Dans un bel article du numéro du 19 mars 2010 de Rivarol, Jean-Paul Angelelli nous apprend la mort le 2 mars 2010 de François Sentein. Né en 1920, ami de Genet dont il dirigea les débuts littéraires, de Jacques Laurent – il fut pendant deux ans rédacteur en chef de La Parisienne –, de Pierre Boutang et de bien d’autres, sa notoriété d’écrivain ne fut reconnue qu’à l’orée des années 2000 – il atteignait alors quatre-vingt ans ! – lorsque Patrick Mauriès, patron des éditions du Promeneur, publia ses Minutes, quatre petits ouvrages, pages de son journal des années 1938-1945.
Sa disparition sera sans doute peu
commentée ; c’est pourquoi il me
paraît opportun de publier ici un article paru
naguère dans la revue Reconquête.
Laure Buisson :
Occupée - François Sentein :
Minutes d’un Libéré (1944)
Occupée est
le second roman de Laure Buisson. Le premier était un roman
à la mode ; celui-ci a l’allure et
l’économie d’une nouvelle de Paul
Morand. Dès les premières pages, il nous semble
être entouré de références.
A l’école, Laure était-elle
dans la classe de Marcel Aymé ?
A seize ans, son héroïne adore faire la queue à l’épicerie voisine ; « j’aimais, dit-elle, attendre des heures au milieu des clients... Je les écoutais parler entre eux, m’infiltrais dans leur vie à leur insu. » Mais mentir à ses parents ne suffit bientôt plus au bonheur de Marie. Alors ? Eh bien ! voilà : « Je suis entrée dans l’amour comme mes amis dans la Résistance, par conviction. J’ai signé le 3 juin 1944, le jour de mes dix-sept ans. »
Or l’élu de son corps et
bientôt de son cœur est un officier allemand de 30
ans son aîné et cela se passe à Paris,
à quelques semaines de la Libération.
Cet amour neuf, brûlant, rapide est conté dans un
style net, vivant, classique.
On lira ces 175 pages rapidement, puis une seconde fois pour admirer la maîtrise de son auteur qui semble avoir retrouvé le ton et l’esprit des écrivains réactionnaires des années 50. Elle doit continuer à dire ce qu’elle sent et à l’écrire simplement.
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C’est aussi cette année 1944
qu’évoque François Sentein dans ses Minutes
d’un Libéré, qui font suite
aux Minutes d’un Libertin (1938-1941) et
aux Nouvelles Minutes d’un Libertin (1942-1943).
Pour parler de ce livre, le mieux serait sans doute de reprendre les
quelques lignes que consacra aux premières Minutes,
en quatrième de couverture, son ami Alexandre Astruc,
l’auteur du Serpent Jaune et de
Quand la chouette s’envole :
« Ce n’est pas seulement un journal, tenu
au jour le jour d’un adolescent né à
Montpellier, admirateur de Maurras, mais aussi de Julien Benda, ami de
Kléber Haedens, de Thierry Maulnier et de Pierre Boutang.
C’est aussi un roman passionnant,
l’itinéraire d’un jeune provincial,
monté de ses garrigues farouches, non pas à la
« conquête » de Paris,
mais pour la joie de se promener dans une ville qui n’a
jamais été morte, de faire la connaissance de
Cocteau, de Montherlant, de Jacques Laurent-Cély... »
1944 est encore l’année de la
guerre, mais déjà celle des massacres et de
l’établissement de la dictature et du terrorisme
d’état. Dès le mois de mars, Sentein
note : « Toute conversation est maintenant
impossible. On ne tolère plus que les
jugements ». Et, quelques mois plus tard :
« La comédie sans fin des
imbéciles devient, dès que l’air
révolutionnaire est celui du jour, une
tragédie ».C’est le moment
où Claude Roy rallie le futur parti des « vainqueurs »
- vainqueurs, note Sentein, mais quelle guerre avez-vous donc
gagnée ? Et avec cela, le coup
d’œil et la dent dure. Ainsi :
« Leclerc s’est fait une silhouette de
baroudeur spiritualiste , telle qu’on en voyait chez
les chefs de district des Scouts de France, pour soutenir une
tête de butor de manège dont la bouche, sous une
moustache pour bec-de-lièvre, est faite pour
déverser l’injure sur des cavaliers muets.
Guêtres des centres de jeunesse, mais vareuse de chez le
tailleur... Et ma canne ! Où est ma
canne ? Avec ma canne je suis un type ».
Heureusement, il y a Paris « avec son naturel et sa liberté », où François Sentein, de Saint-Germain-des-Prés au Palais-Royal, rencontre Peyrefitte, Cocteau, et retrouve ses amis : Jean Genêt - qui lui apporte le premier exemplaire de Notre-Dame-des-Fleurs - ou le poète Olivier Larronde.
Il y a aussi la province de ses origines
à laquelle il retourne et qu’il évoque
avec délices. « Vraies maisons de mon
ciel astral. Quartiers écartelés, comme dit le
blason. J’aime que le passé qui m’a
produit me propulse vers mon avenir par les énergies
opposées de mon couple d’origine. La
révolte contre les données naturelles, que
c’est bête. La diversité des invitations
nous y suggère la liberté. C’est
l’enfant trouvé qui est à
l’étroit... »
Enfin nous trouvons quelques rapides, mais
quasi-infaillibles notes de lecture. Ainsi sur Les Voyageurs
de l’impériale
d’Aragon : « De l’Henry
Bordeaux ricanant. L’auteur reste de l’autre
côté de la table du tribunal. Il n’est
jamais dans le box des accusés. La morale
précède le roman ». Ou
à propos des Caves du Vatican :
« Roman picaresque, esthète et vicieux.
Le rire de Gide n‘est ni Dieu, ni Diable. Plus indiscret que
profond ».
Mais c’est sur la
« libération » de
Montpellier que le livre se termine et la concision du récit
de ces journées atroces laisse moins percer
l’émotion que l’horreur de ce triomphe
de la Sottise et de la Lâcheté.
« On annonce l’installation à Montpellier de la cour de justice : président, le conseiller Chantre ; commissaire du gouvernement, le substitut général Taurines ; jurés pris parmi les membres de la résistance.
Du 4 au 13, 99 « traîtres » avaient été jugés ; 74 exécutions.
Le 20 septembre, le général De Gaulle prie le commissaire de la République de transmettre aux fonctionnaires, à la population de sa région, ainsi qu’aux F.F.I. « ses félicitations pour leur active résistance, avec l’expression de sa confiance ; qu’ils poursuivent leur tâche dans l’ardeur et dans l’ordre ».
... La ville de mes jeux, de mes promenades, de mon
collège est celle-là qui a laissé
condamner et fusiller, par des quadragénaires poilus et
puants, des enfants qui ignoraient encore l’intime
comédie et la pipe de leurs
pères ». Qui, hors leur famille,
se souvient de ces morts dont Sentein, il y a presque soixante ans, a
relevé les noms avec une piété
minutieuse ?