Jouhandeau et Balzac



Le centenaire de la naissance de Marcel Jouhandeau, le 26 juillet 1888, au cœur de cette époque qui fut, en France, selon Daniel Halévy, celle de la Fin des Notables, est célébré à Guéret, sa ville natale, par un certain nombre de manifestations.

En même temps, les éditions Taillandier publient le numéro 1 des Carnets Marcel Jouhandeau qui contient notamment un index général des 28 volumes des Journaliers établi par Jean-Luc Berthommier.

Balzac y est cité à cinq reprises.


En 1963, Jouhandeau note : « On prostitue, on galvaude sans cesse devant moi le titre de grand écrivain. Tout auteur en vue aux yeux des myopes est promu à ce grade. Or, il y en a deux ou trois par siècle à peine. Un grand écrivain, on l’est quand on a créé un monde comme Saint-Simon, Stendhal, Balzac, Proust. On mérite aussi exceptionnellement ce titre quand on use d’un style si original qu’il permet de vous identifier au passage infailliblement. »


Il revient sur la même idée en 1966 :


« Très peu de grands écrivains : un ou deux par siècle. Le XVIIIe siècle n’en compte pas un. On est un grand écrivain quand on a créé un monde presque devenu aussi indispensable à l’humanité que la mythologie grecque, tels Saint-Simon, Balzac, Stendhal et Proust. Il y a une autre grandeur, celle du style quand il dénonce à la seconde son auteur. C’est le cas de Pascal, de Jules Renard. »


En 1972, c’est à propos d’un rêve que le nom de Balzac vient sous sa plume : « J’ai passé toute cette nuit en rêve à construire une tragédie qui paraissait émaner d’un récit de Balzac. Par quel miracle ai-je obtenu pour ma plus grande satisfaction une pareille éloquence dans les propos, un pareil pittoresque dans les personnages ? »


Enfin, en 1974, c’est en réfléchissant au problème du style que le nom de Balzac, encore accompagné de ceux de Saint-Simon et de Proust, est, une dernière fois évoqué :


« C’est un fait sans cesse contrôlable qu’aux yeux des pédants, les vrais écrivains s’expriment souvent incorrectement ou presque. L’excuse des seconds, c’est qu’ils préfèrent la logique à l’usage, s’il est discutable. Une entorse à la syntaxe est pardonnable, du moment que la vivacité du style y gagne, par là ravivée, ragaillardie. Balzac, Saint-Simon, Proust donnent l’exemple d’une sorte d’indiscipline que l’intérêt de ce qu’ils rapportent, ou la force, la grâce de l’expression leur font pardonner. »


Dès ses premières œuvres - Les Pincengrain, la Jeunesse de Théophile - Marcel Jouhandeau a été un maître du style et nous savons maintenant que, comme les devanciers qu’il évoque, et plus proche en cela de Balzac que d’aucun autre, il a, lui aussi, créé un monde.

Le Courrier Balzacien nouvelle série n° 32 – 3e trimestre 1988




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