Deux revenants : Roger Nimier, Maurice Brillaud



Il ne faut jamais désespérer de la postérité qui peut être réveillée par la piété filiale - au sens large du mot - refusant de laisser se dénouer les chaînes qui relient le présent et l’avenir au passé. Ce fut le cas d’un certain nombre d’écrivains, heureusement sauvés d’un oubli définitif, et, par exemple de ce Roger Bésus (1) dont nous avons parlé ici même il y a quatre ans déjà.


Maurice Brillaud doit la même résurrection à son fils qui a eu l’heureuse idée et s’est imposé le devoir de faire éditer les souvenirs de son père pour la période 1906-1916 (2).

Né à la fin des années 80, Maurice Brillaud fit partie de ces hommes qui, dégoûtés par la politique de faction des gouvernements de défense républicaine, déçus par les sirènes du libéralisme catholique, reconnaîtront leurs chefs dans ces penseurs intransigeants, ces veilleurs et ces éveilleurs que furent Maurras, Léon Daudet, Bainville ou Massis. « A l’Action Française, non seulement la bataille est toujours acceptée, mais encore chacun la cherche. Un camelot du roi, fut-il seul contre mille, n’hésite jamais à défier l’adversaire, celui-ci peut l’accabler, l’enchaîner, l’assassiner même, il a toujours le temps de crier « Vive le Roi ». Sa formule est toujours assez prompte pour rappeler quelque vérité sur le régime infâme qu’il combat. A la fin, il peut disparaître, il peut, lui, être vaincu, brisé, accablé sous le nombre, ni son cri, ni son apostrophe n’en sont atteints. Ils continuent de planer sur le champ de bataille, ils remplissent l’atmosphère, ils pénètrent les cerveaux et les intelligences, ils forcent les attentions ; enfin, comme ils sont la pure expression d’une doctrine fondée sur les lois du monde, ils intéressent puis ils conquièrent. »

C’est dès 1906 et l’affaire des « inventaires » que Brillaud - et bien d’autres avec lui, comprend où « on » les mène. « De ce jour, écrit-il, date la haine tenace que je porte à la Révolution, à ses hommes et à ses oeuvres ». Sa lucidité ira croissant jusqu'à la guerre et, plus peut-être que la fripouillerie de la franc-maçonnerie, c’est la lâcheté du libéralisme des « ralliés » qu’il met en cause.

Sur l’impréparation à la guerre, ses remarques sont celles d’un Driant (3) ; sur la guerre elle-même et ses buts, il rejoint parfaitement les réflexions solitaires d’un Béhaine, qui fut son contemporain : « Les vrais maîtres du monde, qu’on aurait tort de chercher sur les trônes impériaux, royaux ou présidentiels, travaillaient au même « grand œuvre » : à l’organisation de cette guerre universelle qui assurerait leur règne. »

Je n’irai pas plus loin dans l’analyse de ce livre que ceux qui aiment voir un homme debout découvriront avec plaisir.


Roger Nimier est mort brutalement à l’âge de 36 ans, et c’est, en somme, cette mort qui fait tout le mystère de sa vie, cette vie tronquée que sa fille, Marie, mit tant d’années à découvrir, et à accepter (4).

Engagé à 18 ans dans l’armée de Lattre, il en revint deux ans plus tard avec en tête ce roman, Le Hussard bleu, qu’il publia en 1950 et qui fut, pour toute une génération, avec L’Europe buissonnière d’Antoine Blondin, un roman-culte. Et c’est dans cette courte période, qui va de la fin des années 50 au début des années 60 qu’il faut le trouver.

Difficile pour celle qui avait trois ans en 1962, à la mort de son père. Comment faire, comment dire ? Comment prononcer, écrire ces deux mots « mon père » ou alors dirai-je « Roger Nimier » ? Marie met à cette recherche des souvenirs - mais souvenirs des autres - toute la délicatesse voulue, mais comment ne peut-il pas être décevant d’écrire, par exemple : « Voilà comment les choses se sont passées. Ou plutôt : voilà ce que ma mère m’en raconte. »

Nous sommes ici très loin du Nimier de la littérature, si bien évoqué par ses amis par la suite, Blondin, Haedens et les autres. Nous voici avec celui de sa famille, de sa femme et de ses enfants, Martin, Marie. « Je suis la fille d’un conte de fées qui se termine mal », écrit celle-ci. Voire ! « Mon père n’était pas un être facile, certes, mais jamais il n’aurait touché à un cheveu de ses enfants. A un cheveu peut-être, mais au reste ? A ces choses fragiles qui se construisent dans les premières années ? A ce corps avide de tendresse qui se hisse sur la pointe des pieds pour lui donner à manger un œuf au plat en plastique ? »

La Reine du Silence - tel était le surnom que son père avait retenu pour elle - contient bien des exemples de cette tendresse cruelle qui resta présente dans les cauchemars de Marie et influença sa vie durant tant d’années. Et c’est d’ailleurs en partie pour répondre au double défi de ce nom et de ce surnom qu’elle trouva refuge dans l’écriture et qu’enfin, dans ce dernier livre, elle crève l’abcès de cette paternité niée et, apaisée, peut, enfin, « le reconnaître comme un père reconnaît ses enfants. Reconnaître non seulement sa démarche, mais aussi, et dans un même mouvement de tendresse, reconnaître son visage, ses traits, ses expressions. Son front haut. Ses yeux verts. La courbe parfaite de ses sourcils. » Etre enfin la fille, l’amie de Roger Nimier.


Xavier Soleil


(1) à propos de la publication du premier tome de son journal, La Porte du Large, dont les deux tomes suivants ont aussi vu le jour (Editions Bertout, 76810 Luneray).


  1. Maurice Brillaud : Souvenirs de guerre et d’avant-guerre (1906-1916), préface de Claude Mouton - Editions Nivoit.


  1. « L’optimisme, quand il n’est plus étayé par la foi, devient mensonge, et je n’ai plus foi dans la valeur de l’armée d’aujourd’hui » commandant Driant : Vers un nouveau Sedan (Félix Juven, 1906).


  1. Marie Nimier : La Reine du Silence - Gallimard, 2004.

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