Henri Béraud et René Benjamin

Une amitié

Henri Béraud, René Benjamin… En 1925, Lucien Dubech, dans Les Chefs de file de la jeune génération, réunissait ces deux noms dans une même admiration. « Le ciel, écrivait-il, a donné à notre génération deux polémistes… l’un de droite, l’autre de gauche, pour la balance. L’un s’appelle M. René Benjamin, l’autre s’appelle M. Henri Béraud. » Et il ajoutait : « Il paraît que M. Henri Béraud est de gauche : s’il y en avait beaucoup comme lui, l’union serait facile entre Français. »

L’un et l’autre, nés en 1885, sont donc exactement contemporains. Ils se sont tôt reconnus pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire qu’ils s’aimaient et s’admiraient avant même de s’être rencontrés autrement que dans leurs articles et leurs livres.

Nous avons retrouvés quelques lettres adressées par Béraud à Benjamin, et aucune de celui-ci à celui-là. Mais, dès cette époque, il est sûr qu’une correspondance s’était établie entre eux et Béraud pouvait écrire en 1929 « Votre amitié m’est chère et me rend bien fier. » Il est probable que Benjamin écrivit alors, ou plus tard, quant il collabora à Candide, des articles sur l’un ou l’autre livre de Béraud.


En tout cas, le rapprochement n’est pas fortuit. Dans les articles de critique littéraire que Léon Daudet a rassemblés en 1929 dans les huit volumes d’Ecrivains et Artistes, il s’en trouve un consacré à Valentine ou la folie démocratique de Benjamin, critique hautement comique de la démocratie parlementaire française. Or qu’écrit-il ? « Je lis presque tous les journaux, tous les articles… cherchant, même parmi mes adversaires – dont je me fiche – le talent neuf. Sans avoir besoin de recourir à la signature, je me dis tout de suite : – «  Tiens, voici un Béraud. Tiens, voici un Benjamin… Les auteurs bien vivants, explique-t-il, sont ceux que l’existence amuse. » Et, après une description de Benjamin assistant à une séance de la Chambre, il ajoute : « Jamais époque n’a fourni si riche matière aux écrivains doués pour la satire, qui est un lyrisme retourné. »


René Benjamin et Henri Béraud, qui s’étaient connus dans les débuts heureux de leur existence et lorsque toutes les espérances leur étaient permises, se sont à nouveau rejoints dans le malheur, à cette époque où, selon l’expression du premier, « l’âme de la France » était « obscurcie ». Et, comptant les siens, il ajoutait : « Tous mes amis sont peut-être arrêtés. » Il n’allait pas tarder à l’être lui-même.


Deux lettres de Henri Béraud et trois lettres de Germaine Béraud

à René Benjamin


le 28 déc. 1925


Cher René Benjamin


Je pensais vous faire une surprise et… votre lettre m’arrive ici et me devance. Mais il n’y a rien de perdu. Si vous saviez comme j’ai lu votre Balzac, là-bas, dans mon trou de l’île de Ré ! Je l’ai bouffé, il n’y a pas d’autre mot. Quel bouquin !

Je ne sais plus qui écrivait, il y a quelques jours que Balzac se serait enfin vu vivre en lisant votre livre.

Voilà enfin un critique moins sot que ses congénères.

Merci de tout cœur, mon cher et grand René Benjamin, que je connais si bien, que j’aime tant et que je ne verrai jamais.

Henri Béraud

Saint-Clément des Baleines

teléph. 9 Ars-en-Ré


le 21 janvier 1929


Cher Benjamin, comment vous remercier, votre amitié m’est chère et me rend bien fier. Et puis ce témoignage m’arrive dans une heure où il m’est très précieux. Je viens de perdre, après une agonie de six ans la compagne des mauvais jours, l’être le plus noble et le plus pur.

Je lui devais tout. Je suis à bout de forces et de souffrance et il faut maintenant vivre, continuer, lutter, écrire. Ecrire quoi ? Celui dont vous avez écrit si magnifiquement la vie aurait là jeté une livre de chair. Que sais-je ?

Mon cher René Benjamin, je vous aime bien et je vous admire. Quand vous le dirai-je ?


Henri Béraud


***

Paris, le 1er juillet 1945


Monsieur


Des mots sont impuissants à exprimer l’émotion profonde que votre si belle lettre a causé à mon pauvre cœur meurtri. Mais je veux vous dire d’abord toute la part que nous prenons à votre grand malheur, à votre si injuste, si effroyable destin.

Merci, Monsieur, de penser à nous au milieu de vos terribles souffrances. Henri a été touché jusqu’aux larmes lorsque, jeudi, j’ai pu à mots couverts lui dire combien votre pensée était près de lui. Le souvenir d’un homme comme vous, qu’il aime et qu’il admire, est, dans les ténèbres où il se débat depuis son affreuse condamnation une consolation et un rayon de soleil tels que je ne saurais jamais assez vous en remercier.

Il vient d’être malade pendant deux mois et se trouve encore à l’infirmerie. J’ai été bien inquiète mais maintenant il va mieux et il a la chance dans son malheur d’avoir été soigné par un docteur remarquable.

Moralement il subit toutes ses épreuves avec une force d’âme admirable. L’estime et l’affection de ceux qu’il admire lui donnent la force de tout subir.

Vous me demandez quelles sont nos espérances ?… Le trou est si profond et les ténèbres si épaisses… hélas… Un jour viendra sans doute où les événements ouvriront les yeux aux hommes et où les factieux et les passions partisanes laisseront la place à une vraie justice. A ce moment-là , pour nous, les jours redeviendront beaux. Mais en attendant…

Merci encore, Monsieur, pour tout le bien que vous nous avez fait à tous deux et croyez à toute ma grande émotion.

G. Béraud



Paris, le 22 août 1946


Monsieur


Votre mot me touche infiniment et Henri a été profondément ému quand, tout à l’heure, j’ai pu lui dire combien vous pensiez à lui.

Il n’y a, hélas, rien de changé pour lui, mais il conserve toujours son admirable courage. Pourtant les épreuves ne nous sont pas épargnées.

Il y a dix jours les Domaines ont vendu aux enchères sa petite maison de l’île de Ré. J’avais appris cette vente huit jours avant par le plus grand des hasards, une annonce légale parue en quatrième page du Figaro vue par miracle.

Grâce à un ami de là-bas, admirable, nous avons pu conserver à Henri sa maison qu’il aimait tant et où il avait écrit tous ses livres.

Maintenant je tremble pour sa bibliothèque, seule chose qui ait été épargnée par les Allemands puisqu’ils avaient pris tout notre mobilier.

Henri me charge de vous dire toute son affection émue et en vous redisant encore combien votre pensée a pu me toucher je vous adresse, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

G. Béraud


Je vois toujours Henri tous les jeudis derrière les grilles de son bagne.



St Clément, le 30 mai 47


Monsieur


Votre lettre qui m’a fait un grand plaisir est arrivée la veille de notre parloir et Henri a été profondément ému de voir que vous pensiez ainsi à lui.

Il va aussi bien que possible et se trouve ici beaucoup moins malheureux qu’à Poissy. Je vis à 15 km de lui, dans la petite maison rachetée l’été dernier et quoique ne pouvant le voir que deux fois par mois, une demi-heure chaque fois, derrière les grilles et en présence d’un gardien, le sachant moins mal, je suis moi-même moins malheureuse.

Son moral est toujours magnifique et soutient mon courage.

Nos espoirs ? Rien n’est changé depuis janvier 45 et Henri est toujours à perpétuité.

Mais la vraie justice, j’en suis sûre, un jour sera rendue (les hommes actuels sont trop ignobles pour que cela puisse durer) et cela donne la force de tout supporter.

En vous remerciant encore de votre mot et en vous envoyant toutes les pensées d’Henri, je vous envoie, monsieur, mon plus fidèle souvenir.


Germaine Béraud


Les Trois Bicoques

Saint-Clément des Baleines Ile de Ré

(Chte maritime)



Retour à l'accueil