musique – c'est l'art du silence.


L'Espagne pays de Mystère.


Mystère de la Mort.


16 Juillet 1948. Pierre Bourdon vient de se noyer. Nous discutons du supplice enduré. Laurence est là. Elle se rappelle – quand elle était jeune fille – une jeune fille se noyant – tombant étourdie par la chaleur ou son repas, dans l'eau. Elle va au fond. Le temps d'appeler des pêcheurs, de la repêcher, elle est à toute extrémité. Puis elle revient à elle.

On l'interroge. Puisqu'elle a été au bord de la mort… Ça doit être terrible, l'eau, l'étouffement, l'asphyxie.

Non. "Elle entendait des cloches !"

On n'en tira rien d'autre.

Et on sent qu'elle va répéter ça toute sa vie.


Je n'aime pas les devineresses, je fuis les bohémiens. Je n'aime pas livrer ma maison – ni que devant moi on trouve le passé et l'avenir dans mon écriture.

J'aime garder mon mystère entier.

Et l'important, c'est de retrouver quand on l'a perdu, et mieux de ne pas perdre le mystère que Dieu a voulu dans la morale.

Surtout, surtout de réserver une sorte de sainte ignorance que Dieu exige.

Comprendre que tout se tient, que rien ne peut être séparé… qu'il faut tout étudier… à la fois.

Et c'est un grand mystère que tout se tienne.

Car cela rend tout à peu près inabordable pour l'homme.


Le mot le plus employé de la vie :

Pourquoi ?

Et que c'est drôle que l'enfant, qui en fait un tel usage, sache tout de suite ce qu'il faut dire !


C'est un grand mystère que

la découverte scientifique

ou l'inspiration chez le poète.

Il n'y est pas pour grand chose.

Il devrait être très humble.

Souvent ce sont simplement de grands bonshommes : Pasteur, Antoine, Branly (tant pis si ce que je dis ne suffit pas à leurs héritiers).





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