Jean de Viguerie - Louis XVI le roi bienfaisant

 

 

Louis XVI est né à Versailles le 23 août 1754, il a été guillotiné le 21 janvier 1793 : il n’avait pas encore 40 ans. Le livre remarquable que lui consacre Jean de Viguerie surprend d’abord par son titre : Louis XVI le roi bienfaisant. Le portrait placé en couverture ne laisse pas non plus d’intriguer. La bonté ne paraît pas être le caractère dominant de ce regard presque indéfinissable, mélange d’indécision, de rêverie et de fatalisme, et qui déjà semble absent, et de lui-même, et de son royaume.

 

Le livre de Viguerie pourrait être divisé en deux parties, la première s’intitulant « le dernier procès de Louis XVI », la seconde « Qu’est-ce que la Révolution ?».

 

Cette compréhension très profonde de la personnalité du Roi, à partir de sa naissance, de son éducation et de sa préparation au métier royal est, en effet, un véritable réquisitoire. Tous les témoins y sont convoqués et nous pouvons véritablement juger sur pièces. C’est d’abord Louis XV, son grand-père qui, même après les disparitions successives du Dauphin Louis, en 1765, et de son épouse Marie-Josèphe de Saxe, en 1767, se désintéresse complètement de l’éducation politique du futur roi. C’est ensuite son père qui prit à cœur de diriger lui-même l’instruction de ses fils et choisit leur gouverneur et leurs précepteurs.. Et c’est enfin cet enseignement même dont Viguerie note que « sans le connaître, on ne peut comprendre le règne »

Et voici le principe de base de ce qu’on va lui apprendre pendant des années : « la politique n’est que la morale. Pour être un bon roi, il faut être un roi bon. » Et également ceci : « Le bonheur d’un roi, consiste à savoir allier la sagesse, la force et la bonté, pour s’assurer la soumission, l’estime et la reconnaissance de la Nation. » Déjà la Nation, et déjà le bonheur - celui du roi, celui des sujets - universel. Mais quoi ? Idées généreuses, idées vagues et d’ailleurs idées fausses. Elles nient au départ la sociabilité naturelle de l’homme, ce qu’Aristote nommait « l’amitié naturelle de l’homme pour l’homme »  pour faire de la vie en société un mal nécessaire : Descartes, Domat en sont à l’origine ; puis elles se trouvent répercutées dans toutes les lectures qui sont données au jeune prince et à ses frères.

 

C’est donc un nouveau Télémaque qui est appelé à régner sur la France à la mort de Louis XV, le 10 mai 1774. Brusquement, il se rend compte qu’il ne sait rien et il a peur. Une longue série d’erreurs politiques va s’ensuivre, clairement et méticuleusement analysées par l’auteur, et tout d’abord le renvoi des ministres du précédent roi, notamment de Maupéou, et la nomination de Turgot, « un philosophe, un adversaire non déguisé du christianisme, un admirateur inconditionnel de Voltaire » à propos duquel celui-ci écrit alors à Condorcet : « Louis XVI et Gluck vont faire de nouveaux Français » et Julie de Lespinasse : « « Si le roi persiste à aimer le ministre vertueux qui lui consacre sa vie, le bien se fera sûrement » ; puis presque aussitôt, c’est le rappel des Parlements.

Grâce à Turgot, à Malesherbes, à Saint-Germain, Louis XVI devient un roi philosophe, presque un despote éclairé - aux dires de Frédéric II lui-même qui ajoute cependant : « Attendons seulement qu’il ait fait toutes ses preuves. N’oublions pas qu’il vient de loin ».

Louis XVI est sacré à Reims le 11 juin 1775, mais c’est seulement au début des années 80 qu’il revient sur les idées qui ont si fortement influencé les débuts de son règne. « Voltaire, Rousseau et leurs pareils, qui, un instant, écrit-il à Malesherbes le 13 décembre 1786, ont obtenu mon admiration, que j’ai su mépriser depuis, ont perverti la jeunesse qui lit avec ivresse, et la classe la plus nombreuse des hommes qui lit sans réflexion ».

Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Si le premier ministère Necker, la guerre d’indépendance américaine avec une marine bien reconstituée sont, en somme, des périodes fastes pour la grandeur française, le moral du roi n’est pas bon. Des scandales l’entourent, l’esprit public est miné par cette philosophie à la fois cachée et omniprésente. Calonne, qui arrive au pouvoir en 1783 et y restera jusqu’en 1787 est encore un homme des Lumières, très « éclairé », qui, comme Louis XVI d’ailleurs, « croit au bonheur par le commerce et par l’augmentation de la production », - nous dirions au jourd’hui : la croissance.

Mais, après l’incroyable affaire du Collier qui fit sur Goethe une si forte impression qu’il écrivit plus tard : « Dès l’année 1785, l’histoire du collier de la reine m’effraya comme aurait fait la tête de la Méduse. Par cette entreprise téméraire, inouïe, je voyais la majesté royale minée et bientôt anéantie », c’est bientôt, sur la proposition de Calonne, l’appel aux « notables », cette assemblée de privilégiés qui refuse toute réforme.

Mais, il faut bien le dire - et Jean de Viguerie l’expose clairement dans le chapitre intitulé « le roi et le royaume » - Louis XVI et son gouvernement ne maîtrisent plus les changements de tous ordres, économiques, sociaux, intellectuels ou moraux qui interviennent en quelques années. Leur doctrine de départ étant fausse, leurs actes s’en trouvent inéluctablement viciés. Dans un royaume pourtant en pleine prospérité, ils ne peuvent empêcher les inégalités les plus criantes de s’aggraver au point de compromettre l’équilibre même de la société. La corruption des moeurs de la haute Noblesse et de la société d’argent gagne une partie de la bourgeoisie et du peuple. L’influence de la religion diminue alors que celle de la « philosophie » triomphe. « L’Académie française est peuplée de ses créatures, et la littérature entière tombe sous son emprise », mais « qu’ils soient philosophes reconnus, écrivains consacrés, ou simples folliculaires, tous ces manieurs de plume ont un comportement commun : ils agressent l’ordre établi et s’efforcent de le subvertir. Les folliculaires clandestins attaquent nommément le roi, la reine et les ministres ».

 

Plus de deux années séparent le renvoi de Calonne (27 avril 1787) de la transformation des Etats Généraux en Assemblée Nationale (27 juin 1789). Ces deux années sont « le temps de la révolte », une pré-révolution.

Mais alors qu’est-ce que la Révolution ? Dans son essence, elle est la division d’un être unique et, pour y arriver, la création d’un mythe, la Nation, personne distincte de celle du souverain. Louis XV avait déjà réfuté cette théorie funeste et contre nature et condamné cette doctrine des « droits » et des « intérêts de la nation », dont on « ose, avait-il dit (Discours de la Flagellation, 1766) faire un corps séparé du monarque ». Trop tard, Louis XVI reprendra ce discours et fera dire au garde des Sceaux Lamoignon parlant en son nom lors de la séance royale du 19 novembre 1787 : « Le Roi est chef souverain de la Nation et ne fait qu’un avec elle ». Trop tard, car la Révolution est en marche et aucun de ses excès ne sera réprimé. Dès la convocation des Etats Généraux, l’autorité royale est comme paralysée ; Viguerie note que c’est dans sa Déclaration du 26 mai que l’on trouve pour la première fois l’expression d’« assemblée nationale » pour les désigner.

Les méthodes de la Révolution sont connues et utilisées en grandeur réelle dès les journées du 14 juillet et 5 et 6 octobre 1789 : manipulation des foules, massacres, terreur. Ainsi que le déclarera Camille Desmoulins dans un discours du 21 octobre 1792 prononcé à la tribune du club des Jacobins à propos du 14 juillet : « Cette révolution, ce n’est point un paradoxe de dire que le peuple ne la demandait pas, qu’il n’est point allé au-devant de la liberté, mais qu’on l’y a conduit... Il n’a été qu’un instrument de la Révolution, nous [en] avons été les machinistes ». Si Louis XVI commence à voir clair dans ces manoeuvres et s’il n’en est plus dupe, il demeure apparemment aussi apathique, mais n’est-ce pas par désespoir et par lucidité - car il sait que ceux qui voudraient le soutenir et le voir changer d’attitude ne sont pas non plus ses véritables partisans. « Ils sont en même temps avec une parfaite bonne foi et une parfaite inconscience royalistes et révolutionnaires. Ils prônent le renforcement de l’autorité royale et croient de toutes leurs forces à la souveraineté nationale et aux principes des droits de l’homme. » Dans ces années 1789 et 1790, « la plupart des citoyens soucieux de la chose publique sont à la fois pour le roi et pour la Révolution. » La croyance aux « idées nouvelles » est universelle : tous les mémoires, lettres, journaux de l’époque le confirment. Ainsi, « ce que ses fidèles et ses ennemis prennent pour de l’apathie n’est que l’attente sereine et détachée d’une catastrophe estimée par lui très proche et inévitable ». Le roi est maintenant prêt à tout. Sur le plan intérieur, il a cherché force et secours dans la religion ; il n’a plus d’espoir temporel, mais il a retrouvé l’espérance chrétienne. Il offrira sa vie pour  le « bonheur » des Français. Les pages où Jean de Viguerie évoque le retour à la foi de Louis XVI et les forces qu’il y retrouve pour faire face à son destin sont parmi les plus émouvantes du livre.

 

Quel fut le but de la Révolution ? Il serait certainement réducteur de n’y voir que la volonté de prise de pouvoir d’une classe sociale ambitieuse. Louis XVI a eu à affronter des forces extrêmement subversives de l’ordre établi dont il n’y avait eu jusqu’alors aucun exemple connu. Pris lui-même dans le tourbillon des « idées nouvelles », ne s’en étant d’ailleurs jamais vraiment dégagé, il a cependant fini par comprendre et juger ceux qui, au nom de ces idées, se servaient du peuple pour faire aboutir des ambitions intellectuellement et politiquement totalitaires. « En offrant sa vie en sacrifice à l ‘exemple de son Rédempteur, écrit Jean de Viguerie, Louis XVI réalise parfaitement la vocation royale exprimée par son sacre... On savait que le rite du roi exposé signifiait l’abnégation. Mais on ignorait qu’il signifiait aussi le sacrifice total et jusqu’au sacrifice de la vie. C’est le mérite de Louis XVI de l’avoir révélé et d’avoir ainsi réalisé pleinement le destin de la troisième race des rois de France ».

 

La « Révolution française » fut unique et elle a donné à l’histoire de France - et même à l’histoire universelle -, depuis deux siècles, une courbure qui étonnera toujours les vrais historiens et les philosophes.

Peu d’oeuvres autant que la Comédie Humaine trouvent leurs assises dans les événements de la Révolution. On ignore généralement que le père d’Honoré de Balzac, Bernard-François Balzac, était entré comme secrétaire au conseil privé du roi Louis XVI, qu’il y demeurera jusqu'à sa suppression, le 12 germinal an II (1er avril 1794) et qu’il continuera sa carrière dans l’administration militaire jusqu’en 1814. Il a beaucoup appris à son fils. Or qu’écrit celui-ci, en 1842, dans l’Avant-propos de la Comédie Humaine ? « L’homme n’est ni bon, ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes ; la Société, loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne... Le christianisme, et surtout le catholicisme, étant... un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément d’Ordre Social... On ne donne aux peuples de longévité qu’en modérant leur action vitale. L’enseignement, ou mieux l’éducation par des Corps Religieux est donc le grand principe d’existence pour les peuples, le seul moyen de diminuer la somme du mal et d’augmenter la somme du bien dans toute société... Le Christianisme a créé les peuples modernes, il les conservera. De là sans doute la nécessité du principe monarchique. »  

Il y eut alors, écrira plus tard Léon Bloy en termes plus mystiques « une rage universelle, un démoniaque besoin de faire avorter la Providence, d’effacer par tous les moyens, le mystérieux espoir des hommes, accoutumés, depuis tant de générations, à chercher l’image de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les yeux bleus de la Monarchie française ».

 

Xavier Soleil

 

Jean de Viguerie : Louis XVI le roi bienfaisant - Editions du Rocher, 2003.

 

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