Situation de la France
La France est-elle encore une
nation ? Son passé, elle l’a renié ; son présent, elle le vit
mal ; son avenir, elle le craint. Dès le début de son livre, Pierre Manent
date la naissance de la France contemporaine du 18 juin 1940 et du grand
refus du général De Gaulle qui, écrit-il, « donna la note tonique
pour l’âme de la nation. » Mais, avoue-t-il, ce ne fut qu’une fusée
sans conséquence politique positive, qui, depuis trois quarts de siècle, a
perdu tout éclat. Depuis longtemps, en effet, nos représentants ne se sont plus
occupés que de la construction européenne pour, finalement, trouver
refuge dans l’Europe de Bruxelles, opportune justification de leur
immobilisme.
Sans être d’accord avec cette
pirouette, nous pourrions passer sur la « note tonique » et
son absence de conséquences politiques, puisque ce n’est pas exactement le
sujet du livre. Encore que, trois quarts de siècle après, nous savons que les
conséquences du soi-disant grand refus gaullien, complété par son
accord, après la « Libération », avec le Parti communiste dit français
et les pires éléments de la Démocratie chrétienne ont été tragiques pour la
France qui subit encore les funestes conséquences d’une politique anti-française.
Quelle est aujourd’hui la situation
de la France ? Depuis plus de deux siècles, la tendance officielle la plus
constante a été de séparer la vie politique de la vie religieuse et, non pas
d’ignorer celle-ci, mais de la combattre. La tentative de ralliement des
catholiques français à une République franc-maçonne et violemment anticléricale
du pape Léon XIII, en 1892, n’a fait que préparer l’effondrement de l’une et la
division des autres.
Le catholicisme, qui, durant près
de quinze siècles, fut, en France, la religion de l’État, a implicitement
accepté de s’effacer devant une pseudo-religion, la laïcité. C’est sur ce
principe, d’ailleurs mal défini, que prétendent s’appuyer les actuels représentants
du peuple français pour résoudre les problèmes posés par l’installation sur
notre sol, depuis quelques décennies, d’une communauté musulmane dont ils
évaluent mal la nature et l’importance. On observera que leur échec a été
complet. Disons plutôt qu’ils ont fermé volontairement les yeux sur ce qu’ils
voyaient et que les Français vivaient, la mort lente de la nation française,
attaquée d’un côté par ce que Renaud Camus nomme le grand remplacement,
de l’autre par l’emprise toujours plus contraignante d’un mondialisme sans âme.
Pierre Manent, qui admire la force
avec laquelle la Troisième République régla le problème catholique, prévient
que notre État, qui a perdu, « aux yeux des citoyens, une bonne partie
de sa légitimité [...] n’a plus ni autorité ni volonté pour orienter la
vie intérieure de la société ». Il va même plus loin, et de façon plus
large, en constatant, avec la bien-pensance officielle,
que les Européens, dans leur expansion passée, ont occasionné trop de maux et
commis trop de crimes pour avoir la volonté de « continuer l’histoire
européenne ». C’est évidemment une vue simpliste de la colonisation,
que, malheureusement, on ne s’étonne pas de rencontrer sous la plume d’un ponte
de l’EHESS, cettr École, fondée en 1947 par Lucien Febvre et Charles Morazé
avec l’appui de la Fondation Rockfeller.
Bien sûr, M. Manent sait que,
contre l’Islam, armé financièrement, militairement et
démographiquement, nos institutions laïques et démocratiques n’ont plus aucun
moyen de défense. Or, proclame-t-il, « nous devons nous défendre ».
Mais, alors qu’il semble admettre qu’il s’agit, non d’un problème religieux,
mais d’un problème politique, il va en remettre la solution entre les mains des
croyants (ou des autorités) des deux religions.
Ni l’Europe, ni la France,
écrit-il, n’ayant posé de conditions à leur entrée et à leur installation, et
les musulmans étant, depuis deux générations (au moins) devenus nos
concitoyens, nous sommes maintenant obligés
d’accepter leurs mœurs, mais, ajoute-t-il, sur la base d’un compromis, sur
lequel catholiques et aux musulmans devraient se mettre d’accord et qu’il résume
en quelques lignes. En contrepartie de l’acceptation de leurs mœurs – mais elles se sont déjà imposées et on peut dire que, de facto,
nous les avons déjà acceptées – par les Catholiques, les Musulmans
s’engageraient à :
– renoncer à la polygamie et, pour
les femmes, au voile intégral ;
– accepter la liberté complète de
pensée et d’expression1 ;
– prendre radicalement leur
indépendance vis-à-vis des pays et associations musulmans, tant sur les plans
intellectuel et moral que financier.
Cette proposition appelle
plusieurs remarques. D’abord, nous ne
savons pas au nom de qui parle M. Manent, ni très exactement à qui il
s’adresse. Du début à la fin de son livre, il semble parler en son propre nom,
ce qui est confirmé par les débats auxquels il a participé, comme celui qui a
été publié dans L’Homme Nouveau du 16 janvier 2006, et qui réunissait,
autour de Philippe Maxence et Pierre Manent, Guilhem Golfin, directeur de la
revue Catholica, Maxence Hecquard, auteur des Fondements
philosophiques de la démocratie moderne2, et le philosophe
Thibaud Collin.
En outre, alors qu’il s’agit d’un
problème politique, son livre se veut un message aux catholiques d’une part,
aux musulmans d’autre part, Or qui s’en est saisi ? La classe politique
l’a ignoré, de même que la très grande majorité des croyants des deux
confessions, tout comme leurs instances hiérarchiques ou représentatives. On
est dès lors amené à penser que si l’auteur a bien identifié le problème et
imaginé une possible solution, son raisonnement est resté incomplet.
S’il constate que « la seule
chance d’une participation tolérablement heureuse de l’islam à la vie
européenne réside dans le regain des nations et non pas leur effacement »
– chance, qu’au regard de toute l’histoire
des rapports des États européens et de l’Islam, on peut juger utopique – il constate aussi, et ne s’en cache pas, que notre démocratie,
depuis trente ans, est restée inerte devant tous les problèmes qui se sont
posés, les aggravant même par son inaction. Enfin, il ne peut ignorer que, si
l’Islam est une religion, cette religion régit tous les aspects de la vie de
ses adeptes et s’applique tant à la vie privée qu’à tous les aspects de la vie
sociale et politique.
Cette dernière donnée du problème
implique notamment que l’Islam ait, en face de lui, non une vaine laïcité, mais
un christianisme sûr de soi, qui soit l’expression de la société française
tout entière, y compris de son gouvernement. Il est donc absolument
nécessaire – mais il ne le dit pas – que ce
régime défaillant soit remplacé par un pouvoir fort, capable de prendre des
décisions sur le long terme, de suivre leur application et d’en négocier
au besoin certains aspects. Assuré de sa légitimité, il devra avoir un
successeur naturel intéressé à la poursuite et à la réussite de la politique
engagée.
Chacun comprendra qu’il s’agit de
la monarchie, dont l’avènement répondrait aux aspirations, plus ou moins
cachées, des Français. « On peut rêver, écrit Pierre Manent, à
ce que pourrait produire, dans notre situation, le surgissement d’un
commandement politique effectif... » Il ne s’agit pas seulement de
rêver, car ce surgissement peut être considéré comme la condition
primordiale de la survie de la France. Dans le débat évoqué plus haut, Guilhem
Golfin répondra : « Si, par exemple, il y avait un monarque
effectivement chrétien, cela serait plus sécurisant par rapport à l’avenir
d’une civilisation opposée à l’Islam ». Et Maxence Hecquard :
« La crise que nous vivons aujourd’hui avec l’Islam montre les limites
du système républicain, c’est-à-dire de la démocratie [...] La guerre civile ne
nous attend-elle pas demain ? Il faut poser un diagnostic juste et lucide
sur ce que peut être l’avenir de nos enfants. » Poser un diagnostic et
agir en conséquence.
http://xaviersoleil.free.fr/
1. Dont M.Manent ne semble pas soupçonner
qu’elle n’existe pas en France.
2. Maxence Hecquard, Les Fondements
philosophiques de la démocratie moderne, François-Xavier de Guibert, 2010.
Pierre Manent, Situation de la France. Desclée de
Brouwer, 2015.