JEAN
DAUJAT ET LE MARÉCHAL PÉTAIN
Mobilisé en 1939, il parvint,
après la percée allemande, à ramener son groupe de D.C.A. intact de la
Champagne aux environs de Toulouse, après lui avoir fait traverser le Massif
Central. A l’ultime moment de la débâcle de l’armée française, il fustige la
proposition de Paul Reynaud de continuer la guerre en faisant passer le
gouvernement en Afrique du Nord, en même temps qu’il approuve la demande
d’armistice et note que celui-ci fut, en réalité, la première grande faute de
Hitler. « Je ne pouvais suivre De Gaulle, ajoute-t-il, dans sa
condamnation de l’armistice dont je viens d’expliquer combien j’avais compris
la nécessité et les immenses avantages et je ne pouvais pas davantage approuver
la constitution à Londres d’un gouvernement opposé à celui du maréchal
Pétain. »
Dès lors, il n’a de cesse,
habitant Paris, de pouvoir rencontrer celui-ci. En 1941, il participe à la
fondation et à l’enseignement de l’ Institut d’Études corporatives et
sociales, organisme rattaché directement au cabinet personnel du maréchal.
Mais ce n’est qu’en 1943 qu’il parvint à être reçu par lui. « Alors que
certains le prétendaient sénile, il s’était montré d’un esprit parfaitement
lucide pendant toute notre conversation. Il m’avait gardé presque une
heure : le commandant Féat me dit que c’était très rare et que cela
prouvait que je l’avais vivement intéressé. » Leur conversation avait
roulé sur « les problèmes d’éducation et du travail à faire en conséquence
pour le redressement des esprits et des cœurs, à quoi il me répondit que
l’éducation avait toujours été son souci principal. »
La seconde rencontre de Daujat
avec le maréchal eut un caractère plus dramatique Elle eut lieu le 6 juin 1944,
et ici encore je vais lui laisser la parole, en citant un livre qu’il publia en
1996 ; La Face interne de l’histoire2. « Lorsque
le 6 juin 1944 l'auteur de ce livre apprit le débarquement anglo-américain sur
les côtes normandes, il se précipita à Vichy pour y proposer que le maréchal
Pétain prenne aussitôt l'avion pour Bayeux, la seule ville française occupée
par les forces débarquées, et de là invite tous les Français à aider leurs
alliés Anglo-Saxons à chasser l'envahisseur allemand : ce qui, pour les raisons
que nous avons expliquées, n'avait pas été possible en novembre 1942 devenait
possible désormais en juin 1944. Les Américains, qui se méfiaient du général De
Gaulle, auraient été heureux d'accueillir le maréchal Pétain et l'on aurait
ainsi évité un gouvernement De Gaulle avec ministres communistes. Mais le
maréchal Pétain avait 88 ans, il ne pouvait réaliser seul une telle proposition
à laquelle il n'était pas opposé, et elle n'eut pas de suite à cause du
caractère timoré et du manque d'audace et de décision des membres de son
cabinet. L'occasion passée, il n'y avait plus qu'à attendre l'inévitable
arrestation du maréchal Pétain par les agents d'Hitler et sa déportation en
Allemagne. Ce fut De Gaulle qui arriva à Bayeux et prit le gouvernement de la
France libérée par les armées anglaise et américaine, gouvernement au sein
duquel les communistes agissaient selon les ordres qu'ils recevaient de
Moscou. »
Quel eût été le résultat de cette tentative si elle avait réussi ?
Eût-elle sauvé le maréchal Pétain ? peut-être... Eût-elle épargné à la
France une atroce dictature gaullo-communiste – ce que
Jean Daujat espérait –, il est évidemment impossible de répondre à cette
question.
Enfin, pour mieux faire connaître
Jean Daujat, et notamment ses options pendant l’occupation allemande,
j’aimerais citer une page de ses Mémoires particulièrement
claire, mais peut-être un peu longue.
« Sans qu’elles aient pour
moi les suites qu’a eues à partir de 1945 mon enseignement à Saint-Nicolas,
mes fonctions à l’Institut d’études corporatives et sociales ont eu
aussi bien des conséquences pour mon avenir, non seulement par toutes les
nombreuses relations que j’y ai faites, mais parce qu’elles ont fait connaître
mon enseignement oral et écrit et m’ont donné de l’influence et du prestige. Et
pourtant la tâche était extrêmement difficile parce qu’au-delà de
l’enseignement des principes qui constituaient la doctrine familiale,
économique, sociale et politique de l’Église dont on retrouvait bien des échos
dans les admirables messages du maréchal Pétain, on ne pouvait pas éviter des
prises de position face aux évènements
et problèmes de l’heure. On a vu que j’avais compris comment
l’armistice, rendu indispensable parce que nous n’avions plus d’armée, allait
perdre l’Allemagne hitlérienne en interdisant à son armée d’envahir notre
Afrique du Nord où Weygand, puis Juin, préparèrent une nouvelle armée française
qui reprendra le combat aux côtés de nos alliés anglo-saxons, ce qui fait que
je blâmais De Gaulle de sa position contre l’armistice et contre le maréchal
Pétain dont je viens de dire que j’admirais les messages et qui m’avais réjoui
en mettant fin au régime parlementaire, en se prononçant pour un régime
corporatif, en préconisant le redressement des esprits et des cœurs, en mettant
en œuvre pour cela tant d’institutions pour la jeunesse.
J’avais compris, et savais par
divers renseignements, que le Maréchal ne pouvait que souhaiter l’échec final
d’Hitler et je le souhaitais aussi, mais bien sûr sans désirer que cela
entraîne pour la France un retour au régime parlementaire. Je m’étais réjoui du
renvoi de Laval trop conciliant vis-à-vis de l’Allemagne et avais été désolé de
son retour au pouvoir imposé par Hitler. Je m’étais réjoui de l’entrée en
guerre des États-Unis qui préparait la défaite finale d’Hitler qui avait fait
dire au maréchal Pétain : « Nous voici en 1917 », parce que (là,
De Gaulle l’avait bien prévu) elle permettrait aux adversaires de l’Allemagne
d’avoir plus de chars et plus d’avions qu’elle. Je m’étais réjoui de l’entrée
de l’armée allemande en Russie parce que j’avais compris qu’elle se perdrait
dans l’immensité russe mais bien sûr, éclairé comme je l’étais sur le
communisme, je ne souhaitais pas pour autant une victoire militaire de celui-ci
de sorte que, tout en espérant qu’armée allemande et armée russe s’usent l’une
contre l’autre, je blâmais sévèrement Etats-Unis et Angleterre de faire
alliance avec la Russie communiste et De Gaulle de s’engager avec eux dans
cette voie.
Je savais le maréchal Pétain
paralysé par les exigences allemandes (le renvoi de Weygand, le retour de Laval
l’avaient bien prouvé) et à l’Institut d’Etudes corporatives et sociales
nous avions diffusé clandestinement, les Allemands en ayant interdit la
publication, le Message où le Maréchal parlait de la « semi-liberté qui
m’est laissée » et affirmé que « le régime actuel qui m’est imposé
par les circonstances ne ressemble en rien au régime que je veux instaurer et
qui sera fait de l’épanouissement harmonieux de toutes nos libertés ».
J’étais horrifié par les persécutions contre les Juifs et ne craignais pas de
le dire publiquement et tremblais pour nos amis juifs que j’étais prêt à aider
par tous les moyens en notre pouvoir.
J’étais disposé à approuver la
Résistance quand elle ne commettait pas d’actes imprudents et inutiles, mais
lui fus hostile dès qu’elle accepta dans son sein des communistes et les laissa
s’emparer des leviers de commande. En novembre 1942 je me réjouis du
débarquement anglo-américain en Afrique du Nord (il sonnait le glas de la
puissance hitlérienne) et commençai par souhaiter que le maréchal Pétain parte
en avion pour y reprendre la lutte contre l’Allemagne avec nos alliés, mais je
compris rapidement qu’alors Hitler aurait installé en France un gouvernement
Déat-Doriot-de Brinon qui aurait déclaré la guerre à l’Angleterre et mobilisé
tous les jeunes français dans l’armée allemande, je compris donc que pour
éviter cela le maréchal Pétain avait dû décider de rester en France en gardant
pour seul pouvoir de signer des Traités et de déclarer la guerre tandis que
pour tout le reste il ne pouvait plus rien et devait abandonner la totalité du
pouvoir à Laval.
Je sus par mon ami, le diplomate
et agent secret François de la Noe, que Pétain avait demandé à Weygand de
partir pour Alger y reprendre la lutte contre l’Allemagne avec nos alliés
anglais et américains, mais que celui-ci exigeait pour cela un ordre public
qu’évidemment le Maréchal ne pouvait pas lui donner. Je m’étais réjoui de
l’habile ralliement de Darlan et de Juin au débarquement anglo-américain,
j’avais donc été désolé de l’assassinat de Darlan, machiné par Henri d’Astier
de la Vigerie que j’avais connu par Amédée d’Yvignac et qui m’avait toujours
été si antipathique, désolé aussi que pour succéder à Darlan on ait choisi
l’incapable Giraud qui ne pouvait que se faire éliminer par De Gaulle. »
Bien entendu, Daujat ne fut pas le
seul à suivre une ligne aussi nette. Bien qu’il semble l’ignorer, elle fut
aussi celle de Maurras et des lecteurs de l’Action Française, mais aussi
celle de très nombreux Français, comme en témoigneront l’accueil que
réservèrent au Maréchal les Parisiens le 26 avril 1944 et la population de
Nancy le 26 mai de la même année.
Xavier Soleil
1. Jean Daujat, Mémoires
tome I, Téqui, 2012, 638 p., 40 euros ; tome II, Téqui, 2014, 776 p., 39
euros.
2. Jean Daujat, La Face interne de l’histoire, Téqui, 1996, 543
p. (épuisé, mais peut être téléchargé sur internet.)
3. Lycée privé catholique fondé en 1827 par l'abbé Martin de Bervanger. Actuellement 108 rue de Vaugirard à
Paris.