Les Dossiers H - Pierre Boutang *

 

Les Dossiers H publient, sous la direction d’Antoine Joseph Assaf et avec le concours de Jacqueline de Roux et de Marie-Claire Boutang, un fort beau volume consacré à la mémoire de Pierre Boutang, mort le 27 juin 1998 à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye à l’âge de 81 ans. Pierre était né le 20 septembre 1916 à Saint-Etienne, dans une famille originaire du Forez.

Il apprend à lire dans les colonnes de l’Action Française. Au Lycée du Parc, il a pour professeur Wladimir Jankélévitch et pour condisciple Louis Althusser, alors royaliste, qui, dans ses Mémoires, évoquera « l’intelligence fulgurante de Pierre Boutang ». Il entre à l’Ecole Normale en 1935, se marie en 1936, est reçu à l’agrégation de philosophie en 1939.

Dès 1937, il donne des conférences à l’Institut d’Action Française et, en 1939, Maurras lui confie la « Revue de la presse » du journal. C’est au mois d’octobre 1941 qu’il part au Maroc et de là à Alger où il entretient de nombreux contacts avec des monarchistes ou des républicains monarchisants autour du général Giraud, ce qui lui vaudra, en 1945, à l’instigation de René Capitant, ministre de l’Education nationale du général De Gaulle d’être exclu de l’enseignement public et interdit d’enseignement (cette mesure ne sera rapportée qu’en 1967).

Comme on le sait, Maurras, prisonnier jusqu’à la grâce médicale qui lui fut accordée quelques mois avant sa mort, le considéra comme son principal continuateur. Boutang est alors responsable de « la Politique » d’Aspects de la France qu’il quittera en 1955 pour fonder, avec Michel Vivier la Nation Française qui parut jusqu’en 1967 et à laquelle collaboreront Roland Laudenbach, Philippe Ariès, Pierre Andreu, Jules Monnerot, Raoul Girardet, Daniel Halévy, Gustave Thibon, Jean Brune, Chamine, Roger Nimier, Volkoff, Georges Laffly, Gabriel Matzneff, etc.

Les principaux ouvrages de Pierre Boutang sont l’Ontologie du Secret, sa thèse soutenue en 1973 à la Sorbonne que Georges Steiner considère comme « l’un des maîtres-textes métaphysiques de notre siècle », L’Apocalypse du Désir (1979), puis son La Fontaine politique (1981) et enfin son Maurras, la destinée et l’œuvre (1984), œuvre de toute une vie, -sans oublier ses admirables Abeilles de Delphes (1952) !

 

Il est impossible de commenter ici toutes les contributions à ce dossier. Elèves, amis, disciples sont venus en grand nombre apporter leur témoignage, toujours impressionnant de sincérité, à celui qu’ils ont aimé, suivi, admiré.

On y trouve Michel Déon, amical et ironique ; mais il manque Antoine Blondin avec qui Boutang rédigeait ce premier journal clandestin après l’interdiction de l’Action Française qui changeait de titre chaque semaine pour échapper aux lois sur la presse. On y trouve aussi Julien Guernec, alias François Brigneau, autre combattant de la première heure. Mais il manque Roger Nimier, Jacques Laurent, Michel Vivier (l’intelligent critique littéraire de la Nation Française), Daniel Halévy et tant d’autres.

Cet ensemble de méditations sur Pierre Boutang, sur sa vie, sur l’œuvre de l’homme qu’il fut, entre philosophie et politique, sur sa mort aussi - « Il y a un secret de la mort de Pierre , écrit Olivier Véron, nous aurions dû l’enlever... » afin qu’il puisse vivre comme il l’avait souhaité « ce présent incertain foudroyé par un futur certain » (le Purgatoire) » - nous invite à pénétrer dans l’intimité quasi fraternelle d’un témoin majeur du siècle écoulé.

 

C’est un texte de de George Steiner qui sert de prologue à cette somme boutangienne. « Emanent de Boutang, écrit-il, une virtuosité, une véhémence d’être - l’ontologie en personne - qui m’ont immédiatement subjugué. » Nous savons d’ailleurs quelles divergences séparaient les deux hommes sur un problème que Steiner n’élude pas - la responsabilité du messianisme juif dans l’échec politique d’une France catholique et royaliste - et comment ils pouvaient se retrouver dans la perspective bloyenne de « Salut par les Juifs ».

Puis Michel Déon évoque l’année 1939 : « Nous le vîmes, angoissés, partir pour cette guerre annoncée par Bainville et Maurras... Si la guerre nous ravissait Boutang, comme elle en avait tant ravis d’aussi nobles en 1914, nous perdions un espoir, un héros dont la passion éclairait notre nuit... »

Et, plus loin, c’est l’étonnant témoignage de Georges Mathieu : « Boutang m’apparaissait comme le parangon de l’intelligence incarnée, mais son œuvre, si étonnante par sa profondeur et sa diversité, me désolait par son enfermement… » et par sa fidélité à Platon : « Non, Boutang, tout n’est pas dans Platon… Quand donc comprendrez-vous que désormais, les valeurs ne se fondent plus sur des expériences antérieures ?... Seriez-vous aussi borné (au sens noble) que Chaunu ?… Demain, tous nos mythes écroulés, des formes nouvelles, des idées inédites, des mœurs insoupçonnées surgiront. Oui, Boutang, parce que si, comme vous l’écriviez : « l’enfant naît, dépend, reçoit, l’enfant d’abord « est » ! » Là est en effet toute la question : dans son apostrophe, la notion mise en cause par Georges Mathieu est celle de légitimité. Mais ô Boutang, ô Mathieu, la légitimité est une notion dont le monde moderne, aujourd’hui asservi par des Giscard ou des Raffarin, nie jusqu'à l’existence : il s’est, en effet, construit contre elle et seules quelques âmes d’élite s’en sont évadées - un Drumont, un Béhaine, un Dominique de Roux, un Guy Dupré.

 

Ce Dossier est, avant tout, un acte de reconnaissance. Ainsi que l’écrit Luc-Olivier d’Algange, « Pierre Boutang, « logocrate », monarchiste, philosophe et traducteur, fit de chacune de ses « vertus » au sens antique, une « fonction » au sens sacerdotal ». Tant de pensées sur Boutang, tant de prolongements de son œuvre, de son enseignement, de sa vie même, sont ici rassemblés que nous ne pouvons songer à en tenter un inventaire, même succinct. Notons seulement qu’après un nombre impressionnant de témoignages sur l’homme, les études sont regroupées sous trois grandes rubriques : Politique, Poétique, Métaphysique.

Georges Laffly y fait une très intéressante analyse des romans : Le Furet, Le Secret de René Dorlinde, La Maison un dimanche, textes à la fois politiques et mythiques, et, à ce titre, moins intéressants - disons : moins abordables - que les grands romans d’Abellio, Les Yeux d’Ezéchiel sont ouverts et La Fosse de Babel.

 

Enfin c’est sur l’image de Boutang poète que nous voudrions terminer cette évocation et alors quoi de mieux que de le citer :

 

Ce qu’on appelle vie est de ne pas Te voir

Ce qu’on appelle mort c’est regard qui commence

Ce qu’on appelle vie est l’attente de Toi

Qui s’échappe à soi-même et en est l’ignorance

C’est de ne pas savoir ce que veut le détour.

C’est croire en ce détour qui vient du creux de l’être

Que l’on recherche et fuit dans la haine et l’amour

Ce qu’on appelle vie est la peine de naître

Ce qu’on appelle mort est le plus grand soupçon

Le regard d’en dessous vers l’être qui s’éveille

Et la peine de vivre a trouvé sa raison

« La rose est sans raison », sa racine est merveille.

 

Merveilleux Boutang, héros, philosophe, puissent ces quelques lignes ajoutées à ce brillant hommage, contribuer à perpétuer votre souvenir ainsi que l’espérance dans la victoire de l’Esprit que, comme règle d’action , vous avait donnée Charles Maurras.

 

* Pierre Boutang Les Dossiers H - L’Age d’Homme, 2002.

Xavier Soleil

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