Les Mémoires de Jean Daujat


Jean Daujat est né en 1906 et mort en 1998. Le premier volume de ses Mémoires, publié il y a deux ans par son ami et disciple Claude Paulot, évoquait longuement sa famille, son enfance de fils unique, son adolescence et ses études à l’École Normale (Sciences), puis à la Sorbonne ; mais également son évolution spirituelle vers un christianisme absolu. « Mon intelligence, écrit-il, s’est livrée à la lumière qu’elle recevait des mystères de la foi et des textes du Nouveau Testament dans la joie de leur découverte et comme si elle se trouvait en affinité intérieure profonde avec eux, comme si c’était là ce qu’elle avait toujours choisi et aimé. » Cette découverte sera la base de sa vie intérieure et de son apostolat.

Un des premiers problèmes que Jean Daujat avait eu à affronter au cours des années 20 fut la condamnation de L’Action Française par Pie XI en 1926 qui, nous dit-il lui-même, le « bouleversa ». Il était royaliste et fera d’ailleurs plus tard connaissance avec le comte de Paris. Comme Maritain, il obéit, sans voir qu’il n’y a pas opposition, mais complémentarité entre ceux dont la préoccupation première est de changer les institutions et ceux qui soutiennent qu’il faut d’abord changer les hommes « dont les institutions sont les oeuvres ». Comme on le sait, cette condamnation fut levée par Pie XII peu après son élection.


Le second volume commence avec les fiançailles, puis le mariage de l’auteur, le 15 novembre 1930, avec Sonia Hansen, peintre d’origine danoise, soutenus dans leur amour par leur idéal commun d’une « vie consacrée au Christ et à l’apostolat ».

Ce que l’on peut noter dès maintenant, c’est la très grande intelligence de Daujat, tant dans le domaine scientifique que philosophique et théologique, son aisance à manier la langue française par l’écriture et par la parole, enfin sa sociabilité naturelle qui lui amena de très nombreux amis et, tout au long de sa vie d’apôtre, des disciples qui peuvent encore maintenant porter témoignage de son influence éducatrice.

À dix-neuf ans, guidé par Maritain, il avait fondé le Centre d’études religieuses (C.E.R.), qu’il reprendra en mains en 1931, tout en approfondissant ses connaissances religieuses, au point de publier, en 1939, un traité de théologie, La Vie surnaturelle, préfacé par Mgr Beaussart, évêque auxiliaire de Paris, et par le T.R.P. Garrigou-Lagrange.

Au C.E.R., les cours sont dispensés par Maritain, l’abbé Lallement, Mgr Ghika1, Dom de Mauléon, prieur de l’abbaye bénédictine de la rue de la Source, Robert d’Harcourt et, bien entendu, Jean Daujat lui-même.

En 1933, il fonde la revue mensuelle Orientations, qui paraîtra jusqu’en 1939. Outre ses propres articles et ceux d’Yvonne Estienne, sa collaboratrice depuis les débuts du C.E.R., on y trouve les signatures de Mgr Ghika, du père Garrigou-Lagrange, de Maritain, Henri Ghéon, Charles du Bos, Gustave Thibon, Jean Jardin, Merleau-Ponty ou Jacques Madaule.

Comme on s’en rend compte à la lecture de cette suite de noms, Jean Daujat n’avait aucun parti-pris à l’égard des personnes, pourvu que leurs convictions fussent sincères. Ayant décidé d’œuvrer de toutes ses forces à l’avènement du règne social de Jésus-Christ, c’est une élite qu’il rassembla autour de ce qui fut sa raison de vivre. Le lecteur est ébloui en parcourant le récit de cette vie extraordinaire, je dirais presque en s’y associant.

C’est après la guerre qu’il publiera ses trois ouvrages les plus importants sur le plan spirituel : L’ordre social chrétien en 1970, Y a-t-il une vérité ? en 1974 et Doctrine et vie chrétiennes en 1979. En 1946, Pie XII l’avait reçu en audience spéciale.

Parallèlement à son apostolat, il poursuivait son œuvre d’histoire et de philosophie des sciences, qui sera couronnée, en 1946 par la soutenance d’une thèse sur la théorie des phénomènes électriques et magnétiques, devant un jury où figuraient Gaston Bachelard et Louis de Broglie.

De 1940 à 1945, il soutint la politique du maréchal Pétain2, notamment en participant à la direction et à l’enseignement de l’Institut d’études corporatives et sociales. Après la guerre, le danger que représentait le communisme pour la France l’incitera à publier Connaître le communisme, brochure qui fut tirée à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, et à propos de laquelle il fut invité à donner de nombreuses conférences.

Jean Daujat a publié son dernier livre La face interne de l’histoire en 1996, ouvrage monumental, sorte de Discours sur l’Histoire universelle du XXe siècle, dans lequel « il développe une pensée profonde et originale »3. Ce fut sans doute son testament intellectuel.

Penseur, professeur, écrivain, orateur, Daujat se dépensa sans compter. Ses Mémoires nous invitent à revivre une période au cours de laquelle, selon l’expression de Daniel Halévy, l’histoire s’est « accélérée ». Nous y découvrons un immense panorama de la vie politique, intellectuelle et religieuse française pendant près de trois quarts de siècle.

Les deux tomes ont été préfacés par Claude Paulot, également Normalien, président des Écrivains catholiques et actuel directeur du Centre d’études religieuses.


1. Jean et Sonia Daujat furent des amis fidèles de Mgr Ghika. Rappelons que celui-ci, qui, toute sa vie, s’était dévoué aux plus démunis, tant en France qu’en Roumanie, fut arrêté, condamné et torturé par la police communiste de son pays, et mourut en prison en 1954 à l’âge de 81 ans. Jean Daujat consacra un livre à sa mémoire, L’apôtre des temps modernes, Mgr Ghika (Nouvelles Éditions Latines, 1957). Mgr Ghika fut béatifié par le pape François le 27 mars 2013.

2. Le 6 juin 1944, il se précipita à Vichy et proposa au maréchal de partir en avion pour Bayeux où venaient d’entrer les Américains. Une décision rapide et un succès eussent peut-être changé le cours de l’histoire.

3. Wikipédia.


Jean Daujat, Mémoires tome II, Téqui, 2014, 776 p., 39 euros. Pour mémoire : tome I, Téqui, 2012, 638 p., 40 euros.





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