Roger Bésus et Charles Maurras
dans
La vie justifiée, Journal 1975-1977
La lecture de ce Journal du milieu des années 70, période de l’après-mai 68 comme de l’après-Concile, montre un Roger Bésus qui se rapproche insensiblement d’un maître qu’il ne connaît pas. Par ses affinités intellectuelles et artistiques et par l’intercession de certaines de ses amitiés, cet ennemi du faux-semblant et de l’imposture, est amené, par simple curiosité d’esprit d’abord, puis avec un intérêt croissant, à confronter sa pensée, puis peut-être à l’ordonner par rapport à celle d’un homme en qui il reconnaît un ensemble de qualités dépensées, pendant un demi-siècle, au service de la France, leur commune patrie.
Cette attirance est, à ce
moment-là, un des points les plus intéressants de
son évolution intellectuelle et nous avons essayé
d’en relever les étapes
évoquées par lui dans ce volume et de noter les
espoirs comme les regrets qu’elle a fait naître
dans son âme.
C’est au cours d’un dîner en tête à tête avec Marie Thérèse Dupuy, co-fondatrice de la Revue Universelle, en février 1975, que Roger Bésus la « fait parler abondamment et de Daudet et de Maurras, et de ce que pouvaient être les membres de l’Action Française … Etrange, ajoute-t-il, le climat qu’ainsi fait ressurgir de ce passé cette charmante femme. Elle me donnait à mesure la nostalgie de cette époque et de ce milieu, où je vérifiais qu’au-delà des travers inévitables des individus, la plume avait tant de pouvoirs. »
Puis quelques mois plus tard, il relève dans l’Homme Nouveau, quelques phrases de l’article de Jacques Vier consacré aux Ecrits politiques de René Malliavin, alias Michel Dacier, et il est encore question de Maurras. Vier écrivait notamment : « De Montaigne à Maurras, en passant par Montesquieu et Tocqueville, l’art de gouverner les hommes rayonnait au centre de la culture et de la civilisation. »
Décidément Bésus
se trouve à l’aise dans ce milieu ; il
entrera bientôt au comité de rédaction
de la Revue Universelle et y restera
jusqu’à sa mort.
Le 4 octobre 1975, après en avoir lu le n° 14, il note : « Le seul papier qui m’ait touché, c’est celui de Gaxotte : il s’agit d’un extrait de ses souvenirs, où il brosse un portrait de Maurras et de lui-même « secrétaire nocturne » du maître. Eh bien, l’intérêt de ce texte tient certainement à ceci qu’on y voit de l’humain en acte. Je vais en parler à Marie-Thérèse. »
Il revient sur cette lecture quelques jours plus
tard et, comme il le fait souvent, il recopie dans son Journal une
longue citation de l’article de Gaxotte dont je reprends les
quelques lignes suivantes :
« L’un des agréments de
l’Action Française était que
près de Maurras on ne pouvait se contenter de ressasser un
quelconque abrégé politique, promu au rang de
texte sacré. Maurras lui-même n’a jamais
voulu publier un ouvrage doctrinal, de crainte que ses idées
n’en fussent figées pour toujours. Il les tirait
de l’événement et les confrontait avec
le passé. Sa méthode était
scientifique, expérimentale. Il l’appelait
lui-même l’empirisme organisateur,
l’intelligence contrôlant
l’observation… »
J’applaudis, s’écrie Bésus,
« ce bonhomme devait être passionnant.
Ah ! quelle richesse de telles fréquentations
donnent à la formation d’un jeune homme !
Songeant à la mienne, quelle pauvreté !
Quelle errance ! Rien, rien,
rien… »
Un an plus tard, Roger Bésus se munit,
pour son habituel trajet Rouen-Paris, des morceaux choisis de Natter et
Rousseau sur Charles Maurras : De la Politique
naturelle au Nationalisme intégral. Et de noter
ensuite : « Relevé dans la
préface : « La politique
n’est pas autre chose qu’une science
expérimentale dont l’objet est la poursuite de
constantes régulières et des lois statiques de la
société. Elle est fille de
l’Histoire ; sa méthode est
l’empirisme organisateur. » Je suis tout
à fait de cet avis. Le pragmatisme, voilà la
règle ; le dogmatisme, l’ennemi. Puis
ceci, qu’il écrivit en 1904 – et qui dut
lui servir souvent de réconfort :
« Tout désespoir en politique
est une sottise absolue. »
Voilà aussi ce que je devrais tenir pour
avéré, et qui donc
m’empêcherait quelquefois, sinon souvent,
d’être oppressé par la sottise des
hommes du pouvoir. »
Enfin le 18 janvier 1977 : «
… Ce soir. Revue Universelle. Au repas
donné chez elle, par Marie-Thérèse
Dupuy, aux familiers de la maison, après la
réunion du comité, j’expliquais comment
la figure de Maurras à mesure que je la rencontrais, me
fascinait davantage… »
Les prochains volumes du Journal
vérifieront-ils l’importance de
l’influence de la vision maurrassienne de l’Ordre,
du Beau et du Vrai sur la pensée, notamment politique, de
Roger Bésus ? Nous espérons avoir
l’occasion de répondre un jour à cette
question.
Roger Bésus – La Vie
justifiée, Journal 1975-1977 – Editions Foliotage,
2009.
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