Grégory Woimbée

L'Eglise et l'Inquisition *

La recherche de l'unité, que nous retrouvons à toutes les époques de l'histoire, serait-elle le moteur d'une violence – tantôt salutaire, tantôt mortelle ? Le christianisme à ses débuts n'a-t-il pas été persécuté comme attentatoire à l'unité morale de l'Empire romain, à ses conventions et à ses idoles ? Devenu seule religion des grands royaumes de l'Europe, il eut à son tour à redouter et à combattre l'expansion d'hérésies qui cherchaient à la fois à pervertir son âme et à ébranler ses structures temporelles, voire celles de la société tout entière.

Sur le plan politique, la recherche patiente de l'unité a donné le royaume de France. Par contre, sa recherche brutale et sans fondement légitime a engendré les grands totalitarismes révolutionnaires, faits de massacres et de destructions, qu'ont connus la France d'abord, puis la Russie et l'Allemagne.


Pour juger de cette grande affaire que fut l'Inquisition, aussi bien dans la vie de l'Eglise que dans celle de la plupart des nations européennes, l'historien doit rejeter tout parti pris idéologique. La claire synthèse historique que présente l'abbé Grégory Woimbée permet de soustraire la réalité de l'Inquisition aux contre-vérités et aux clichés répandus sous nos yeux par la littérature, le cinéma et la télévision.

Ce fut à la fois une institution d'Eglise, veillant au maintien de la pureté de la foi, attaquée de toutes parts, et une nécessité politique assurant l'homogénéité du corps social. L'Inquisition apparaît ainsi en régulatrice de la vie sociale et les hérésies de nature néo-manichéenne qui se manifestèrent au début du Moyen-Âge, « contestant d'abord l'idée d'une Eglise terrestre séparée de l'Eglise céleste, en vinrent à contester tout l'ordre établi auquel on dénia d'être le miroir des réalités célestes. » Dans ces deux fonctions elle fut un bienfait pour l'humanité.


La conduite des âmes obligea l'Eglise – au-delà de la prédication, de l'invitation à la repentance et du pardon – à prendre des mesures plus radicales; elle demanda expressément aux autorités civiles de prendre des sanctions temporelles contre les hérétiques. Le canon 23 du 4e concile du Latran présidé en 1213 par le pape Innocent III précisait que « les hérétiques qui rejettent le sacrement du corps et du sang du Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et les autres ordres, condamnent le mariage, sont expulsés de l'Eglise de Dieu comme hérétiques : nous les condamnons et nous ordonnons au pouvoir civil de les réprimer. » En fait, si le but de l'Eglise était l'unité de foi, celui des princes était d'établir ou de maintenir, dans leur état, l'unité de religion. C'est de ces deux impératifs que naquit peu à peu l'Inquisition.

Rappelons brièvement le mécanisme de cette justice ecclésiastique, « vraie colonne du Moyen-Âge chrétien1 » : l'aveu spontané entraîne l'absolution du pécheur. En cas d'obstination, on peut avoir recours à la torture dont on sait aujourd'hui qu'elle fut pratiquée avec infiniment de modération, car c'est une grâce qui permet au pécheur d'avouer sa faute et d'être pardonné. Mais l'accusé aura été prévenu auparavant que la révocation de ses aveux entraînerait le mensonge, le parjure et le relaps – et par là même les peines les plus graves y compris le bûcher.

Nous ne retracerons pas ici les divers épisodes d'un processus complexe qui dura plusieurs siècles. Basé sur des nécessités d'ordre différent – n'oublions pas que l'Eglise est aussi une société temporelle – il fut, sous l'influence romaine, et à l'encontre de la réputation qui lui a été faite, une des étapes les plus bienfaisantes de l'évolution de l'instruction criminelle.

Le conflit imprégna la société tout entière, au point qu'on créa des commissions ad hoc dans chaque paroisse. « L'Inquisition, note Grégory Woimbée, est bien l'institution de toute une société ».


Penser alors que l'hérésie est une construction auto-justificative de l'Inquisition reviendrait à retirer à celle-ci toute légitimité. Mais constater qu'elle la combat « moins en raison de ce qu'elle est que de ce qu'elle implique : une déviance et une dissidence autant sociale que religieuse » est parfaitement juste et rien ne le montre mieux que l'histoire à la fois bien connue et mal comprise de l'Inquisition espagnole.

En 1808, Joseph de Maistre remarquait que l'Inquisition en Espagne « pouvait être considérée tout à la fois comme cour d'équité, comme moyen de haute police et comme censure2. » En 1979, l'historien Bartolomé Bennassar3 ne dit pas autre chose en notant qu'elle a été essentiellement « un agent de centralisation politique et de contrôle social […] dans une société marquée par le péril de la division interne depuis le VIIe siècle et une reconquista interminable. »


Dans la conclusion de son livre, Woinbée revient sur le thème de l'unité par lequel nous avons abordé cette recension. En ce sens, on peut dire que l'Inquisition a sauvé la société espagnole et que le comte de Maistre voyait peut-être juste en écrivant : « Lorsqu'on songe que le tribunal de l'Inquisition aurait très certainement prévenu la révolution française, on ne sait pas trop si le souverain qui se priverait, sans restriction, de cet instrument, ne porterait pas un coup fatal à l'humanité. »


1. Jean-Louis Perret, Philippe et le Temple – Itinéraires n° 234, juin 1979.

2. Lettres à un gentilhomme russe sur l'Inquisition espagnole, 1822.

3. Bartolomé Bennassar (sous la direction de), L'Inquisition espagnole XVe-XIXe siècles – Hachette, 1979.



* Editions Tempora 11 rue du Bastion Saint-François 66000 Perpignan - 17 euros 90.

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